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Charte des collectifs Une école pour tou-te-s / Contre les lois d’exclusion

par Collectif Une Ecole Pour Tou-te-s
13 juillet 2004

Les collectifs Une école pour tou-te-s/ Contre les lois d’exclusion
se sont constitués dans plusieurs villes de France [1] en réaction à la
loi interdisant le port de “ signes religieux ostensibles ” à
l’école publique.
Ils sont autonomes, dans leur organisation interne et dans le choix
de leurs moyens d’actions juridiques et/ou politiques, tout en
s’inscrivant dans un cadre général de principes et d’objectifs
définis dans la présente charte .

1. Principes

C’est au nom des principes universels de liberté et d’égalité que
nous refusons la loi interdisant les “ signes religieux ostensibles
à l’école.

Premier principe : l’égalité de traitement et le refus de la
discrimination par la religion

Pour nous, signataires de cette charte, la loi interdisant à l’école
les " signes religieux ostensibles " est pour une loi d’exception,
construite sur mesure pour exclure les élèves portant le " foulard ".
Même si elle est présentée comme une loi générale, s’appliquant
toutes les religions, personne n’est dupe :

 c’est du “ foulard
islamique ”, et de lui seulement, qu’il est question depuis que le
débat ” sur “ la laïcité ” a été relancé ;

 c’est également de lui, et
de lui seul, qu’il a été question dans le discours présidentiel
appelant de ses vœux une telle loi ;

 c’est enfin de lui et de lui
seul qu’il est question dans les circulaires ministérielles lorsqu’il
est suggéré d’ajouter, en plus de la nouvelle loi , de nouveaux
articles qui, au nom de la “ correction ” des tenues et non plus au
nom de la laïcité, interdisent le port de tout couvre-chef en classe.

Nous refusons cette hypocrisie, et nous nous opposons à cette loi
liberticide et discriminatoire, qui favorise les replis
communautaires et entretient toutes les suspicions et oppositions
artificielles - entre " la France " et " les immigrés ", entre " la
République " et " l’Islam ", ou encore entre les diverses confessions.

Au nom de l’égalité de traitement, nous affirmons que le foulard
doit être accepté au même titre que les croix, les kippas, les
turbans sikhs ou que d’autres signes (religieux, politiques ,
commerciaux...) ou tenues vestimentaires. Quelle que soit la religion
ou la mode vestimentaire en cause, nous défendrons tou-te-s les
élèves qui sont menacé-e-s d’exclusion au seul motif de leur tenue
vestimentaire.

Second principe : l’égalité de traitement entre hommes et femmes et
la fidélité aux luttes féministes

La loi a été présentée comme une mesure " féministe ", destinée
promouvoir l’égalité entre hommes et femmes en s’attaquant à un
symbole d’oppression. Or, si nous refusons que des femmes soient
tenues de porter le foulard sous la contrainte, nous refusons aussi
que d’autres femmes soient tenues de le retirer sous la contrainte.

Par ailleurs, nous affirmons qu’on ne s’émancipe pas par la
répression mais par la conquête de droits. Les grands combats
féministes n’ont jamais pris la forme d’une demande de répression
contre des femmes : c’est pour gagner des droits (celui de voter, de
travailler, de disposer de leur corps) que les femmes ont toujours
lutté. Une loi qui pénaliserait des jeunes filles quasi-
exclusivement (même si des garçons sikhs peuvent se retrouver
pénalisés également), est un précédent qui, d’un point de vue
féministe, n’augure rien de bon.

Troisième principe : le droit à l’éducation pour toutes et tous

Si nous sommes conscients que c’est bien le foulard qui est au cœur
de la loi et du “ débat ” public, et si nous nous solidarisons sans
hésitation avec les élèves qui souhaitent le porter tout en restant
l’école publique, ce n’est pas au foulard en tant que signe ni au
port du foulard en tant que fait social que nous apportons notre
soutien, mais à des individus et à leurs droits inaliénables . Comme
leur nom l’indique, les collectifs Une école pour tou-te-s se
fondent sur un principe : le droit inaliénable de tous et toutes à
une éducation publique, laïque, gratuite.

Ce principe est certes encore loin dêtre respecté : des
discriminations directes et indirectes excluent de lécole de
nombreuses populations, notamment les élèves sans-papiers ou les
enfants roms - sans parler des filières de relégation, et des plus de
100000 jeunes, très majoritairement issus des classes populaires,
qui sortent chaque année du système scolaire sans aucune
qualification.

