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« Femmes, je vous aime »

Lettre ouverte à Stéphane Guillon

par Anne Leïla Ollivier
3 avril 2010

Partie quelques semaines à l’étranger, et débarquant alors que la Sarkozie se trouve en pleine guéguerre Guillon / Besson, je me précipite avec délectation sur le site de France Inter pour écouter les chroniques que j’ai ratées. Pif, paf, boum, je retrouve usage de mes zigomatiques, je suis quelque peu consolée, qu’est-ce qu’il prend le déportateur en chef ! Merci camarade, ça fait du bien. J’imagine la joie du sans-papiers lorsque, prenant en ligne de mire Besson après Hortefeux, tu étrilles la politique raciste de ces tristes sires, ou du rescapé de Kaboul lorsque tu rappelles leur empressement à renvoyer les Afghans dans un pays à feu et à sang. Et celle aussi du fonctionnaire décrié, du retraité méprisé, du jeune pointé du doigt qui au fil des mois peuvent se dire que sur leur radio du service public, un trublion est de leur côté, criant contre les loups dans le marigot médiatique. Et puis je remonte les semaines, et arrive à ta chronique du 9 mars...

Chouette me dis-je, à notre tour les filles, Guillon va les faire frémir cette bande de machos, et de la fille renvoyée du lycée parce qu’elle porte un foulard à l’employée harcelée, en passant par les milliers d’éclopées conjugales et aux autres milliers qui se font quotidiennement traiter de salopes dans tous les coins du pays, on va rigoler nous aussi !

On va en entendre : Guillon sait se documenter, il va nous ressortir les propos les plus merdeux de nos virils épouvantails contemporains, il va se pencher sur les lois sexistes, il va pourfendre un système qui met en avant quelques femmes en coupe réglée pour faire croire qu’elles ont leur part du pouvoir, il va puiser dans l’histoire pour rappeler les propos haineux d’un Baudelaire ou d’un Schopenhauer — bref, il va encore tirer juste et fort.

Et ben non, hélas. Tu ouvres sur Julien Clerc, Femmes je vous aime — on est d’emblée frappée de tant d’originalité — puis tu signales que tu vas faire un papier « d’une misogynie crasse » et… tu tiens parole. Ton papier est non seulement misogyne, mais d’un éculé déprimant. Combien de temps as-tu ruminé, Stéphane, pour pondre des vannes comme

 « la Cécile Duflot pas épilée sous les bras »  ?

 « l’Alliot-Marie dominatrice BCBG »  ?

 « la Morano coincée du cul » ?  ?

Comment as-tu pensé à comparer un homosexuel à une femme — personne n’y avait encore songé, cette audace nous émeut. Tu crois te justifier par un laborieux :

« C’est pas de ma faute, on instaure une ségrégation, je suis le mouvement ».

Ah bon ? Suivre le mouvement, c’est pour cela qu’on te paie ? Qu’on t’écoute ? Ben alors, Stéphane, quand tu parles des étrangers, pourquoi ne commences-tu pas par annoncer une chronique raciste « crasse » et nous envoyer du Mamadou qui aime les bananes, d’ailleurs il en a une grosse, ou Mohammed qui est fourbe et cruel ? Ca ne serait pas drôle ? Où situes-tu la différence ?

Derrière toi, les rires (plutôt masculins, non ?) fusent dans le studio. Il faut dire qu’ils ont dû être soulagés à France Inter. Ouf, ce n’est pas aujourd’hui que l’invité va s’énerver et que le patron devra présenter ses excuses au ministère… Ce jour-là Stéphane, tu as même dû faire rire un paquet de mâles : du FN au NPA en passant par l’UMP, de Hess à Val en passant par Zemmour, ça m’étonnerait que beaucoup t’en aient voulu. L’union sacrée des mecs qui en ont, ça fâche qui ?

Mais je me demande combien d’auditrices fidèles, constatant une fois de plus qu’un type intelligent se transforme en réac lorsqu’il parle des femmes, ont fermé l’ordi, ressorti un vieux disque d’Henri Tachan — cet homme qui sut écrire un texte drôle et vengeur en se mettant de leur côté (Les z’hommes) — et se sont mises à chanter à tue-tête en pensant à toi :

« Ils se racontent leurs conquêtes, leurs péripéties de braguette, dans des gros rires à la buvette, les z’hommes… ».

Moi, c’est ce que j’ai fait.