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Le député-maire, l’imam, et la République

Remarques sur les propos d’un élu "nettoyeur"

par Laurent Lévy
6 juillet 2005

Je n’ai nulle intention de porter un jugement sur le jugement par lequel le tribunal correctionnel de Lyon a relaxé Abdelkader Bouziane, imam à Vénissieux. J’ignore les textes précis sur le fondement desquels il était poursuivi, comme j’ignore la motivation précise de ce jugement. Je ne connais pas même avec
précision les propos qui lui étaient reprochés dans l’ordonnance de renvoi.
Or, l’expérience m’a appris à demeurer circonspect sur les décisions de justice rendues dans des dossiers dont je n’ai pas une connaissance personnelle, et à m’abstenir d’appréciations reposant sur la seule base de la manière dont elles sont rapportées par la presse. La logique des procès demeure en effet généralement incomprise des journalistes les mieux intentionnés.

Il semble qu’en l’espèce, les juges aient considéré que Abdelkader Bouziane, prévenu de « provocation à commettre le délit de violences conjugales », s’était en fait borné « à expliquer ce que dit sa religion ». Quel que soit le
reproche que l’on puisse faire à une telle motivation (il peut en effet exister d’autres interprétations de « sa » religion que celle de l’intéressé !), ils ont pu simplement vouloir dire que donner, lorsque l’on est spécialement sollicité à cette fin par un journaliste, une interprétation - dont les tribunaux d’un pays laïque n’ont pas à évaluer la pertinence - de la religion
que l’on professe n’est pas en soi une provocation à la violence.

Et c’est un fait constant que l’on n’a pas attendu, en France, les déclarations de cet imam - ou de tout autre - pour commettre de telles violences. Six femmes meurent
chaque semaine sous les coups de leurs compagnons, sans que la religion musulmane - quelles que soient les interprétations qu’on lui donne - y soit
pour quoi que ce soit. Il n’entre pas plus dans mes intentions de dire ce que je pense des violences
conjugales.

Ce dont, par contre, je veux parler, est d’une autre importance que les propos du parfait inconnu qu’était Monsieur Bouziane avant qu’il ne les tienne à la demande de journalistes plus ou moins bien intentionnés. Et cette fois, je dispose du texte précis de la lettre adressée au Premier ministre par Monsieur André Gérin, député-maire PCF de Vénissieux, à propos, justement, de la relaxe
de Abdelkader Bouziane.

Monsieur Gérin commence par exprimer son
« dégoût face à cette décision incompréhensible qui dépasse l’entendement ».

On pourrait ironiser que si une décision dépasse l’entendement de Monsieur Gérin, elle lui est nécessairement, et par là même, incompréhensible ; et noter qu’il n’entre pas dans les traditions républicaines, dont Monsieur Gérin est si friand, de critiquer - et a fortiori d’exprimer du « dégoût » - pour une décision rendue par une justice indépendante. Indépendante en particulier du pouvoir législatif dont participe ce parlementaire, et du pouvoir exécutif auquel il adresse ses récriminations.

Notre député-maire poursuit :

« Au moment où le Ministre de l’Intérieur parle de « nettoyage », il serait
temps de nettoyer la France de ces prédicateurs qui combattent la République au nom d’une idéologie intégriste et islamique qui nourrit le terrorisme.
 »

On aurait trouvé naturelle la reprise de la métaphore sarkosienne du « nettoyage » sous la plume d’un député de droite. Chacun chez soi. La trouver sous celle d’un député communiste a quelque chose de plus choquant. Ayant avec
ce courant politique un vieux compagnonnage, qu’il me soit permis de la regretter tout particulièrement, puisqu’elle déshonore le parti dont il est
membre, et au sein duquel je compte nombre d’amis.

Indépendamment de cela, l’expression ‘combattre la République’ est en l’espèce ostensiblement outrancière, et l’affirmation d’une « idéologie islamique qui nourrit le terrorisme » fleure bon la théorie raciste du « choc des civilisations ».

André Gérin remarque :

« le prévenu, qui aurait parlé en tant qu’homme de religion, s’est autoproclamé imam ».

