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Qu’est-ce qui ne va pas avec le droits-de-l’hommisme ?

par Antoine Math
31 octobre 2019

Les "Droits de l’homme" ont pu être, au cours de l’histoire, légitimement critiqués – par exemple quand ils ont servi de légitimation, pour une caste "pleinement humaine", "adulte et civilisée", et lui donner tous les droits, y compris – et surtout – celui d’asservir une "sous-humanité" inachevée : en particulier le prétendu "sexe faible" ou les prétendues "races inférieures". En d’autres termes, on a pu légitimement viser, derrière "les Droits de l’Homme", une conception partielle, partiale et raciale consistant à ne défendre, sous ce label, que "les droits de l’homme blanc"  [1] – ou encore ceux de la gente masculine. Mais tel n’est pas aujourd’hui, et depuis belle lurette, le coeur de cible des pourfendeurs du "droits-de-l’hommisme" : ce qui est visé désormais sous cette appellation est presque le contraire : l’idée simple, mais fondamentale et précieuse, suivant laquelle le seul fait d’être humain donne à chacun et chacune, quelles que soient leurs appartenances nationales ou religieuses, quels que soient leur sexe, leur race ou leur classe, quelques droits fondamentaux, auxquels le Droit positif ne saurait déroger, fût-il produit par un Parlement régulièrement élu. C’est cette boussole éthique et politique élémentaire qui, de plus en plus, est tournée en dérision, voire ridiculisée. Par l’extrême droite depuis des décennies, par la droite depuis un certain Sarkozy, comme le rappellent les lignes qui suivent, écrites il y a près de vingt ans – et même, aujourd’hui, dans les colonnes de Valeurs actuelles, par... le président Macron.

Dans Le Monde daté du 24 octobre 2002, Sarkozy utilise l’expression droits-de-lhommistes pour railler les associations opposées au projet de loi sur la sécurité intérieure. Je ne suis pas certain à 100% que ce néologisme, et l’expression droits-de-lhommisme qui va avec, ait été inventé par Le Pen lui-même, mais c’est ce dernier qui n’a cessé de l’utiliser depuis un certain nombre d’années et qui l’a fait connaître. Que Sarkozy, dans un entretien "relu et amendé par le ministre", utilise cette expression n’est pas anodin selon moi. Il est d’ailleurs curieux que le néologisme droits-de-lhommiste soit utilisé dans un sens dénigrant voire infamant. Sans ce détournement lepéniste, je me reconnaîtrais volontiers du droit-de-lhommisme. Non seulement Sarkozy utilise une expression clairement frappée de la marque nationale-frontiste, mais il l’utilise aussi dans le même sens, contre les droits de l’Homme. L’expression "droits de l’homme" est d’ailleurs, quant à elle, utilisée entre guillemets dans cet entretien relu et amendé, une façon très claire de marquer sa distance.

En 1998, lorsque Balladur avait lancé que la préférence nationale était une idée méritant d’être étudiée, notamment pour les prestations familiales, Sarkozy avait immédiatement suivi malgré le tollé général : "cela me choque d’autant moins que l’on discute tranquillement de la préférence nationale, qu’elle existe dans la fonction publique (Référence aux emplois fermés ou discriminations inscrites dans les textes, qui sont donc être le modèle à suivre selon Sarkozy)" [2].

Rapprochements hâtifs de choses n’ayant rien à voir ? peut-être. Mais les idées d’extrême droite ne viendront plus forcément de personnes brutales, agressives, vulgaires et au passé inquiétant voire caricatural (cf. Le Pen). En Italie, en Autriche ou au Danemark par exemple, l’extrême droite a appris à se relooker pour mieux rassurer et séduire. Est arrivée une nouvelle génération de politiciens polis, cultivés, souriants, favorables au dialogue, etc. bref plein de ces qualités (apparences ?) qui semblent faire l’admiration de tous.

Ce sont les mots, et les idées qu’ils véhiculent, qui sont importants.

Notes

[1Telle fut par exemple la célèbre critique d’Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme : "Et c’est là le grand reproche que j’adresse au pseudo-humanisme : d’avoir trop longtemps rapetissé les droits de l’homme, d’en avoir eu, d’en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste."

[2Le Monde, 16 juin 1998