Accueil > Études de cas > Sexismes et transphobies > Erections présidentielles

Erections présidentielles

Le dur et le mou en politique

par Alice Romerio, Arthur Vuattoux
11 novembre 2011

« Mou ! » l’accusation est partout. Nous sommes à Saint-Denis, quelques jours après la fin de la primaire socialiste, et l’adjectif-insulte s’étale un peu partout sur les visages de François Hollande, qui ont été placardés sur le bord du tramway.

La primaire socialiste aura été l’occasion d’assister en avant-première au spectacle de l’année : le combat du dur et du mou. Dans le camp du dur : Martine Aubry, dans le camp du mou : François Hollande.

Pour les défenseurs de l’opposition mou-dur, il est parfaitement clair qu’on ne saurait diriger sans être « dur ». Et si on les écoute un peu mieux, on ne peut plus douter de quoi « mou » est le complément. En effet, pas question d’avoir « les vues un peu courtes », d’être une « couille molle » de la « gauche molle », d’avoir des allures de « bisounours » et de ne pas avoir « d’épine dorsale » ! Il semble bien qu’avoir un pénis en érection soit devenu une condition absolument nécessaire pour diriger la France.

Car, et c’est notre hypothèse, ce à quoi nous avons assisté à l’occasion des primaires, ce ne sont pas des attaques contre un caractère, une volonté, ou même un corps. Non, à mots à peine couverts, et sans relâche, c’est sur les propriétés de sa verge que l’on a attaqué François Hollande. Il était semble-t-il urgent de discréditer cette virilité molle, molle donc douteuse, faible, insuffisamment vascularisée. Et visiblement, cela n’a pas beaucoup dérangé la classe politique.

C’est qu’il est sans doute évident pour tous que le pénis en érection est la condition incontournable pour diriger l’État. Il est bien connu que la ténacité, le courage et l’autorité, qualités que l’on dénie à François Hollande, sont conférées par le sexe dressé.

Ce déterminisme magique, puisé dans le fond le plus primaire de la phallocratie, a structuré dans son principe la campagne des primaires socialistes. Il était crucial de ramener à la vie la liaison causale entre le dur, la verge dressée et le chef. Inversement, ce qui est mou, procède du sexe flacide et de la position du subordonné. Bienvenue dans la phallocratie magique de la politique française.

Et comme être mou est une qualité que l’on peut attribuer aussi bien à la verge qu’à la volonté, il était possible d’associer sans effort ce pénis dur et cette volonté bien trempée en ne faisant mine de ne parler que du second, mais en parlant toujours des deux. Il ne restait qu’à brasser tout cela avec quelques termes non équivoques – « couille molle » faisant parfaitement l’affaire –, de saupoudrer avec quelques figures désexualisées comme le « bisounours » et de mettre au four avec des objets oblongs comme « l’épine dorsale », pour que tout le monde ne pense plus qu’à ça, sans jamais y penser, bien entendu...

La verge « dure » du chef maintenant établie en métaphore structurante des antagonismes politiques, il fallait se placer du bon côté de la virilité. Face à la flacidité délétère, il était salvateur que la dureté reprenne le dessus. Le programme du Parti socialiste, qu’on disait mal incarné par François Hollande, se voulait donc « musclé », écrit pour « redresser la France » dans un « élan démocratique » [1], devant être soutenu par une gauche qui n’était sûrement pas molle et par une candidate dont la « fermeté » ne pouvait être mise en doute.

Certes, il n’est pas inintéressant de voir une candidate porter les emblèmes habituellement réservées aux seuls « hommes politiques ». Lorsque Martine Aubry s’attribue cette virilité du sexe en érection, c’est au ssi une façon de prendre à contre-pied toute une tradition politique qui s’est évertuée à déléguer aux femmes les tâches d’empathie et de compassion, jugées nécessaires mais inférieures dans l’exercice du pouvoir. On pourrait même voir dans cette rhétorique du mou et du dur une forme originale, presque queer, de retournement du stigmate, en faisant porter par une femme les valeurs de la domination masculine. Comme le propose la typologie réalisée par Catherine Achin et Elsa Dorlin, on pourrait considérer que Martine Aubry se présente en politique comme une femme « King », « femme-homme à l’identité sexuelle douteuse » [2], souvent stigmatisée dans l’espace public, car renvoyée à une absence de féminité...

Mais ici le trouble dans le genre n’est pas total puisqu’il s’accompagne de la mise en accusation des personnalités qui ne performent pas avec suffisamment de conviction ce virilisme politique. S’il faut, pour se présenter ainsi, renforcer et valider l’imagerie grossière du « chef au sexe dressé », alors le résultat trahit l’intention. Car solliciter sans précaution des normes genrées d’une telle violence ne conduit qu’à la fortification de l’idée d’une sphère politique où tout n’est qu’une question d’hormones, où la compétence se mesure directement sur les corps, sur les sexes et où il fait bon être du côté du « dur ».

Qui plus est, le combat du dur et du mou n’est pas une pièce en un acte. Le nouveau tenant du dur a déjà fait son entrée, il s’appelle Nicolas Sarkozy. Capitaine courage, le héros de la révolution Lybienne, l’homme « qui en a » et qui saura, lui, avoir la rigueur (ou la rigidité) nécessaire pour prendre les décisions qui s’imposent. Les primaires ont posé un décor que les communicants de l’UMP n’ont plus qu’à déménager rue La Boétie. La rhétorique dur-mou fait déjà partie des stratégies pour la présidentielle. Quand Jean-François Copé réunit plusieurs dirigeants UMP pour leur donner des « éléments de langage à diffuser sur les plateaux de télé », sa première idée est l’opposition « gauche sectaire », « gauche molle ». Le président, lui, s’amuse avec les métaphores, François Hollande, dit-il : « Ça paraît solide quand vous le tenez. Mais prenez de l’eau, c’est soluble ».

Et comme il est impérieux de faire rempart à cette virilité « molle donc douteuse », il ne serait pas étonnant de voir ressortir sous une forme ou une autre, la « masculinité mascarade » [3] que Nicolas Sarkozy avait inventé en 2008. On mettrait ainsi les électeurs en demeure de choisir une des alternatives de ce faux dilemme et de faire de l’échéance de 2012 une élection de virilités. Allons-nous choisir la virilité molle donc douteuse, alors que nous savons à présent qu’elle est celle des subordonnées ? Ou bien allons-nous opter pour la virilité dure du chef, à la volonté d’acier ?

Il serait d’ailleurs naïf de penser que François Hollande se tient en coulisse et ne veut pas participer à la représentation. Simplement il ne joue pas sur le même registre. En imitant Mitterrand, en s’affichant avec Chirac il oppose à la « virilité dur » incarnée par Sarkozy, une virilité discrète, moins spectaculaire, néanmoins présente, qui s’inscrit dans la tradition classique des précédents Présidents de la République.

Dans tous les cas, cette sexualisation du discours politique n’a pas entraîné de discussion critique autour des normes de genre. Le virilisme du chef, reste la valeur phare de la politique française. On peut rêver que la campagne de 2012 soit l’occasion d’une mise à plat des normes genrées de la politique française, avec l’opposition d’au moins deux « virilités », dont l’existence au pluriel fournirait la première pierre d’un travail de déconstruction. Le spectacle des primaires ne fut toutefois pas de très bon augure.

Notes

[2Catherine Achin, Elsa Dorlin, « Nicolas Sarkozy ou la masculinité mascarade du Président », Raisons politiques, n°31, 2008.

[3Catherine Achin, Elsa Dorlin, op. cit.