On s’étonne de voir un parlementaire si attaché à la laïcité émettre un point de vue sur la ‘proclamation’ (!) des imams. Que sait- il même de ce qu’est un ‘imam’ ? Il doit penser que c’est un genre de curé musulman, qui devrait être nommé par quelque évêque de ses coreligionnaires...

Cet élu note ensuite :

« Le pire est à craindre. Le 30 juin 2005, le Tribunal administratif de Lyon
examinera, sur le fond, la validité de l’expulsion de Monsieur Bouziane. J’ose espérer qu’il ne ridiculisera pas la Nation française en cette année du centième anniversaire de la loi de 1905 sur la laïcité. »

On insiste souvent auprès des citoyens pour qu’ils affirment avoir confiance dans la justice de leur pays. André Gérin leur donne ici un bien curieux exemple - en fondant ses craintes quant à une décision à venir d’un Tribunal Administratif sur l’appréciation qu’il porte sur le jugement passé d’un Tribunal Correctionnel, comme si ces juridictions avaient quoi que ce soit à
voir.

Mais peu importe. Il laisse d’abord entendre que si l’expulsion de Abdelkader Bouziane n’était pas confirmée, cela ridiculiserait la ‘Nation française’, ce qui est pousser un peu loin le sens du ridicule comme le sens de
la nation. Mais surtout, il met cette crainte en relation avec le centenaire de la loi de 1905, qu’il dénomme pour la circonstance « loi sur la laïcité ».

Faut-il rappeler à Monsieur Gérin que la loi de 1905 consacre la séparation des églises et de l’Etat, et non le principe général de laïcité - lequel résulte de nombreux textes, dont certains bien antérieurs à cette séparation ? Et est-il permis de se demander en quoi l’expulsion ou la non expulsion d’un homme poursuivi à propos de déclarations relatives aux violences conjugales aurait quoi que ce soit à voir, soit avec la séparation des églises et de l’Etat, soit avec la laïcité ?

Mais le pire est ce qui suit. André Gérin, député communiste, évoque en fin de correspondance sa

« proposition de résolution tendant à la création d’une
commission d’enquête relative aux propos discriminatoires et hostiles aux institutions, aux lois et à la France, tenus par des prédicateurs qui combattent la République au nom d’une idéologie intégriste et islamique qui
nourrit le terrorisme, déposée en juillet 2004 »

- et semble-t-il demeurée inaperçue depuis.

On ne s’étonnera pas de retrouver l’auteur d’une telle proposition parmi les ‘nettoyeurs’ sarkosiens. On ignore toutefois pourquoi, si une enquête se révèle nécessaire sur les « propos discriminatoires et hostiles aux institutions, aux lois et à la France », cette enquête devrait être limitée aux seuls « prédicateurs » musulmans - sauf à juger, avant ladite enquête, que lesdits
« prédicateurs » seraient particulièrement coutumiers de ces propos.

On se demande ensuite pourquoi une enquête serait nécessaire, en termes généraux, sur de tels propos. Car - ce n’est pas à un militant communiste comme l’a longtemps
été André Gérin que l’on apprendra cela - ni l’hostilité aux institutions, ni l’hostilité aux lois ne constituent des délits, ni même des troubles répréhensibles à l’ordre public. Les meetings politiques et syndicaux sont en
permanence le lieu d’expressions à juste titre hostiles à certaines institutions et à certaines lois.

Quant à l’affirmation - elle aussi posée avant toute « enquête » - que des « prédicateurs » « combattent la
République », qu’ils profèrent des propos « hostiles à la France », qu’ils le font « au nom d’une idéologie intégriste et islamique » (André Gérin ne prend
même pas la précaution d’employer le passe-partout de l’arsenal idéologique dominant qu’est le mot ‘islamiste’), et que cette idéologie « nourrit le
terrorisme », si elle donne une certaine idée des fantasmes que ce parlementaire partage avec tout ce que ce pays compte de beaufs xénophobes, n’en est pas moins, en outre, un appel caractérisé à la haine islamophobe.

On ne s’étonnera de cette dérive que si l’on oublie que André Gérin a été l’un des quelques parlementaires communistes à voter - contre la position officielle
de leur parti - la loi anti-foulard du 15 mars 2004. On peut lui reprocher bien des choses, mais pas de manquer d’une certaine logique dans le racisme républicain.