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La question immigrée, de De Gaulle à Mitterrand

La citoyenneté des étrangers : chronique d’un combat (Deuxième partie)

par Saïd Bouamama
2 janvier 2013

Extrait de l’indispensable J’y suis j’y vote, publié il y a maintenant douze ans aux Editions L’Esprit frappeur, le texte qui suit revient sur l’histoire des luttes sociales et politiques menées par les résidents étrangers, au cours du vingtième siècle, pour s’arracher à la situation de non-droit dans laquelle la République les avaient relégués. Il nous a paru utile de le republier aujourd’hui, alors que le combat reprend pour que soit enfin tenue une promesse électorale périodiquement enterrée par la gauche française : le droit de vote des étrangers.

Première partie : la citoyenneté des étrangers

A partir de 1937 s’ouvre une nouvelle phase de méfiance envers les étrangers qui conduira aux décret-loi des 2 et 14 mai 1938 relatifs au séjour et à la police des étrangers. Le gouvernement Daladier inaugurait ainsi une politique promise à un grand avenir, celle de la division de l’immigration en deux parties : l’une assimilable et l’autre à précariser en lui limitant les droits. Dans cette logique la naturalisation venait clore l’assimilation de l’étranger. Le personnage du démographe Gérard Mauco est représentatif de cette logique. Gérard Mauco est connu pour son tableau de “ l’assimilabilité des étrangers ” selon les nationalités. Il est déjà présent dans l’équipe du secrétaire d’état à l’immigration de Philippe Serre en 1937. Il traverse sans problème la période de l’occupation. C’est enfin lui que De Gaulle choisit comme Secrétaire général du Haut Comité Consultatif de la Population et de la Famille. Citons celui qui symbolise la continuité en matière d’immigration entre l’avant et l’après seconde guerre mondiale :

“ Parmi la diversité de races étrangères en France, il est des éléments ... ( asiatique, africain, Levantin même) dont l’assimilation n’est pas possible et, au surplus, très souvent physiquement et moralement indésirable. L’échec de nombreux mariages mixtes en est une vérification. Ces immigrés portent en eux, dans leurs coutumes, dans leur tournure d’esprit, des goûts, des passions et le poids d’habitudes séculaires qui contredisent l’orientation profonde de notre civilisation ”.

Dans le contexte euphorique de la libération et malgré une participation active des étrangers dans le combat antinazi, ceux-ci seront les grands oubliés de cette période. Pour l’essentiel les mesures de 1945 en matière d’immigration sont un simple retour à la situation des décrets loi de 1938. Ne nous étonnons pas, dès lors, de la lenteur d’évolution du droit des étrangers de la libération à nos jours. Comment pouvait-il en être autrement quand le premier personnage de l’état, le général De Gaulle, déclare :

“ Dès à présent, il importe que les naturalisations soient effectuées d’après des directives d’ensemble. Il conviendrait notamment de subordonner le choix des individus aux intérêts nationaux dans les domaines ethnique, démographique, professionnel et géographique. Sur le plan ethnique, il convient de limiter l’afflux des méditerranéens et des orientaux qui ont depuis un demi-siècle profondément modifié la composition de la population française ( ...). Je vous prie de vouloir bien donner des instructions aux préfectures pour que l’étude et l’envoi des dossiers s’inspirent de ces directives et pour que soient suscitées au besoin les naturalisations désirables”.

Nulle place ici pour de nouveaux droits et encore moins pour des droits politiques. De fait le seul droit nouveau des étrangers dans l’après guerre est le droit de participer aux élections des représentants du personnel dans les entreprises sans pouvoir cependant être éligible.

La distinction entre le droit d’élire des représentants et l’interdiction d’éligibilité n’est pas neutre. On la retrouvera plus tard à propos des élections aux prud’hommes. L’immigré est considéré comme un citoyen passif. Il a le droit d’être représenté mais n’a pas le droit de représenter. Il faudra attendre 1968 pour qu’une nouvelle avancée puisse se réaliser. A partir de cette date en effet les étrangers peuvent devenir délégués syndicaux.

Il faudra attendre encore quatre ans pour que les travailleurs étrangers puissent enfin avoir des fonctions de représentation au sein de l’entreprise. La loi du 27 juin 1972 autorise les étrangers à siéger dans les Comités d’Entreprises. Elle leur permet également d’être élus comme délégués du personnel à condition toutefois de “ savoir lire et écrire en français ”. Cette loi mettait fin à une situation grotesque et intenable. En effet les étrangers occupent en France les emplois les plus déqualifiés et les plus mal payés c’est à dire ceux pour lesquels la fonction de représentation est la plus importante.

De la même façon la participation de plus en plus importante à la vie syndicale et aux luttes dans les entreprises décridibilisait progressivement une fonction de représentation éliminant dans certain secteur la partie la plus nombreuse des travailleurs. Soulignons cependant l’absurdité de la clause de la maîtrise de la lecture et de l’écriture en français. En effet cette clause n’est pas exigée pour les Français candidat à la fonction de délégué du personnel. Un analphabète français est ainsi considéré comme capable d’être délégué du personnel alors que l’étranger doit savoir “ lire et écrire en français ”. Malgré l’absurdité de cette clause, il faudra attendre encore trois ans pour que celle-ci soit transformée en “ pouvoir s’exprimer en français ”. L’évolution est comme on le constate vraiment très lente même quand il s’agit de simple bon sens.

