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Court instant d’émeute

par Mustapha Kaouah
2 mars 2006

Nous publions, dans cette nouvelle rubrique « Fictions », un récit que Mustapha Kaouah a écrit à base de faits réels survenus à Vaulx-en-Velin au mois de novembre 2005.

Le jour des faits, il avait quitté le lycée pour rejoindre ses copains. Elève en première, ses résultats étaient moyens. L’école n’étant pas son souci principal, Ali préférait la compagnie de ses copains : musique, Play-station, déconnades et parties de fou-rire étaient le quotidien de cette bande de jeunes qui croît dur comme fer en l’amitié.

Ce soir là, il trouva ses amis dans un état fébrile. Ca parlait politique, de Sarkozy et de son de karcher mais surtout des jeunes qui sont passés à l’action dans la banlieue parisienne. Ali n’aimait pas trop parler "intello", il préférait plutôt faire des commentaires pertinents sur les joutes victorieuses de l’OL. D’ailleurs, il ne ratait pas un match à domicile, son bonheur c’est le virage nord des "bad gônes" des gradins du stade Gerland.

Quand un de ses deux copains suggéra qu’ils devaient faire quelque chose pour exprimer leur solidarité avec les émeutiers, il rigola. "T’es pas sérieux Fabien, on peut rien faire, ça grouille de flics !" Yilmaz, le troisième du groupe, écouta avec attention en regardant fixement le bout maculé de ses baskets. Fabien, nullement impressionné par la réplique d’Ali, rétorqua "Je crois que j’ai à faire à des poules mouillées !" Vexé Ali sans réfléchir répondit "Ok ! Faisons quelque chose mais tout de suite car j’ai mes devoirs à faire tout à l’heure et mes parents ne veulent pas que je rentre tard !"

Il dévisagea Yilmaz son ami d’enfance qui opina du chef et dit : "J’ai une idée de tonnerre, et si on brûlait un bus ?" "C’est un bon plan !", enchaîna Fabien. Et voila le trio devenu commando de choc. Incendier un bus, paraissait un acte excessif aux yeux d’Ali mais il ne laissa rien paraître de son malaise. Yilmaz était transformé. D’une voix ferme, il dicta aux deux autres ses ordres. Pour quelqu’un qui avait quitté le collège en troisième, il y a deux ans, il semblait bien informé sur le mode opératoire. Il faut dire que la rue est une rude école. Fabien, était hilare ! "Tout le quartier va voir de quoi nous sommes capables, même les grands nous respecteront après ce coup d’éclat".

Ali regarda sa montre, il était 17h30. Il ne pouvait invoquer un prétexte pour fausser compagnie." Faisons vite, je dois être à 18h30’ à la maison, j’ai cours de maths avec un étudiant !" dit-il gêné. En un tour de main, Yilmaz siphonna du super d’une voiture à l’arrêt sur le parking. Ali le suivait des yeux sans brancher. Approvisionné en essence, le groupe se dirigea vers le premier arrêt de bus venu.

Fabien s’était arrêté de rigoler, il sentait que l’instant était grave. Yilmaz bloqua le premier un bus et avec rudesse força le chauffeur à céder sa place. Il prit le volant et mis véhicule sur le bas côté afin de l’éloigner des lieux d’habitation. Ali s’introduisit avec Fabien par l’issue arrière de l’autobus. D’une voix éraillée par la peur, il intima aux passagers de descendre. "Faîtes vite, nous allons brûler le bus !"

Les usagers ne se firent pas prier mais une dame âgée, prise de panique resta interdite. Ali s’approcha d’elle et lui donna la main et d’une voix calme lui dit : "N’ayez pas peur madame, venez avec moi, je vais vous aider à descendre !" Fabien commença à asperger d’essence les sièges du fond. Une fois qu’Ali eu fini de faire descendre la personne âgée par la porte avant,

Yilmaz alluma son briquet et mit le feu. Tous les trois quittèrent les lieux en courant. Le feu tarda à prendre, seule une grosse fumée se dégagea des vitres ouvertes. Alors, le chauffeur, avec sang froid remonta dans son bus et avec l’extincteur de service éteignit le foyer des petites flammes. Seuls deux ou trois sièges furent carbonisés.

Essoufflés par leur course éperdue, les gamins se réfugièrent dans le fast -food du quartier. Ali avait la bouche sèche et tremblait de peur."Ouf, je n’ai croisé personne que je connaisse !" Pour se calmer, il commanda un Pepsi et prit place devant un jeu électronique. Il voulait fuir la réalité car il savait qu’il venait de commettre une grosse bêtise, un lourd délit.

Par contre, ce qu’il ne savait pas lui et ses deux comparses, c’est que le bus n’avait pas du tout brûlé. Les policiers dépêchés immédiatement sur les lieux, avaient également mis la main sur la vidéo de leur forfait. La discrète caméra embarquée à l’avant du bus avait tout enregistré. Elle allait déclencher la machine judiciaire et ainsi dévier le cours de leur vie de gamins !