À ces discriminations “ systémiques ”, la loi sur les signes
religieux vient d’ ajouter une discrimination légale, officielle et
institutionnelle, qui constitue une légitimation sans précédent de la
logique de l’exclusion et de la ségrégation scolaire.

Selon nous, quoi qu’on puisse penser du foulard et du refus de
l’enlever à l’école, ce refus ne justifie pas une mesure aussi grave
que l’exclusion de l’école publique. Quelles que soient ses
déficiences, le service public d’éducation est un espace
irremplaçable où les élèves peuvent acquérir des savoirs, des savoirs-
faire et des diplômes qui comptent parmi les principaux instruments
de leur émancipation.

L’école publique est aussi l’un des lieux par excellence où peuvent
se côtoyer des personnes d’origines, de cultures et de confessions
différentes, et où peut se faire, au jour le jour, un véritable
apprentissage de la tolérance , du respect mutuel et du dialogue
d’égal à égal.

Le droit à l’éducation pour tous et toutes est donc un acquis
démocratique auquel nous ne sommes pas prêt-e-s à renoncer.

Quatrième principe : la laïcité, garante de la liberté de conscience

La loi interdisant le port de “ signes religieux ostensibles ” a ét
présentée comme un " rappel " nécessaire des principes laïques, qui
auraient été " oubliés " ces dernières années. Or, la laïcité,
définie par les lois de 1881, 1882, 1886 et 1905, constitue une
garantie pour la liberté de conscience et l’émancipation des hommes
et des femmes en dehors du dogme religieux. C’est une obligation qui
concerne les locaux, les programmes scolaires et le personnel
enseignant, et non les élèves. Aux élèves s’imposent des règles comme
l’assiduité à tous les cours ou le respect d’autrui, mais il n’est
pas légitime de multiplier les exigences pour des jeunes en
formation, qui viennent à l’école précisément pour apprendre et se
construire.

Cinquième principe : la pédagogie et le refus des surenchères
répressives

Ce que nous refusons, c’est aussi l’extension des logiques
sécuritaires et punitives à l’ensemble des sphères de la vie sociale,
en particulier dans l’espace scolaire. La loi interdisant le foulard
est en effet une nouvelle étape d’un processus en cours : elle vient
après la création du délit d“ intrusion dans un établissement
scolaire ” en 1998 et la création du délit (passible de prison) d’
outrage à enseignant ” en 2003, alors que sont régulièrement relancés
des projets de pénalisation de l’absentéisme.

Sixième principe : la justice sociale

Ce que nous n’acceptons pas, c’est enfin que la jeune musulmane qui
porte un foulard joue le rôle d’un bouc émissaire, sur lequel on
s’acharne pour mieux oublier les logiques de domination et
d’exclusion qui traversent notre société : libéralisation de
l’économie, chômage de masse, précarisation des salarié-e-s,
extension du contrôle social et des logiques sécuritaires, permanence
des discriminations racistes et de l’inégalité sociale entre hommes
et femmes.

2. Objectifs et formes d’action

2. A. L’objectif ultime : l’abrogation de la loi

Il résulte des principes qui viennent dêtre évoqués que notre
objectif ultime est l’abrogation de la loi interdisant les “ signes
religieux ostensibles ”.

2. B. L’objectif immédiat : la lutte sur le terrain contre les
exclusions

Si nos principes nous amènent à demander l’abrogation pure et simple
de cette loi parfaitement illégitime, notre éthique de la
responsabilité nous oblige à prendre en compte prioritairement la
situation et le point de vue des élèves visés par cette loi, et en
particulier des élèves qui portent un foulard, qui sont les
principales cibles du législateur et des argumentaires favorables
la loi d’interdiction .

Les collectifs Une école pour tou-te-s, réunis en Assises nationales
pour préparer la rentrée 2004, se sont donc donnés comme objectif
principal d’apporter un soutien aux élèves voilées ainsi qu’aux
éventuelles autres victimes de la loi, et de mener une campagne de
sensibilisation afin d’empêcher leur exclusion.

2. C. Notre position sur le recours aux écoles privées ou aux cours
par correspondance

Les collectifs Une école pour tou-te-s se sont également entendus
pour refuser l’hypocrisie qui consiste à renvoyer les élèves vers des
écoles privées ou des cours par correspondance, en prétendant
garantir ainsi leur droit à l’éducation.

