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Laïcité : liberté, égalité ?

Le point de vue d’une élève portant le voile

par Zahra Ali
1er janvier 2004

Zahra Ali, lycéenne et élue au Conseil de la vie lycéenne de Rennes, fait part dans ce texte de son expérience du rejet, pour cause de foulard, et des raisons de fond qui la poussent à refuser la loi qui est anoncée et qui vise à interdire le port de signes religieux "ostensibles" dans les établissements scolaires.

L’instruction doit être ouverte à tous sans aucune distinction, l’école doit enseigner le respect et être elle-même respectueuse. Il est inadmissible qu’une loi puisse légitimer l’exclusion de jeunes filles de l’école laïque et républicaine pour la simple raison qu’elles portent un signe exprimant leur conviction. La loi de 1905 garantit avant tout " la liberté de conscience " (article 1), par conséquent une neutralité restrictive comme celle proposée par le gouvernement, à savoir l’interdiction de tous signes distinctifs exprimant une conviction politique ou religieuse aux élèves, n’est pas une application juste et égalitaire du principe de laïcité. Bien au contraire, accepter tous les élèves y compris ceux qui arborent des signes religieux, c’est aussi faire preuve de neutralité.

Croire combattre le communautarisme par une loi visant à interdire le port du foulard à l’école est aussi stupide que croire combattre les inégalités sociales en instaurant le port de l’uniforme ! Si ce n’est pas à l’école que des élèves athées, juifs, chrétiens, musulmans ou agnostiques apprennent à se respecter, où l’apprendront-ils ? Il faut prendre conscience que l’exclusion est un moyen violent et il ne faudra pas s’étonner si des réactions du même ordre s’en suivent. Les musulmanes qui refuseraient de retirer leurs foulards, exclues du système scolaire, seraient amenées à se replier sur elles-mêmes, à rester à l’intérieur de leur communauté ou à s’orienter vers des écoles musulmanes. Légiférer dans le but d’interdire le foulard à l’école aboutirait inévitablement à créer du communautarisme.

Comment ne pas croire que cette loi n’est pas une loi d’exception et une discrimination à l’égard de la religion musulmane, alors que les prétendus défenseurs de la laïcité au sein du gouvernement, se gardent bien de remettre en cause le Le principe de laïcité s’appliquerait-il uniquement en France à tout ce qui n’est pas judéo-chrétien, et à plus forte raison aux musulmans ?

Depuis que la polémique concernant le port du foulard à l’école a ressurgi, il est étonnant de constater à quel point tant de femmes mais aussi tant d’hommes sont devenus d’ ardents défenseurs de la cause des femmes .Ces "néoféministes", oublient le plus souvent qu’en France la femme n’est pas la mieux lotie, aussi bien dans le monde du travail qu’en termes de représentativité politique : l’Assemblée Nationale qui prétend vouloir voter une loi de "défense de la cause des femmes"est composée de 88% d’hommes. La discrimination à l’égard des femmes existe et existait dans ce pays bien avant la présence des musulmans, mais il est bien sûr plus facile de critiquer et de juger ce qui nous semble être "étranger" à la culture française. Car l’islam est encore pour beaucoup, une importation de l’étranger, et les musulmans d’éternels immigrés.

Mais ce qui est le plus frappant parmi ceux qui défendent l’émancipation des femmes contre l’aliénation que signifie pour eux le foulard islamique, est qu’ils s’en prennent finalement aux victimes ! Bien qu’un grand nombre de jeunes filles aient choisi librement de le porter, et c’est un choix qui doit être respecté, quel avenir auront celles qui ont été contraintes ou soumises à des pressions si les portes de l’école leurs sont fermées ? Des parents, un grand frère, ou un entourage capable de les obliger à porter le foulard sera tout aussi capable de les retirer du système scolaire. Si vraiment c’est l’avenir et l’épanouissement de ces jeunes filles qui est recherché, il faut donc leur laisser l’accès à l’école aux côtés de leurs camarades, où elles pourront se construire un esprit critique, se garantir une formation et un avenir professionnel.

