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Retour sur l’affaire Khashoggi

Extrait d’un livre d’Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle, et annonce de trois débats sur les ventes d’armes en France.

par Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle
9 novembre 2021

Le 2 octobre 2018, le journaliste Jamal Khashoggi entre dans le consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, où il est venu récupérer des documents administratifs. Il n’en ressortira pas vivant. Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle reviennent, dans leur livre paru en septembre, sur cet épisode sanglant et la réaction alors plus que mesurée de la France envers l’Arabie Saoudite – illustration supplémentaire des reniements systématiques du champion auto-proclamé des droits humains quand des ventes d’armes sont en jeu. Nous publions cet extrait de l’excellent livre Ventes d’armes : une honte française, dont les auteurs seront présents lors de plusieurs débats en région parisienne au cours du mois de novembre : Maison ouverte, Montreuil, le 12 novembre à 19h, Publico à 16h30, Paris, le 13 novembre, le Lieu Dit, Paris, le 23 novembre.

Il apparaît rapidement que Jamal Khashoggi, ce fervent opposant au régime saoudien, exilé aux États-Unis, a été séquestré dans cette enceinte diplomatique, torturé, puis finalement assassiné par des tueurs venus spécialement de Riyad pour le supprimer, qui ont ensuite découpé son cadavre afin de l’évacuer plus discrètement, espéraient-ils. Mais les services de renseignement turcs – que la révélation de cette opération d’espionnage plongera brièvement dans l’embarras – avaient « sonorisé » le bâtiment, et l’exécution du journaliste a été enregistrée.

Le scandale est énorme et continue, trois ans plus tard, de peser lourdement sur les relations du régime saoudien avec le reste du monde.

Dans le concert de condamnations qui accueille la révélation que les assassins de Khashoggi étaient des proches du nouveau prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed ben Salmane, quelques rares personnalités se singularisent par leur refus de se rendre trop rapidement à l’évidence.

C’est le cas en France de Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères d’Emmanuel Macron, qui affirme à la télévision le 12 novembre n’avoir « pas connaissance » d’éléments confirmant l’implication du régime saoudien dans l’assassinat du journaliste. Et qui ajoute : « Si le président turc a des informations à nous donner, il faut qu’il nous les donne. »

Problème : cette affirmation est, comme le révèle alors Mediapart, assez approximative [1].

Selon ce site d’information, qui a recueilli les témoignages de diplomates et de fonctionnaires du renseignement, le ministère français des Affaires étrangères avait bien eu accès, au plus haut niveau et dès les premiers jours du mois de novembre – avant, donc, que Jean-Yves Le Drian ne nie en avoir eu connaissance –, aux enregistrements audios effectués clandestinement par les services secrets turcs, qui les ont notamment transmis à leurs homologues français.

Un diplomate explique à Mediapart : « Quand Le Drian a fait cette déclaration, on a tout de suite senti que c’était une énorme erreur. Évidemment qu’on avait eu les enregistrements, c’était absurde de le nier, mais très révélateur de notre rapport à Mohammed ben Salmane. Le ministre est prêt à prendre le risque de raconter un truc énorme juste pour le couvrir. »

Un autre enfonce le clou : « L’attitude de Le Drian est très choquante et maladroite, c’est une vraie bourde. Mais ce n’est pas surprenant : depuis qu’il est ministre [de l’Europe et des Affaires étrangères], les principales directions du Quai constatent – et s’en plaignent ouvertement – qu’il se comporte et rai- sonne comme s’il était encore à la Défense, même si cela implique des prises de positons aventureuses ou difficiles à défendre par rapport à des régimes comme l’Égypte ou l’Arabie Saoudite. » Selon cet interlocuteur, « Le Drian se comporte comme si sa mission était en priorité de protéger et développer les contrats commerciaux conclus ou en cours de négociation. Pas seulement les contrats d’armes, auxquels il est spécialement attentif, mais aussi les autres gros contrats, comme par exemple celui du TGV La Mecque-Médine en Arabie Saoudite ».

Emmanuel Macron, quant à lui, refuse catégoriquement, à l’inverse d’autres chefs d’États européens, d’incriminer trop sévèrement le régime saoudien.

L’Allemagne, par exemple, décide de suspendre ses ventes d’armes à destination de Riyad tant que toute la lumière n’aura pas été faite sur ce qu’il est dès lors convenu d’appeler l’affaire Khashoggi : « Je suis d’accord avec tous ceux qui disent que les exportations d’armes ne peuvent pas intervenir dans la situation où nous nous trouvons, même si ces ventes sont d’ampleur limitée », explique Angela Merkel. Mais cette déclaration indispose le chef de l’État français, qui la juge « démagogique », et qui raille la chancelière allemande : « Je suis très admiratif envers ceux qui, avant de savoir, disent “on ne vendra plus d’armes” ! »

Avant d’asséner, lors d’une conférence de presse, que de telles ventes n’ont « rien à voir avec monsieur Khashoggi », et qu’« il ne faut pas tout confondre »...

P.-S.

Ventes d’armes : une honte française est paru chez Le Passager Clandestin.

Lire cet autre extrait du livre Ventes d’armes : Le combat d’un député.

Notes

[1Thomas Cantaloube, Lucie Delaporte, René Backmann, Nicolas Cheviron, Mathieu Suc et Rachida El Azzouzi, « Affaire Khashoggi : le mensonge de Le Drian », Mediapart, 30 novembre 2018.