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Feu au centre de rétention ! (Deuxième partie)

Des sans-papiers détenus prennent la parole

par Libertalia
18 mars 2010

La surenchère répressive se poursuit : ce mercredi 17 mars 2010, le tribunal correctionnel de Paris vient de condamner à des peines de prison ferme allant de 8 mois à 3 ans dix étrangers en situation irrégulière poursuivis pour l’incendie en 2008 du centre de rétention administrative de Vincennes. Leurs avocats avaient claqué la porte du Tribunal le 1er février dernier en dénonçant l’iniquité de ce procès symbole, selon eux, d’une politique d’immigration inquiétante du gouvernement. Ils avaient notamment reproché au tribunal de ne pas avoir ordonné le supplément d’information qu’ils réclamaient, en particulier une enquête de personnalité des prévenus, un transport sur les lieux et une expertise technique des locaux. Durant les six mois qui avaient précédé cet incendie, le 22 juin 2008, le centre de rétention administrative de Vincennes avait connu un mouvement de révolte continu, relayé par une forte mobilisation. Devant le centre, les manifestations, les rassemblements, les concerts et les parloirs sauvages s’étaient multipliés. En parallèle à ces différentes initiatives, un collectif informel de militants avait décidé de téléphoner régulièrement aux retenus et de publier leurs témoignages, d’abord sur Internet, puis dans le recueil Feu au centre de rétention, paru récemment aux éditions Libertalia, que nous recommandons vivement. En re-voici quelques extraits.

Première partie

Vendredi 14 mars

« Un chien, on ne le traite pas comme ça. Nous aussi, on a le droit de vivre sur terre. Ils ne nous respectent pas. Je viens de m’embrouiller avec un flic. Un homme parmi nous est gravement malade. Il a une pneumonie depuis 2003. Il est venu en France pour consulter un médecin. Ils l’ont arrêté le 20 février. Il a un certificat médical attestant qu’il est malade mais ils s’en moquent. Le médecin du centre lui a juste donné du paracétamol. Le monsieur n’arrive pas à respirer et ils ne veulent pas le soigner. »

« Cela fait douze jours que je fais la grève de la faim. Mon père est français. Il a été amputé de ses deux jambes. Je suis venu en France pour m’occuper de lui. La Cimade a écrit au juge, mais il a demandé que je reste encore quinze jours ici. »

On nous passe un détenu qui est avec la personne en grève de la faim :

« Il fait la grève de la faim depuis neuf jours. On le force à boire de l’eau sucrée. Sa tension chute, mais l’infirmière s’en moque. Il a 56 ans. La bouffe est immangeable. On nous donne des barquettes qui périment le lendemain. Ici, c’est crade. J’ai chopé des champignons. Les serviettes ne sont changées qu’une fois par semaine. On nous donne des draps une seule fois, à notre arrivée. Ils nous mettent des coups de pression : ils entrent dans les chambres en pleine nuit. »

Lundi 7 avril

« Tout le monde est fatigué. On reste dans nos chambres. On sort juste pour aller chercher de l’eau, pour fumer ou pour aller à la Cimade. Certains sont en grève de la faim. D’autres mangent. Moi je continue la grève de la faim. Hier, il y a eu des blessés dans le CRA 2 suite aux affrontements. On a escaladé un muret et on leur a demandé ce qui s’était passé. Les flics ont utilisé leurs matraques et du gaz lacrymogène. Dans notre centre, la police prétend qu’il ne s’est rien passé, qu’il n’y a pas eu de blessés, que ça ne sert à rien de faire la grève de la faim et que de toute manière, personne ne nous entend dehors. »

« Le comportement des flics a changé depuis deux jours. Quand on leur demande du feu pour allumer une cigarette, ils ne nous en donnent plus. Ceux qui ont déchiré leur carte n’ont plus droit aux visites. La situation s’est aggravée. On continue à se réunir. On se parle régulièrement. On s’est révoltés suite à des discussions entre nous. On ne supporte plus la nourriture qu’ils nous donnent. Elle est dégueulasse. »

