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Chronique de l’arbitraire

L’exclusion des « mamans voilées », de Montreuil à Echirolles (2004-2005)

par Ismahane Chouder, Malika Latrèche, Pierre Tevanian
22 mars 2014

la chronologie qui suit est loin d’être exhaustive, mais elle donne un aperçu des discriminations dont ont été victimes les mères d’élèves musulmanes portant le foulard à partir de la rentrée scolaire 2004, du fait d’une application sauvage de la loi du 15 mars 2004 [1]. Des discriminations qui se sont généralisées avec la circulaire Chatel, et qui perdurent encore aujourd’hui, sous le règne de Vincent Peillon.

Montreuil. Les accompagnateurs ne doivent pas afficher leur croyance. AFP, 16 septembre 2004 (extraits). Le député-maire de Montreuil (Seine-Saint-Denis) Jean-Pierre Brard (apparenté PCF), a rendu publique jeudi une lettre envoyée cet été aux directeurs d’école de la ville, rappelant que les accompagnateurs de sorties scolaires ne doivent pas « afficher leurs croyance ». Selon le maire, « même quand des personnes sont bénévoles, elles ont un statut d’agent bénévole de l’Education nationale ». « Les règles concernant l’absolue neutralité des personnes est une exigence qui a été réaffirmée par la loi », ajoute la lettre.

Villemomble, Nanterre, Romans sur Isère. Des établissements refusent les femmes voilées lors de sorties. Ludovic Blecher, Libération, 12 octobre 2004 (extraits). Le ministère de l’Education nationale a beau être catégorique, assurant qu’il est « absolument illégal d’empêcher les mères voilées d’accompagner les enfants », il n’empêche : à plusieurs reprises, certaines mères se sont vu opposer une fin de non-recevoir. De fait, le libre arbitre du chef d’établissement et des rectorats semble prévaloir. Quinze jours après la rentrée, le problème s’est posé dans une école primaire de Villemonble (Seine-Saint-Denis) […] L’inspectrice de l’Education nationale est saisie. Elle fouille les textes et, au final, fait rectifier le tir en autorisant la présence de l’accompagnatrice voilée. Dans une académie voisine, à l’inverse, on assume les interdits. L’explication du rectorat des Hauts-de-Seine témoigne pour le moins d’une mauvaise lecture de la circulaire d’application de la loi du 15 mars qui, d’après le texte, « ne concerne pas les parents d’élèves » : « L’an dernier, nous avons étudié le problème des sorties. La décision de l’inspecteur de l’Education nationale en charge de la circonscription de Nanterre a été de refuser aux femmes voilées d’accompagner les enfants. La loi sur la laïcité ne mentionnant pas les parents, il n’y a pas à revenir sur cette décision. » […] Lorsque Nabila, 27 ans, a été prévenue par la directrice de l’école maternelle de Romans-sur-Isère (Drôme) qu’elle ne pourrait pas conduire la classe de ses enfants à la bibliothèque, elle a bondi de colère […] Un courriel envoyé en juin par le chargé REP et politique de la ville à l’inspection académique de Valence a semé le doute dans la tête des directeurs d’école concernés. Extrapolant une déclaration du ministre de l’Education nationale précisant que les mères pouvaient accompagner leurs enfants à la maternelle dans la tenue de leur choix entre 8 h 30 à 9 heures, il a estimé qu’en dehors de ces horaires il fallait bannir le voile. D’où la position d’une directrice, un peu déboussolée : « J’applique la loi, j’interdis toutes les accompagnatrices voilées. » Jusqu’à ce que le rectorat, saisi peu après de l’affaire, reconnaisse, la semaine dernière, « un problème d’interprétation très local » et rappelle « clairement que la loi du 15 mars ne s’applique pas aux parents d’élèves ».

