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La France : lanterne rouge ?

La citoyenneté des étrangers : chronique d’un combat (Quatrième partie)

par Saïd Bouamama
4 janvier 2013

Extrait de l’indispensable J’y suis j’y vote, publié il y a maintenant douze ans aux Editions L’Esprit frappeur, le texte qui suit revient sur l’histoire des luttes sociales et politiques menées par les résidents étrangers, au cours du vingtième siècle, pour s’arracher à la situation de non-droit dans laquelle la République les avaient relégués. Il nous a paru utile de le republier aujourd’hui, alors que le combat reprend pour que soit enfin tenue une promesse électorale périodiquement enterrée par la gauche française : le droit de vote des étrangers.

Partie précédente : Une longue marche vers l’égalité

Depuis les années 80 nous nous trouvons dans une situation absurde :

“ Pour la première fois dans notre histoire électorale, les citoyens de l’Union européenne résidant en France pourront en effet participer aux élections municipales en mars 2001. Et si la Constitution n’est pas révisée d’ici là, une injustice flagrante va être consacrée : un Britannique, un Allemand ou un Espagnol même installé récemment chez nous, voteront et c’est tant mieux ; mais un Marocain, un Malien ou un Canadien résidant chez nous depuis dix ou vingt an n’auront toujours pas le droit de vote. Ces étrangers sans carte électorale paient pourtant des impôts, contribuent, cotisent, participent à la richesse de leur commune. Peut être même ont-ils des enfants français. Qu’importe, en tant qu’étrangers, ils peuvent voter aux élections prud’homales, dans les entreprises, les conseils d’administration des caisses de sécurité sociale, dans les HLM et dans les écoles...mais pas question pour eux d’élire leur maire, celui qui a un œil sur les HLM, qui gère les crèches et les écoles, qui décide, pour eux, des équipements culturels et sportifs de la commune ”.

Deux verrous restent ainsi à faire sauter : le droit d’être éligible aux prud’hommes et les droits politiques. La situation est d’autant plus scandaleuse que dans de nombreux autres pays européens l’égalité politique est plus conséquente.

Il n’est pas inutile de rappeler la situation dans ce domaine, en 2000 :

 en Irlande les immigrés possèdent le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales depuis 1963 (ces droits sont ouverts à tout étranger après 6 mois de résidence) ;

 en Suède, les mêmes droits sont accordés depuis 1975 après 3 ans de résidence (ce droit est en outre reconnu pour les élections régionales) ;

 en Norvège, les mêmes droits sont accordés depuis 1982 après 3 ans de résidence ;

 au Danemark, les mêmes droits sont accordés depuis 1981 après 3ans de résidence ;

 aux Pays-Bas, les mêmes droits sont accordés depuis 1985 après 5 ans de résidence ;

 au Royaume-Uni, le droit de vote et d’éligibilité à toutes les élections est accordé depuis 1948 aux résidents issus du Commenwealth. ;

 en Suisse, le vote local est accordé aux étrangers dans deux cantons, celui de Neuchâtel depuis 1848 et celui du Jura depuis 1979.

Cette énumération est suffisante pour indiquer le retard pris par la “ patrie des droits de l’homme ”. Le droit de vote dans ces différents pays n’a pas provoqué de cataclysme politique et il ne vient à l’idée d’aucune force politique de revenir sur ces acquis. Ce tableau comparatif ne suffit pas à convaincre Sami Naïr qui avance un argument pertinent mais dont il retire une étrange conclusion :

“ A l’exception de l’Irlande, le droit de vote pour les étrangers existe surtout dans les pays dominés par le droit du sang (Suède, Norvège, Pays-Bas, Danemark), où la nationalité est traditionnellement difficile à obtenir. Dans ces pays, il a été octroyé d’autant plus facilement que l’on répugnait à accorder la nationalité aux étrangers. Mais ce droit de vote, réduit à la seule citoyenneté, y est vécu par les immigrés, le plus souvent, comme une citoyenneté au rabais ”.

Pour répondre à Monsieur Naïr, rien n’empêche la France de suivre l’exemple irlandais plutôt que les autres exemples c’est à dire de faciliter les conditions de la naturalisation tout en accordant le droit de vote. Nous sommes également en accord avec lui sur le danger d’une citoyenneté au rabais mais alors il convient de proposer la participation des étrangers aux autres élections plutôt que de la limiter au seul échelon des communes. Il est vrai que le Mouvement Des Citoyens dont M. Naïr est vice-président a déjà fait un progrès non négligeable en passant de l’opposition au droit de vote des étrangers à un droit de vote après le renouvellement de la première carte de dix ans limité aux communales.

Si nous écoutons Messieurs Chevènement et Naïr, la France a de bonnes chances de se retrouver avec un “ bonnet d’âne ” en matière de démocratie :

“ la patrie des droits de l’homme, si prompte à donner des leçons à la Terre entière, est-elle décidée à coiffer le bonnet d’âne en étant l’une des dernières à accorder le droit de vote aux étrangers ? Les femmes, faut-il le rappeler, n’ont arraché chez nous ce droit qu’en 1944 ”

La chronique du combat pour le droit de vote des étrangers en France met en évidence la tendance à la reproduction du même scénario par la gauche. Dans plusieurs circonstances historiques, des promesses ont été faites pendant les phases électorales pour être aussitôt abandonnées après les victoires électorales. Les autres droits de l’immigration ont toujours été le résultat des dynamiques de luttes de l’immigration. Celle-ci n’a pas seulement contribué à “ construire la France ” comme on aime souvent à le répéter (donnant ainsi l’image d’une population passive) mais elle a participé activement aux différents grands épisodes des luttes sociales en France (1936, la Résistance, 1968, etc.).

La fin de l’année 1999 a vu se dérouler une nouvelle instrumentalisation de la question des droits politiques par le parti socialiste au même moment où Chevènement continuait sa politique d’expulsion des “ sans-papiers ”. L’objectif était de neutraliser la revendication et la possible mobilisation en l’intégrant avec de nombreuses restrictions (limitation à l’échelon local, débat sur la durée de séjour nécessaire, possession de la carte de dix ans, etc.). La France se proclame “ patrie des droits de l’homme ” se retrouve ainsi en bonne place pour devenir la lanterne rouge de l’Europe sur la question des droits politiques des résidents étrangers.

P.-S.

Ce texte est extrait de l’indispensable J’y suis j’y vote, publié il y a maintenant douze ans aux Editions L’Esprit frappeur. Nous le republions avec l’amicale autorisation de l’auteur.