Mercredi 9 avril

« La grève de la faim est terminée des deux côtés. Des groupes mangeaient. Les gens en ont eu marre. Chacun prépare son audience ou sa sortie, ce n’est plus collectif. Tout est fini, et il n’y a rien au bout. On continue à se réunir, même si on n’a plus revu les gens qui ont organisé la première lutte. Les flics ont transféré les fortes têtes dans un autre bloc. Un matin, à 4 heures, ceux qui allaient être expulsés nous ont réveillés en passant dans les chambres. Les flics les ont localisés grâce à leurs caméras. Ils ont placé deux personnes en isolement. J’en ai revu un au tribunal, à Cité, lors de mon audience. Ce matin-là, quand ils l’ont emmené, ils étaient à cinq sur lui. Ils l’ont mis dans une cellule où il y avait des toilettes. Il a tout cassé à l’intérieur. Il a aussi cassé la caméra. Les flics ont flippé. Ils sont venus frapper à la porte, mais il n’a pas répondu. Ils ont cru qu’il était en train de se suicider. Lui, il avait peur qu’ils le frappent. Il s’est fabriqué un couteau et il a attendu qu’ils ouvrent la porte.

Le commandant est intervenu. Il est venu lui parler et l’a mis dans une cellule avec trois autres personnes. Il faut penser la lutte autrement. Les gens et les flics se foutent de la grève de la faim. Ils se foutent des sans-papiers. Ils s’en foutent si on crève. Les gens bouffent des lames de rasoir tous les jours et l’on n’entend pas parler d’eux. Les petits trucs qu’on fait ne valent pas le coup. Il faut vraiment foutre le bordel pour leur mettre une vraie pression.

Quand j’étais dehors, je travaillais. J’allais boire des verres après le travail. Je sortais avec mes amis. Je me foutais du reste. Quand j’ouvrais un journal, je ne m’intéressais qu’aux gros titres. Pour les gens, c’est pareil. Il faut que ça pète pour qu’ils s’intéressent à nous. Les gens qui entrent ici n’ont aucune chance. Moi, j’ai deux avocats, j’écris des lettres mais les juges s’en foutent. Ils ont des objectifs à atteindre. Ils ne cherchent pas à comprendre. Même si tu n’es pas expulsé, tu restes ici trente-deux jours. Quand tu sors, tu as tout perdu. Tu n’as plus d’appartement parce tu n’as pas pu payer ton loyer. Tu n’as plus de travail parce que tu n’y es pas allé.

Certains parmi nous ne savent ni lire ni écrire le français. Quand ils vont chez le médecin pour un mal de tête, il leur donne un cachet pour les fous qui endormirait un éléphant. Après en avoir pris, un homme a dormi vingt-quatre heures ! Ils font ça pour qu’on ne réfléchisse plus. Je conseille aux autres de ne pas prendre les cachets sans voir la boîte. Il faut que le médecin fasse une ordonnance pour qu’il existe une trace de ce qu’il a donné. Mais les gens ne savent pas. Beaucoup de flics ici sont des fils d’immigrés. Ils essaient de nous amadouer pour qu’on reste tranquilles. Quand ils viennent me parler en arabe, je leur réponds d’aller se faire foutre. ».

Lundi 14 avril

« Les flics nous donnent les rasoirs entre 8 heures et 10 heures du matin en échange de nos cartes. Pour pouvoir récupérer les cartes, on doit leur rendre le rasoir. On n’a jamais les mêmes. Samedi, un mec devait être expulsé vers l’Algérie. Pour ne pas partir, il s’est ouvert la jambe avec la lame du rasoir, en allant prendre sa douche. Il a failli se couper une veine. Ils l’ont emmené à l’hôpital. Ils l’ont ramené hier soir. Je lui ai dit que c’était une connerie.

