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De quoi « littéraire » est-il le nom ?

L’affaire Marcela Iacub, ou quand le jugement esthétique vole au secours du masculinisme

par Faysal Riad
25 février 2013

Un mot revient sans cesse pour vanter les mérites du livre de Marcela Iacub racontant son « expérience » avec Dominique Strauss-Kahn : « un objet littéraire qu’on ne peut ignorer » (Nouvel obs) ; une « performance littéraire inédite » (Libération), etc. La qualité principale de l’ouvrage résiderait donc, selon ses défenseurs, dans son caractère « littéraire », qui l’emporterait sur toute autre considération. Exit toute réflexion sur sa vision antiféministe et fascinée par la libido masculine, qui explique que l’essayiste ait systématiquement pris la défense de DSK depuis son arrestation à New York.

Quelle que soit la théorie de la littérature à laquelle on se réfère, il reste pourtant fondamental que la « littérature » puisse être jugée subjectivement par les un-e-s et les autres comme intéressante ou inintéressante, bonne ou mauvaise, originale ou dans l’air du temps, et que toute sa place soit faite au jugement politique, c’est-à-dire en fonction de la vision du monde qui se dégage de l’oeuvre et selon une logique qui peut parfaitement s’étudier rationnellement, comme progressiste ou réactionnaire, de gauche ou de droite, révolutionnaire ou fasciste.

Qu’un texte soit qualifié de « littéraire » pour des raisons plus ou moins bonnes par des « professionnels de la littérature » ne peut logiquement pas l’empêcher d’échapper au jugement indissociablement éthique et esthétique. Ce qui est donc en jeu, ce n’est pas seulement ce que l’on entend par « critique » mais aussi sa confiscation par une élite. La réaction de l’éditocratie à la sortie du livre de Iacub démontre que le monopole intimidant que lesdits professionnels cherchent à maintenir sur la critique littéraire vise bien à empêcher le public de qualifier le texte d’odieux, laid, insupportable et/ou réactionnaire.

Je ne veux pas savoir si « l’expérience » de Marcela Iacub est bien « littéraire » ; cette question n’a aucun intérêt. Bagatelle pour un Massacre ou Mein Kampf pourront toujours être étudiés du point de vue de la syntaxe ou d’autre chose – puisqu’il s’agit de textes qui pourraient aussi être qualifiés par certains de « littéraires » selon certaines définitions – cela ne m’empêchera pas d’avoir la nausée à l’évocation du nom de leur auteur.

En revanche, ce que nous remarquons de façon flagrante, c’est que le terme « littéraire » revient presque systématiquement sous la plume de certains professionnels cherchant à défendre des textes dégoûtants.

Or ce terme employé comme une qualité excusant « le reste » présente un double problème :

1. En admettant qu’il s’agisse bien de littérature, en quoi cette « qualité » (au sens d’ensemble de caractères et de propriétés) est-il un gage de « qualité » (au sens de « chose supérieure ») – et de qualité propre à excuser, voire justifier, des éléments par ailleurs tout à fait odieux ? Peut-on justifier une politique, ses effets, ses conséquences etc, en se contentant de rappeler son caractère politique ?

2. Si l’on part du principe que le caractère littéraire donne un statut particulier à un texte, on doit alors s’interroger sur la légitimité d’un tel classement. Qui décide du caractère littéraire d’un texte ? C’est-à-dire, dans les faits, de la possibilité ou non pour le public de vomir son message ? Il ne s’agit nullement de « lyncher » ou « d’emprisonner » qui que ce soit comme se plaisent à le prétendre les dominants lorsque nous osons porter un jugement sur leurs actes ou leurs paroles – nous sommes loin d’en avoir la possibilité de toute façon. Il s’agit simplement de comprendre que le caractère « littéraire » fonctionne dans certains champs comme moyen de légitimation intimidante, disqualifiant toute critique (qu’on fait passer pour inculte ou insensible aux beautés) de textes qui nous insultent, nous humilient ou, dans certains cas, prônant carrément notre extermination.

Un moyen de réhausser, d’anoblir ce que le vulgaire (c’est-à-dire un grand nombre de ceux et celles qui pourraient lire le livre de Iacub, au-delà du petit cercle des chefs de rubrique de Libération ou du Nouvel Observateur) juge ignoble.