Ne nous voilons pas la face : la polémique autour de la question du foulard est un écran de fumée qui permet au gouvernement de cacher les vraies questions concernant l’école aujourd’hui. Violences,discriminations, ségrégation scolaire, inégalités des chances, classes surchargées sont des problèmes qui doivent être combattus à l’aide de vraies solutions impliquant la remise en cause de la politique sociale de notre pays. Ce n’est certainement pas avec des lois d’exclusion que l’on résoudra les problèmes à la racine. Le gouvernement préfère lancer ce faux débat autour de la question du foulard pour faire accepter que les vrais problèmes soient résolus par des mesures discriminatoires, répondant à une logique sécuritaire.

Je suis lycéenne à Rennes dans un établissement où je porte mon foulard, ce qui n’a d’ailleurs jamais empêché mes enseignants de faire cours, ni mes camarades d’étudier, ni même que je sois élu au Conseil de la Vie Lycéenne de mon lycée. Le Conseil des Lycéens de Bretagne s’est tenu le 3 décembre 2003 au Conseil régional, j’y siégeais en tant que représentante de mon lycée. Certains conseillers régionaux ont d’abord estimé que je ne devais pas m’exprimer à la tribune, ils avaient déjà toléré que je rentre avec mon foulard... Selon eux, la politique n’avait pas sa place dans une assemblée comme celle-ci. Le conseiller régional qui présidait cette assemblée ne s’était pourtant pas gardé de présenter aux quelques 130 élèves présents, les bienfaits de la décentralisation. Ce même conseiller régional, pour qui bien sûr la politique n’a rien à faire dans ces lieux !

Considérant que je possédais les mêmes droits que n’importe quel autre élève, je me suis exprimée à la tribune avec un camarade. Nous devions rendre compte du travail fait par notre groupe de réflexion, qui portait sur les aménagements à effectuer dans nos lycées pour améliorer nos conditions de vie et de travail.

La conclusion générale de la journée n’aborda aucune des questions à l’ordre du jour. Selon ce conseiller régional, " un voile " ayant été toléré " dans l’une de ces salles, une salle de la République Française " il était nécessaire de conclure sur " ce que nous [venions] de vivre aujourd’hui " !

Après avoir parlé de mixité et de tolérance, il me dit : "Nous aurions pu refuser votre présence [...] c’est ce qu’il y a derrière votre foulard qui me dérange : refus de la mixité aux activités sportives, refus d’assister à certains cours de biologie humaine... " ce qui n’est absolument pas mon cas, ni celui de la quasi totalité des jeunes filles voilées acceptées à l’école. Il me conseilla ensuite : " Vous vivez en France sachez en profiter mais n’en abusez pas ".

Je me suis donc approché du micro pour réagir lorsque, geste très démocratique, il demanda d’éteindre tous les micros de la salle ! Suite à quoi il donna la parole à une conseillère régionale qui fit un discours sur l’égalité entre les hommes et les femmes, et sur l’insupportable signification de mon foulard. Même mon retard du matin était pour elle " une stratégie ". Ces attitudes sont scandaleuses, il n’est pas nécessaire de les commenter longuement.

Légiférer sur le port du foulard islamique dans les établissements scolaires est l’application d’une lecture opportuniste du principe de laïcité fondée sur des préjugés à l’égard de l’islam et des musulmans. C’est aussi une véritable xénophobie qui renvoie les musulmans de France à des étrangers ou à des enfants d’immigrés pour qui l’intégration a été un échec.

Or, je suis française et musulmane, j’ai choisi de porter le foulard. Je défends le principe de laïcité tel qu’il est définit par la loi de 1905, et je veux qu’il soit appliqué de façon juste et égalitaire. Je ne conçois pas qu’une tenue vestimentaire puisse être prosélyte ou propagandiste, seul un comportement peut l’être et pourrait porter atteinte au principe de laïcité. C’est pourquoi, l’avis du conseil d’Etat qui indique que le port du foulard n’est pas en lui-même un signe ostentatoire, tant qu’il n’est pas accompagné d’un comportement prosélyte ou propagandiste, est une jurisprudence équilibrée. Aussi, je défends pour tous les élèves la liberté d’arborer les signes d’appartenances qu’ils souhaitent.

Défenseurs de la laïcité, féministes, et individus de toutes obédiences religieuses ou politiques, nous devons lutter ensemble pour une école ouverte à toutes et tous, sans aucune distinction et pour l’application juste et égalitaire du principe de laïcité. Le cadre légal actuel est un bon cadre, nous devons refuser qu’il soit dénaturé et trahi par le vote d’une loi de circonstance, votée sur mesure pour exclure les filles voilées.