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Cachez ces femmes que je ne saurais voir…

Contre le sexisme dans l’enseignement en général, dans les rapports du CAPES en particulier


27 octobre 2016

C’est une rhétorique maintenant connue : à peine parvient-on à rendre publique la question des inégalités qui traversent et que génère le système scolaire, c’est quasi immédiatement qu’on s’empresse d’incriminer.... les femmes ! Les femmes, et plus particulièrement les enseignantes, seraient responsables des sanctions frappant injustement les garçons, renforçant leur identité masculine. Aujourd’hui les enseignantes sont tout bonnement accusées de contribuer au déclassement du métier, et ce dans le rapport 2016 du CAPES. Celui-ci a suscité le lancement d’une pétition que nous relayons ici.

Le rapport 2016 du CAPES de Lettres, signé par le président du jury, M. Patrick Laudet, s’ouvre sur un hommage au métier de professeur, accompagné de remerciements adressés à ces « hommes et femmes ». Cependant, cet hommage prend un tour bien singulier quand on arrive à la deuxième page du rapport. En effet, quelles sont les progressions significatives que note le président du jury ? D’une part l’augmentation du nombre de candidats et d’autre part, le nombre de garçons présents et reçus au CAPES de Lettres. Une réussite présentée en ces termes :

« La proportion des garçons au CAPES de lettres s’améliore significativement, ce qui est un symptôme d’attractivité nouvelle pour le métier de professeur de Lettres. Enseigner les lettres n’est pas une spécificité féminine et nos élèves ont besoin de l’expérimenter au quotidien. Ils y gagneront incontestablement, les garçons entre autres, et la présence accrue d’hommes pour enseigner les Lettres contribuera à affiner l’image parfois dégradée qu’ils ont de la discipline. Pour qui est légitimement soucieux de parité, c’est là une tendance vraiment encourageante. »

Que la mixité des métiers en général soit un but vers lequel la société doit tendre, nous ne pouvons qu’en convenir. Que les métiers où les femmes sont majoritaires soient très souvent moins attractifs (en termes de reconnaissance sociale et matérielle) c’est un fait. Cependant, tout comme Antoine Compagnon qui déclarait dans Le Figaro que « la féminisation avait achevé de déclasser [le métier de professeur] », ce rapport confond singulièrement la cause et l’effet.

Ce n’est pas la féminisation des effectifs qui déclasse les métiers. On peut penser que c’est au contraire le déclassement social, dû à des raisons concrètes (les conditions matérielles d’exercice : salaires, moyens, nombre d’élèves, affectations) ainsi qu’à des raisons symboliques (manque de reconnaissance par les autorités étatiques) qui provoque, parmi d’autres facteurs, la féminisation des métiers [1].

Il est donc tout à fait erroné et tout aussi insultant pour les femmes qui enseignent, de se tromper de responsable. Plutôt que d’intégrer et de répandre le soupçon de non-légitimité qui pèse sans cesse sur les femmes en les accusant d’être à l’origine du manque d’une légitimité d’une profession, les amoureux de l’enseignement ne devraient-ils pas se battre d’une part pour des conditions de travail décentes, et d’autre part contre des stéréotypes sexistes qui brident encore, nous le voyons, la diffusion de l’enseignement ?

Car ces quelques lignes légitiment l’opinion sexiste qui voudrait que l’enseignement soit moins crédible assuré par des femmes. Se réjouir de l’arrivée de garçons, certes, mais en rester là comme si cette arrivée en elle-même allait régler le problème du manque de reconnaissance du métier paraît donc bien naïf et hypocrite.

En effet, si le président déclare se montrer « soucieux » de parité pour le recrutement au Capes (pour célébrer l’arrivée de garçons), nous observons que cet amour de la parité est bien moins visible dès qu’il s’agit des nominations à des postes à hautes responsabilités. Encore aujourd’hui, les femmes enseignantes de lettres accèdent bien moins que leurs collègues masculins à des postes comme ceux de l’Inspection Générale ou encore au statut de professeur-e-s de chaire supérieure.

Sous prétexte de parité, dans un rapport qui se prétend hommage aux professeur-e-s, ces quelques lignes nous semblent particulièrement pernicieuses. Simplifier un problème social complexe en culpabilisant les professeurs femmes et prendre les élèves garçons pour des idiots en supposant qu’ils ne seraient pas capables de s’intéresser sérieusement à un enseignement prodigué par des femmes témoignent d’une vision rétrograde et méprisante qui n’a pas sa place dans un rapport de concours de l’enseignement.

Nous, collectif d’enseignants et enseignantes mais aussi tout simplement personnes soucieuses d’éducation et de parité, femmes et hommes, demandons donc :

 la suppression de cette remarque misogyne dans le rapport du concours de recrutement du CAPES 2016

 une réelle réflexion de la part de l’Éducation nationale sur la parité, à tous niveaux d’enseignement et de responsabilités

 la mise en œuvre de mesures concrètes pour la revalorisation du métier de professeur-e

P.-S.

Pour signer la pétition.

Notes

[1Sur ce rapport complexe entre féminisation et déclassement, on conseille à M. le président du jury de lire l’excellent article « Compagnon persiste et signe… ça tombe bien, nous aussi ! » de Denis Colombi et Anne-Charlotte Husson https://cafaitgenre.org/2014/01/14/compagnon-persiste-et-signe-ca-tombe-bien-nous-aussi/