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L’intolérance a gagné

À propos de l’exclusion d’Alma et Lila, pour cause de port d’un foulard

par Laurent Lévy
12 octobre 2003

Le Collectif Les mots sont importants s’associe à Laurent Lévy dans sa condamnation de la mesure d’exclusion définitive prononcée contre ses filles.
Il rappelle que, dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres, c’est une violence sur les mots et sur leur sens qui a rendu possible la violence exercée par des professeurs et des personnels de direction contre les deux jeunes filles : en particulier une violence sur le sens du mot laïcité, du mot droit, du mot féminisme du mot prosélytisme et du mot communautarisme. Comme Laurent Lévy a pu le démontrer à de nombreuses reprises, c’est l’ensemble de la dynamique menant à l’exclusion de Lila et Alma qui repose sur le contresens et le mensonge.

Les tenants de l’intolérance radicale peuvent être satisfaits. Et les membres de l’équipe ’éducative’ du lycée Henri-Wallon d’Aubervilliers que tourmentait le ’problème du foulard’ vont enfin retrouver un sommeil paisible : ce ’problème’ est résolu.

Alma et Lila ne franchiront plus les murs de leur lycée : ils sont parvenus à imposer à ces jeunes filles cette incroyable violence, les chasser du système. Peu importe la honte qu’ils imposent ainsi à l’école de la République. Ils ont choisi de transformer cet instrument dont la vocation est de forger des citoyen-ne-s libres, dignes et égaux, en une terrible machine à exclure. Ils ont choisi l’apartheid scolaire.

Les débats devant le conseil de discipline, dont on comprend lorsqu’on les a vécus qu’on ait lâchement refusé qu’ils bénéficient conformément au droit d’une publicité aussi restreinte soit-elle au risque de rendre nulle une décision déjà prise, l’ont pourtant bien montré : Lila et Alma sont deux élèves sérieuses et sans problèmes. Parfaitement adaptées et insérées dans leurs classes respectives, éveillées et attentives en cours, ne posant à leurs professeurs aucun problème pédagogique. Personne n’aura même cherché à expliquer en quoi leur comportement vestimentaire (le port d’un foulard cachant leurs cheveux, leurs oreilles et leur cou) posait à l’école un problème si grave que seule la plus grave des sanctions disciplinaires pouvait leur être appliquée. La hiérarchie des sanctions chère aux circulaires de l’éducation nationale a été bien malmenée.

Le ’problème’ du foulard est ainsi résolu, et l’école, abdiquant sa mission éducative dès le 24 septembre (qui a dit que la pédagogie devait s’inscrire dans le temps long ?) a retrouvé sa sérénité un temps troublé, et l’on est réduit à espérer que certains garderont au moins la mauvaise conscience d’avoir apporté leur concours au rejet brutal de ces enfants.

Pour un incident survenu en cours d’éducation physique et sportive, parce qu’on avait frauduleusement fait croire aux professeurs que le port du foulard était ’interdit’ dans leur discipline ; pour un foulard noué derrière la tête, ne laissant voir ni la racine des cheveux ni le lobe de l’oreille ; pour un col roulé ou une écharpe cachant leur cou ; pour une simple participation à un rassemblement spontanément organisé par des élèves légitimement exaspérés du renvoi de leurs condisciples (rassemblement qui n’a par hypothèse eu lieu qu’après que la décision de leur interdire l’accès au cours avait été rendue publique - et était déjà mise en œuvre), on prive comme si elles étaient des abstractions, enjeux d’un débat abstrait, deux enfants, Lila et Alma, être réels faits de chair et de sang, jeunes filles studieuses et aimées de leurs condisciples, respectueuses et tolérantes, pleines d’esprit critique - qualités que tous ceux qui ont fait la démarche de parler avec elles leur reconnaissent - des bienfaits de l’école de la République.

Cette conséquence ultime de l’islamophobie qui ronge la société française déshonore ceux qui l’ont provoquée.

Quant à la véritable question du voile, l’oppression symbolique et réelle qu’il représente pour des millions de femmes ; quant au problème posé à la société par la montée des religions dans un monde devenu sans repères ; quant à la difficulté d’être de tout adolescent (personne n’a évoqué le cas de cette jeune fille qui a tenté de se trancher les veines dans ce lycée, l’après midi-même ou plutôt que de soucier du bien-être des adolescent qui leurs sont confiés, le proviseur et ses deux proviseurs adjoints ’surveillaient’ - dans un ridicule achevé - la consultation que j’avais pu - après force insistance - obtenir du dossier de mes filles) - toutes ces questions demeurent en l’état. Mais les membres doctrinaires, intolérants et indignes de l’équipe ’éducative’ ont gagné une grande victoire ; car si ces questions là ont l’avantage de ne troubler en rien leur confort moral ils seront par contre enfin débarrassés du spectacle - apparemment insupportable - de mes enfants.

Je remercie tous ceux, simples particuliers ou personnes publiques - parmi lesquels de très nombreux membres du corps enseignant - organisations et mouvements, qui m’ont soutenu, soit moralement, soit par leurs prises de positions publiques, soit par de simples manifestations de sympathie, de leur courage et de leur aide

Je me réserve de donner à cette affaire scandaleuse toutes les suites judiciaires qu’elle comporte.

P.-S.

Laurent Lévy est le père d’Alma et Lila.