Depuis que je suis ici, quatre ou cinq gars ont fait des tentatives de suicide pour ne pas être expulsés. Certains se pendent, d’autres avalent des pièces de monnaie. Ceux qui refusent l’embarquement sont ramenés au centre pour être expulsés plus tard. Si je suis expulsé, je vais accepter. Quand c’est la deuxième fois qu’ils tentent de t’expulser, ils te scotchent comme un animal et je ne veux vraiment pas partir scotché comme un animal. »

Jeudi 15 mai

« Tout le monde se raconte les trucs qui marchent et ne marchent pas. Le fait que certaines personnes se soient mutilées et n’aient pas été expulsées encourage d’autres personnes à faire la même chose. C’est un cercle infernal de désespoir. Moi, je ne suis pas d’accord. Je pense qu’on ne peut pas mettre notre vie en danger. On doit trouver d’autres moyens. Depuis que je suis au centre, il y a eu au moins 10 personnes, toutes communautés confondues, qui se sont coupé les veines, entaillé les bras, les jambes, qui ont avalé des lames de rasoir ou des clous. Un mec a préparé et avalé une potion à base de savon… »

Vendredi 16 mai

« Un jeune homme faisait du sport dehors à 6 heures du matin. Un policier est venu lui demander sa carte. Il lui a répondu qu’il l’avait laissée dans sa chambre. Le policier l’a attrapé par la nuque et l’a poussé au sol en l’insultant. Ils ne sont pas polis avec nous. Ils nous disent qu’on n’a rien à faire en France. Et que si on vient ici, on doit se plier aux règles du jeu. On leur répond qu’on ne se plie pas aux rancœurs et à la haine. Pour moi, on est une sorte d’expérimentation pour l’école de police. Ils font des expériences sur nous. »

Vendredi 23 mai

« Les chiens de la brigade canine aboient jour et nuit. Ils empêchent de dormir ceux qui ont les chambres de ce côté. Les projecteurs sont braqués en permanence sur les gens, dans le réfectoire et les chambres. Ils sont tellement puissants qu’ils traversent les vitres teintées. La lumière est trop forte pour regarder la télé. Les lits superposés craquent à chaque mouvement. Ça pousse à la crise de nerfs, à la perte de contrôle. Ma chambre est contiguë aux toilettes. Quand on touche au robinet du lavabo, ça fait du bruit comme un gros “boum, boum” qui dure. Les douches sont bouchées, les toilettes n’ont jamais été désinfectées depuis un mois que je suis là. Si on mange un repas équilibré à midi, il faut attendre le lendemain soir pour avoir un autre repas complet. Certains ne mangent que du pain, du lait et du fromage. Les musulmans sont obligés de renvoyer leur barquette et de se contenter de pain et de yaourt. Quand je suis arrivé, je pesais 70 kilos, j’en pèse 55 maintenant. Un ami est passé de 80 à 60. La plupart perdent un tiers de leur poids. Les chiens sont comme un CD qui tourne en permanence. Les êtres humains sont utilisés comme des sujets d’expérimentation pour l’école de police [qui est mitoyenne du centre]. »

Jeudi 12 juin

« Au sein du centre, ceux qui nous gardent sont malins. Ils sont issus de l’immigration. Pour éviter qu’il y ait des accrochages, ils parlent arabe, bambara… Hier, quelqu’un a avalé beaucoup de pièces de monnaie pour échapper à une expulsion ; il est à l’hôpital. Tous les jours, certains mangent des pièces et du shampooing pour échapper à l’expulsion. Quand ils font ça, ils vomissent, ils ont très mal au ventre. Il faut attendre une ou deux heures avant d’être évacué. La police attend de voir si c’est vraiment grave. Ce sont les pompiers qui viennent chercher le malade. Certains reviennent après avoir passé une ou deux journées à l’hôpital, mais entre-temps, leur vol a été annulé. »

Dimanche 22 juin

Le 21 juin est mort le retenu Salem Essouli. Le 22 juin, le centre de rétention a brûlé. Pendant ces deux jours, nous n’avons jamais cessé de téléphoner, mais nous préférons livrer un entretien réalisé quelques jours plus tard avec deux retenus libérés. Récit à deux voix, depuis le CRA 1 et le CRA 2, de ces deux journées qui ont vu la destruction du centre de rétention de Vincennes.

« Comment le feu est arrivé ? Comment ils ont fait ? Franchement, je ne veux même pas savoir. C’est la mort du monsieur qui a suscité toutes ces violences-là, légitimes ou pas. Mais quand même, les révoltes, ça arrive partout. Quand il y a quelque chose qui ne va pas, il y a des révoltes, même en ville, dans la vie courante, il y a toujours des révoltes. »

P.-S.

Ces extraits choisis sont publiés avec l’amicale autorisation des Editions Libertalia.