Torcy. Les mamans voilées privées de sorties. Le Parisien, 6 décembre 2004 (Extraits). Une maman voilée a-t-elle, oui ou non, le droit d’accompagner une classe lors d’une sortie scolaire ? Le cas de Bachra, à Torcy, qui s’est vu refuser cette autorisation, alors qu’elle accompagnait des classes de l’école du Clos à Torcy depuis douze ans (Le Parisien du samedi 20 novembre) soulève cette question épineuse. Selon le ministre de l’Education nationale, François Fillon, c’est oui. « La loi sur les signes religieux à l’école ne doit pas s’appliquer aux adultes qui ne font pas partie de la communauté éducative, tels que les parents d’élèves. » Mais Robert Roujas, inspecteur de l’Education nationale de Torcy, a une tout autre lecture des directives. Il a reçu une délégation de parents d’élèves à Torcy et voilà ce qu’il leur a dit. « Tout directeur d’école doit apprécier le contexte dans lequel se situe la demande - pas illégitime - mais s’il s’aperçoit que quelques troubles pourraient survenir, son devoir est d’adopter la prudence et de garantir la neutralité, c’est-à-dire de refuser la participation d’une personne voilée […] ».

Nanterre. La question des mères voilées donne lieu à des interprétations.. AFP, 7 décembre 2004 (extraits). Une quarantaine de mères voilées se sont rassemblées mardi devant l’école primaire Voltaire de Nanterre pour protester contre l’interdiction qui leur est faite d’accompagner les enfants pendant les sorties scolaires, a constaté un journaliste de l’AFP. […] La manifestation avait été organisée par le Collectif pour la dignité des mères parents d’élèves (CDMPE), une association locale créée à Nanterre « lorsque les choses ont commencé à devenir pénibles », selon sa présidente Farida Benmerabet. « Six écoles sur 42 à Nanterre discriminent les mamans portant un foulard lors des sorties scolaires, sur décision des directeurs d’établissement et des inspecteurs d’académie : les écoles Voltaire, Henri Wallon, Soufflot, Casanova, Joinville et l’école du Centre », a-t-elle affirmé. De son côté, la direction de l’école Voltaire a assuré mardi à l’AFP qu’ « il n’y avait plus d’interdiction ». Contacté par l’AFP, l’inspecteur d’académie des Hauts-de-Seine, Jean-Michel Sivirine, a affirmé avoir « explicitement demandé en septembre au directeur de l’école Voltaire qu’il n’y ait aucune interdiction d’aucune sorte, pour les mères voilées ou non ». « La réglementation ne nous permet pas d’interdire l’accompagnement par des mères voilées », a ajouté M. Sivirine. Pour autant, l’école Soufflot de Nanterre applique une interdiction d’accompagnement aux mères voilées, « conformément à une directive de l’Inspecteur d’éducation nationale départemental », a assuré à l’AFP une source qui a requis l’anonymat. « L’Inspecteur nous a dit qu’il valait mieux éviter que des mères voilées accompagnent des sorties scolaires, selon le principe de la neutralité religieuse. Nous appliquons cela depuis septembre dernier », a précisé la même source. « Officiellement il n’y a pas d’interdiction », a expliqué à l’AFP l’inspecteur concerné, René-Pierre Rabaux. « Il est certain qu’il y a un malaise sur le sujet », et l’absence de mention des parents lors des sorties scolaires dans la circulaire d’application de la loi laïcité « en est la cause », a-t-il estimé.

Echirolles. Mères voilées interdites de sorties scolaires : protestation dans l’Isère. AFP, 3 juin 2005 (extraits). Une trentaine de femmes portant un foulard islamique ont manifesté vendredi dans la cour d’une école primaire d’Echirolles (Isère) pour protester contre l’interdiction pour les mères voilées de participer aux sorties scolaires, a-t-on appris auprès du directeur de l’école. Le directeur de cette école accueillant 310 élèves, Bernard Freydier, a expliqué à l’AFP que ces femmes, en tant que mères d’élèves, avaient parfaitement le droit de porter le voile lors de leur contacts avec l’école, mais que la situation était différente lorsqu’elles devenaient intervenantes. […] Au contraire, l’inspecteur d’académie de l’Isère, Jacques Aubry, a déclaré à l’AFP que le texte sur la laïcité s’appliquait aux seules personnes payées par l’éducation nationale. « On demande seulement aux bénévoles d’avoir une tenue correcte et de respecter en parole leur devoir de neutralité, ce qui signifie que ces femmes ont le droit de venir avec leur voile », a-t-il expliqué. Le directeur de l’école reste opposé à l’avis de l’inspecteur d’académie, en s’appuyant sur une circulaire expliquant que les directeurs d’école « avaient le devoir de s’assurer des qualités morales et laïques des intervenants ».

Notes

[1Loi interdisant le port du foulard chez les élèves de l’enseignement publicdu primaire et du secondaire.