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Le dernier mot du Père Guélaille (Quatrième partie)

Les contes de Mimoun Guélaille « Veste de paille »

par Farid Taalba
20 janvier 2009

Troisième partie

Mhend, impatient, faillit crier son nom si ce n’était la vigilance de sa grande sœur qui lui pinça la cuisse sous la table. Derrière l’interviewée, ils distinguaient tous nettement Mimoun en train de vendre des sandwichs merguez derrière un stand de l’association. Ils le surprirent même en train de trinquer le demi avec une moitié pas moche du tout.

Le père lorgnait entre Sidi Selboun qui n’avait visiblement pas reconnu Mimoun et la mère qui ne récitait plus que la fatiha pour s’en sortir. Le reportage fut un calvaire. Quand il prit fin, Madame Guélaille s’empressa d’annoncer le dessert.

"Alors, comment l’as-tu trouvé ce reportage ? " demanda ingénument le père au grand Sidi.

" De quoi ont-ils parlé ? Je n’ai pas tout compris sauf que c’était sur les papiers… ah, les papiers, toujours les papiers", répondit-il après avoir avalé un verre de petit lait bien frais.

Le journaliste enchaîna alors sur la saisie record de drogue effectuée ce matin par la brigade des stupéfiants. Les images montrèrent surtout les amas d’extasie sous la forme de pilules bleues. On fit même à plusieurs reprises des gros plans d’une seule pilule comme pour marquer les esprits de son souvenir. Le père Guélaille trouva alors matière à se remettre du baume au cœur en invoquant les malheurs des autres.

"Tu vois, fit le père Guélaille à son invité de marque, c’est à cause de ces machins bleus que les deux corbeaux du hall d’en bas ont mal tourné.

- Incroyable, je ne comprends toujours pas, que Dieu nous en préserve !"

Plus tard, après tant d’émotions, au moment de se coucher, le père Guélaille, l’esprit taraudé par la réflexion, se tenait assis sur le lit, le dos collé contre le mur et les yeux rivés au plafond pendant que son épouse terminait de se démêler les cheveux avec calme et sérénité. Elle attendait les questions qu’il ne tarderait pas à lui poser. Il la soupçonnait de lui avoir caché quelque chose au sujet de leur fils.

"Tu crois qu’il se drogue ?", lui demanda-t-il anxieux, pressant.

- Mais pas du tout, rétorqua-t-elle, s’il a aussi mauvaise mine c’est parce qu’il est malade. Il a la grippe et il a pris des médicaments qui l’ont lessivé, voilà tout !

- Comment malade ? Et moi alors ! J’ai travaillé toute ma vie. Maintenant j’ai des rhumatismes et je travaille toujours. Je suis sûr qu’il est devenu comme Djeff et Nono. Il revient parce que personne ne veut de lui. Il ne m’aura pas, et toi avec.

- Mais non !

- Oui, oui, ricana-t-il, de toute façon tu le défends toujours !"

Le lendemain matin, le père et la mère Guélaille flanqués de Sidi Selboun revinrent du marché vers onze heures. Madame Guélaille s’enferma dans sa cuisine pendant que son mari aidait Sidi Selboun à rassembler ses affaires. Sidi Selboun pliait soigneusement une robe qu’il venait d’acheter pour sa femme lorsqu’il aperçut entre deux pantalons neufs prévus pour ses fils un jean tout dégueulasse.

C’était celui de Mimoun, il l’avait oublié en venant sans doute récupérer des affaires. Il le secoua avec dégoût, le jeta à terre et trois pilules bleues roulèrent sur la moquette. Alors que le père Guélaille essayait de fermer une grosse malle toute ventrue, Sidi Selboun demanda surpris : "C’est quoi ces pilules bleues ?

- Où ça ? "

Sidi Selboun lui désigna du doigt le pantalon et l’imagination du père ne fit qu’un tour. Le père Guélaille était persuadé d’avoir enfin une preuve irréfutable.

- Oh ce n’est rien, ce sont des médicaments. Je vais porter ce pantalon au sale et je reviens.
Les filles ont dû oublier d’emporter tout ça en faisant le ménage ! ".

Le père courut en vitesse dans la chambre où se cachait Mimoun. Il ne trouva que Mhend devant un gros livre savant.

- Où est ton frère ? demanda-t-il avec ferveur

- Il est parti, il y a maintenant une demi-heure.

- Et où est-il parti ?

- Il ne m’a rien dit si ce n’est qu’il ne fallait pas s’inquiéter pour lui et que tout allait bien.

Mimoun, trop fier, avait tracé la route sans prévenir, remettant à des jours meilleurs la confrontation tant redoutée.

- Comment ça parti ? insista le vieux en jetant des regards désespérés à droite et à gauche, tu sais où il est mais tu préfères te taire. Ah, ah, vous êtes tous pareils. Vous cachez toujours la vérité. Et bien, cette fois, vous ne m’aurez pas. C’est pas parce que je travaille tout le temps dehors que je ne vois rien de ce qui se trame à la maison et derrière mon dos. Oui, je l’affirme, ton frère est un drogué !

- Mais non baba, tu te fais des idées !

- Et ça, c’est des idées, grogna-t-il en exhibant les pilules bleues découvertes par Sidi Selboun, les mêmes qu’ils ont montrées hier à la télévision. Cette fois, je vous tiens !

- Mais non, baba, ce sont des médicaments, des antibiotiques contre la grippe, ils sont très puissants.

- Médicaments, médicaments, tu te moques de moi ?

- Ecoute baba, cela ne sert à rien de t’énerver puisque je te dis que ce sont des médicaments et non de la drogue. Si tu ne me crois pas, on peut se rendre chez le pharmacien et il nous dira si c’est de la drogue ou des médicaments. Lui, tu peux lui faire confiance, il ne te racontera pas d’histoires. On y va ?

- Ah, digoulasse, lasse, lasse, maintenant tu veux dénoncer ton frère !