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Des questions, des problèmes, des efforts et de l’accueil

Les leçons de tolérance de Père Abbé, moine de l’Abbaye Notre-Dame de Tamié (Haute Savoie)

par Sylvie Tissot
31 décembre 2010

Même non-croyant-e, quiconque n’est pas un-e irréductible bouffeur ou bouffeuse de curés peut prêter une oreille sympathique au message que délivre l’Eglise catholique en cette période de fin d’année : tolérance, solidarité envers les plus démunis, compassion pour les souffrances du monde entier et refus de la guerre. Mais il semblerait que le Dauphine Libéré préfère donner la parole à des catholiques animés par la méfiance de l’étranger plutôt que par l’amour du prochain...

C’est en tous cas ce qui nous est apparu en lisant l’entretien donné ce 24 décembre 2010 au quotidien du Sud-Est par un moine – le Père Abbé – que l’on préfèrerait, du coup, plus occupé à faire sa tome de Savoie qu’à commenter l’actualité :

« Quand, dans le métro par exemple, on entend parler arabe, je reconnais que ça peut ne pas nous laisser insensibles »  [1]

« Ça », donc, peut... ne pas... laisser insensible ! Que veut-on nous dire à travers cette laborieuse périphrase en forme d’euphémisme ?

« Ça pose des questions », ajoute-t-il. Mais ce que nous propose Père Abbé est en fait moins une question qu’une réponse, conforme à celles qui ont été données dans le cadre du « débat sur l’identité nationale » lancé l’année dernière par le gouvernement. Et cette réponse est claire : oui, il est pénible d’entendre parler arabe, de voir des Arabes, de prendre les transports en commun avec des Arabes.

Et surtout : oui, il est légitime de le dire et de l’exprimer.

C’est ce qui est effrayant dans ces quelques lignes : l’approbation implicite à une vision du monde qui le divise entre un « on » national et ceux qui, par le simple son de leur voix et de leur langage, nous dérangent.

Mais rassurez-vous, la charité chrétienne de notre serviteur de Dieu n’est pas totalement prise en défaut. Car, ajoute-t-il, il y a tout de même 

« cet homme africain qui a aidé à porter la valise d’une veille dame » .

Ou encore 

« cette dame qui parlait anglais et arabe à son enfant et qui m’a répondu en français ».

Preuve que certains « font des efforts ».

Une charité chrétienne toute en mesure, comme on peut le voir. Car est-ce autre chose que la docilité qui est appréciée chez les Africains, lorsqu’ils doivent porter la valise d’une vieille dame pour qu’on les considère avec sympathie ?

Et quelle autre vision de l’étranger, chez notre bon moine, qu’une injonction pure et simple à l’assimilation, qui passe par l’oubli de sa langue maternelle et l’usage exclusif du français ? On pouvait se réjouir que l’Eglise s’avère soudainement moins obsédée par la langue latine. Mais qu’elle abandonne le service en latin pour ce culte du français n’est assurément pas une bonne nouvelle.

En d’autres temps et sous d’autres cieux – ou même ici et maintenant, mais loin des journaux et des caméras – certains chrétien-ne-s ont su délivrer un message plus généreux, plus universaliste, plus internationaliste...

Lorsqu’enfin on entend ce moine catholique parler des « problèmes d’immigration », on ne peut que s’interroger et finalement regretter que le retrait loin du monde aboutisse à une vision si sélective des « problèmes » – ou bien : que cette retraite n’ait pas été accompagnée d’une égale prise de distance avec la vision télévisuelle et éditocratique du monde. Car prompt à souligner les problèmes que posent les immigrés, Père Abbé n’évoquera jamais, en cette veille de Noël, ceux que lesdits immigrés subissent au quotidien en France : le racisme, les discriminations au faciès, les emplois mal payés...

« Il faut savoir accueillir », conclut celui qui dirige la communauté de Tamié. Oui, mais à condition de montrer patte blanche, de faire profil bas et… de parler français. Bien loin sans doute du message de Jésus.

Notes

[1Entretien réalisé par Laurence Veuillen, Le Dauphiné Libéré, 24 décembre 2010.