Une école pour tous et toutes, c’est une véritable école, publique,
laïque, mixte et gratuite, avec des professeurs, des classes, des
camarades de classe et des cours de récréation. L’école privée ou les
cours par correspondance n’ont de sens que lorsqu’ils correspondent à
un choix de lélève, et non à une obligation imposée par une École
publique qui exclut.

Par ailleurs, toutes les élèves voilées n’ont
pas, loin de là, les moyens de financer une scolarité dans une École
privée.

Enfin, les cours par correspondance ne remplacent en aucun
cas la scolarisation dans une véritable école, ni en termes de
chances de réussite scolaire, ni en termes de socialisation,
d’ouverture sur le monde et dépanouissement.

C’est pourquoi notre combat reste centré sur la scolarisation de tous
et toutes au sein des établissements scolaires publics. Les
discriminations qui peuvent exister dans l’inscription aux cours par
correspondance, dans l’accès des différents élèves aux écoles
privées, ou dans les possibilités offertes aux différentes
confessions d’ouvrir des écoles privées, peuvent être dénoncées, mais
tel n’est pas l’objet des collectifs Une École pour tou-te-s :
convaincus des vertus d’une même école, publique, laïque, mixte et
gratuite, pour tous et toutes, nous nous battons pour que tous et
toutes, sans exception, puissent en bénéficier.

3. Éthique de la responsabilité

3. A. La question des alliances

Il résulte des principes de notre engagement que, de notre point de
vue, toutes les stratégies d’action et toutes les alliances ne sont
pas bonnes. Nous ne pouvons pas nous allier à des forces politiques
qui prennent position contre l’interdiction du foulard mais ne sont
pas claires dans leur condamnation de tous les racismes, du sexisme
et de l’homophobie, ni avec des groupes qui défendent le droit de
porter le foulard sans défendre aussi le droit de ne pas le porter.

3. B. Notre positionnement : respect absolu de libre-arbitre des
élèves

En plus des principes qui fondent notre opposition à la loi sur les
signes religieux ”, notre travail de terrain contre les exclusions se
fonde sur un principe intangible : le respect absolu du libre-arbitre
des élèves, que nous nous engageons à soutenir, sans les juger, quels
que soient leurs choix.

Nous refusons catégoriquement de nous substituer aux élèves concerné-
e-s, et nous condamnons celles ou ceux qui seraient tentés de le
faire.

Nous soutiendrons donc aussi bien celles ou ceux qui ont décidé de
tenir tête, en refusant ouvertement de se plier à une loi injuste,
que celles ou ceux qui ont décidé de passer des compromis (comme
celui consistant à porter un bandana qui ne tombe pas sous le coup de
la loi - puisqu’un bandana ne manifeste pas “ ostensiblement "
l’appartenance à une religion) ; mais nous comprenons également
celles qui feront le choix de céder à la pression et d’enlever leur
foulard .

Nous sommes en effet conscients de la violence des pressions qui
peuvent être exercées par l’Institution et ses représentants, et de
la difficulté de s’y opposer lorsqu’on est un-e adolescent-e ; nous
sommes également convaincus de la nécessité absolue, pour ces
adolescent-e-s comme pour les autres, d’accéder à l’école publique ;
c’est pourquoi nous nous engageons à soutenir celles ou ceux qui
souhaitent garder un foulard, un bandana ou un autre vêtement aussi
longtemps qu’ils ou elles souhaiteront se battre pour le garder ;
si la pression qu’ils ou elles subissent leur devient insupportable
au point qu’ils ou elles préfèrent céder afin de poursuivre leurs
études, nous dénoncerons ces pressions, mais nous respecterons leur
choix.

P.-S.

Des collectifs existent déjà sur : Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nîmes, Paris, Rennes, Rouen, Saint Etienne, Strasbourg, Toulouse, Tours, le 93 Nord et le 93 Sud. Pour entrer en contact avec ces collectifs, écrire à cedetim@reseau-ipam.org. Pour monter un collectif dans d’autres villes, il faut adhérer à la présente charte, et entrer en contact avec la coordination nationale à la même adresse.

Notes

[1Notamment : Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nîmes, Paris, Rennes, Rouen, Saint Etienne, Strasbourg, Toulouse, Tours, 93 Nord et 93 Sud. Pour entrer en contact avec ces collectifs, écrire à cedetim@reseau-ipam.org. Pour monter un collectif dans d’autres villes, il faut adhérer à la présente charte, et entrer en contact avec la coordination nationale à la même adresse