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Des mots disparaissent

Sur l’usage à géométrie variable des mots « attentat » et « terrorisme »

par Sebastien Fontenelle
29 octobre 2019

« Les faits commis à la mosquée de Bayonne émeuvent et indignent chacun d’entre nous », dit Castaner ; « Deux blessés par des tirs aux abords de la mosquée », titre le Monde. Comment se nomment ces faits, qui a les commis, qui a tiré ? Une fois encore, des mots disparaissent, comme l’analysait déjà Sébastien Fontenelle en 2017, dans un précieux article que nous republions ici

J’ai quand même l’impression que si un mec essayait de lancer sa voiture dans une foule de fidèles, à la sortie d’une église, un dimanche matin, en gueulant par exemple des trucs à base d’ «  akbar » : ça lèverait une assez vive émotion dans la presse et les médias dominants (LPELMD), où l’on n’hésiterait probablement que fort peu à parler d’une «  tentative d’attentat » - puis à convoquer quelques savants fameux à la fin de leur faire répéter pour la cent millième fois qu’il serait plus que temps d’« ouvrir l’islam contemporain pour lutter contre le djihadisme », etc.

Je dis ça parce que l’autre jour – c’était jeudi dernier, 29 juin 2017 -, un mec en 4x4 a tenté « à plusieurs reprises » de rouler dans les musulmans réunis, après la prière, devant la mosquée de Créteil (Val-de-Marne), qui était heureusement protégée par des plots et des barrières.

Mais dans ce cas, très curieusement – et à s’en tenir aux titres des rares articles consacrés à cet assaut : LPELMD n’ont pas du tout considéré qu’il s’agissait d’une attaque terroriste. France Info, par exemple, a tout de suite jugé, avant de passer vitement à de plus graves sujets, qu’il y avait plutôt là quelque chose comme une regrettable faute d’inattention du conducteur qui avait « percuté en voiture les barrières de protection de la mosquée », cependant que Le Figaro, très brièvement, concédait de son côté que l’intéressé avait bel et bien « foncé » intentionnellement, mais « dans les barrières », et non dans des mahométans, merci de ne pas tout confondre.

(Par contraste, lorsqu’en septembre dernier des bonbonnes de gaz avaient été découvertes dans une voiture non loin de Notre-Dame de Paris – ou quand, plus récemment, « un islamiste radicalisé a foncé avec sa voiture chargée d’une bonbonne de gaz et d’armes sur des gendarmes sur les Champs-Élysées » [1] : LPELMD avaient, à raison, parlé, dans leurs gros titres, de « tentatives d’attentat » et de «  terrorisme ».)

Et quant aux chaînes de télévision dites « d’info » : elles n’ont tout simplement pas mentionné l’attaque de Créteil [2], qui aurait pu se terminer par un abominable carnage.

Adoncques : lorsqu’un projet de tuerie – dans laquelle d’autres musulman-e-s compteront possiblement au nombre des victimes - peut être attribué à des mahométan-e-s, il est distinctement nommé pour ce qu’il est par les forgerons de l’opinion.

Mais si ce sont les fidèles d’une mosquée qui sont visés, et si, par conséquent, il n’est pas possible d’incriminer « l’islam » : les mots qui disent ordinairement la terreur, soudain, disparaissent – puis l’événement lui-même est diligemment occulté.

Comme si, décidément, certaines vies valaient tellement moins que d’autres.

P.-S.

Cet article est initialement paru dans le numéro 156, juillet-août 2017, de CQFD.

Notes

[1Le Point, 20 juin 2017.

[2Arrêt sur images, 30 juin 2017.