Les années 70 sont marquées par la multiplication des luttes dans l’immigration. C’est la visibilité sociale de ces luttes qui impose les évolutions que nous venons de décrire. Ces luttes mettent en lumière la surexploitation vécue par les travailleurs étrangers et les conséquences d’une absence de droits en matière de représentation. Ces luttes dures et longues ne peuvent pas passer inaperçues : la grève de Penarroya en février 72 dure 32 jours ; celle de Girosteel en 72 dure 60 jours ; celle des Câbles de Lyon en 73 dure 7 semaines ; celle de l’usine Dynamic dans l’Essonne en 73 dure 5 semaines, etc. Les revendications portent à la fois sur les salaires, les conditions de travail et les droits syndicaux.

Dans la même période, des grèves de la faim d’immigrés éclatent dans plusieurs villes de France, mettant en évidence la situation scandaleuse faite à l’immigration. Ces grèves touchent Valence, Marseille et la Ciotat. Entre la fin 1972 et la mi-73, près d’une vingtaine de villes vont être touchées et environ 400 grévistes de plusieurs nationalités seront concernés. Ces grèves protestent contre les expulsions et demandent l’obtention de la carte de travail. C’est ce contexte général des luttes qui commence à faire exploser le dernier verrou en matière syndicale : le droit de participer à la direction d’un syndicat. Soulignons cependant que ce droit reste alors encadré par des restrictions : avoir travaillé en France depuis cinq ans ; la proportion d’étrangers dans les fonctions de direction ne peut excéder le tiers des salariés. Il faudra attendre 1982 pour que ces restrictions soient supprimées.

Chaque droit nouveau met en évidence l’absurdité des restrictions qui subsistent et des exclusions des autres droits. Ainsi à partir de 1975 les étrangers peuvent diriger un syndicat mais ne peuvent toujours pas constituer et diriger librement une association. Ce droit pour les étrangers est en effet encore à cette époque dépendant d’une autorisation préalable du Ministère de l’Intérieur en vertu des décrets du....12 avril et du 1er juin 1939. Il faudra attendre l’élection de François Mitterand en 1981 pour que ces décrets soient abrogés et que les étrangers puissent enfin diriger une association comme tous les autres citoyens. Le même gouvernement accordera le droit d’être administrateur dans les structures publiques comme les Caisses de Sécurités Sociales ou les organismes HLM et le droit de siéger comme parents d’élèves dans les différentes instances de représentation de l’Education Nationale.

Ces mesures du Président Mitterand ne doivent cependant pas faire oublier l’abandon de sa promesse électorale : accorder le droit de vote aux élections municipales. Vingt ans après la situation reste la même. Soulignons, pour clore cette partie, le fort mouvement de mobilisation des jeunes dans la “ marche pour l’égalité ” en 1983. L’arrivée des jeunes à Paris fut accompagnée d’une manifestation de plus de 100 000 personnes. C’était là l’occasion rêvée pour accorder le droit de vote dans l’euphorie d’une France pluriculturelle qui s’affichait dans les rues parisiennes.

Déjà hanté par sa volonté de séduire un électorat centriste et de montrer qu’il n’était pas “ laxiste ” sur la question de l’immigration, Mitterand préféra le reniement. Il fallait néanmoins répondre à ces dizaines de milliers de citoyens ayant accompagnés la marche pour l’égalité. Mitterand accorda alors la carte de dix ans c’est à dire la stabilité du séjour. Cette même carte et cette même stabilité sont en 1998 remises en cause par la politique de Chevènement replongeant ainsi l’immigration dans la précarité et l’instabilité. Cette remise en cause souligne que tant que les immigrés n’auront pas un moyen de pression électoral, leurs droits seront toujours précaires, un gouvernement pouvant défaire ce que son prédécesseur a fait.

En réalité les mesures positives de Mitterand de 1981 à 1984 sont en trompe l’œil. Bien sûr 150 000 “ sans-papiers ” sont régularisés et obtiennent une carte de résident. Les nouveaux droits obtenus sont également indéniables (droit de diriger une association et de siéger dans différentes instances). Cependant rapidement l’objectif réel se dévoile :

“ la gauche va très vite reprendre à son compte le discours sur l’immigration clandestine dont chacun sait l’usage métonymique pour désigner pour désigner l’immigration en général. L’impératif de fermeture des frontières et de contrôle des “ flux migratoires ” glisse fatalement vers la précarisation du séjour des résidents. Georgina Dufoix, en charge des affaires sociales en 1984, donnera le signal du changement de cap. On lui doit la première déstabilisation du regroupement familial : l’interdiction par décret de la régularisation sur place des conjoints et des enfants. (...). Les arguties embarassées du gouvernement ne peuvent cacher l’objectif : empêcher l’arrivée de nouveaux immigrés quitte à malmener le droit. La spirale des surenchères peut désormais s’emballer ”.

A coup de nécessité d’un “ seuil de tolérance ” (Mitterand), d’impossibilité d’accueillir “ toute la misère du monde ” (Rocard), des “ odeurs ” des migrants (Chirac) ou du danger “ d’invasion ” (Giscard), l’immigration est mise en scène comme bouc-émissaire de la société française. Contribuer à la mise en place d’un tel climat d’accusation de l’immigration ne laisse bien entendu aucune place pour la promesse “ embêtante ” de 1981 sur le droit de vote. Comme en 1985, l’immigration a été l’objet de promesse avant les élections et d’accusations après. Cela semble décidément être une constante des socialistes.

Partie suivante : Une longue marche vers l’égalité, en ligne bientôt.

P.-S.

Ce texte est extrait de l’indispensable J’y suis j’y vote, publié il y a maintenant douze ans aux Editions L’Esprit frappeur. Nous le republions avec l’amicale autorisation de l’auteur.