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Même pas drôle !

Philippe Val, de Charlie Hebdo à Sarkozy

par Sebastien Fontenelle
15 avril 2015

En 170 pages, format poche, le livre de Sébastien Fontenelle nous propose un utile travail de mémoire et de réflexion sur le pouvoir, l’engagement et le reniement, à partir d’un cas d’école : le cas Philippe Val, qui en constitue une figure trop belle, trop pure, trop gigantesque pour être vraie. Et pourtant il existe ! Ses reniements sont bien réels, et le premier mérite de Sébastien Fontenelle est de nous en remémorer quelques-uns [1] et de collecter d’édifiants morceaux choisis de la prose valienne, tantôt vertigineusement stupides, tantôt prodigieusement méchants, souvent les deux, toujours formidablement réactionnaires et opportunistes. L’autre intérêt de ce livre, c’est l’efficace commentaire qui accompagne ce corpus de citations valiennes, un commentaire aussi laconique, sobre et intelligent que son objet est bavard, caricatural et – redisons-le, car c’est hélas vrai – stupide. Aussi honnête aussi, sur le plan intellectuel, que Val est malhonnête. Aussi marrant enfin que Philippe est sinistre et que – comme l’indique bien le titre fontenellien – son parcours est lamentable...

« Il est intéressant de voir que l’intelligentsia se sent maintenant si à l’aise, qu’elle peut publier impunément de vrais mensonges qu’elle fabrique avec un style tout stalinien, en pensant, sans aucun doute avec raison, qu’elle est intouchable dans le climat actuel. »

Noam Chomsky

« Je n’ai pas changé. »

Julio Iglesias

Ce sont les autres, qui ont changé. Pas Philippe Val, ancien patron de Charlie Hebdo devenu en mai 2009 le directeur de France Inter. Certains de ses anciens camarades ont basculé vers le côté obscur de la Force. Lui, pas. Lui, non. Lui est resté fidèle à ses opinions. À ses convictions.

C’est du moins ce qu’il soutient dans un essai paru au mois d’octobre 2008, et que son éditeur présente comme un « document exceptionnel (…) qui fera grand bruit »  [2] – sans que nul cependant ne sache, comme le relèvera la journaliste Mona Chollet, « ce qu’il documente, exactement »  [3].

Val écrit là, dès l’introduction, que, « de l’antiracisme à la lutte contre la peine de mort, le Front national et l’extrême droite catholique », il était, naguère, « en phase avec les positions, minoritaires, des intellectuels de gauche alors unanimes » – mais que, dès lors qu’il a ensuite « pris position publiquement pour une intervention au Kosovo en 1995 », qu’il s’est « révolté contre la forme ambiguë que prenait, chez certains », et de son point de vue, « l’adhésion à la cause palestinienne », et qu’il s’est « engagé pour l’adoption de la Constitution européenne », ses « choix ont rencontré la réprobation d’une partie du milieu intellectuel et politique » – de gauche, donc – dont il était, jusqu’alors, « plutôt proche ».

Pourtant, affirme-t-il, « c’est le même attachement aux droits de l’homme » qui l’a, quant à lui, « fait protester contre la peine de mort dans les années 1970 », puis « soutenir en 2005 (…) le traité constitutionnel européen ». Et c’est « le même antiracisme », qui le « fait haïr le Front national » et lui « rend insupportable le glissement de la critique de la politique israélienne à l’antisémitisme ».

Val est catégorique : « La démocratie a toujours été » son « échelle de valeurs », et sa « lutte », au fil des ans, « n’a pas changé ». Ce sont donc bien les autres – les anciens voisins d’engagement – qui ont « parfois » changé, devenant même, éventuellement, des « adversaires », dont le lecteur est invité à comprendre, par une simple déduction, qu’ils ne sont pas restés attachés aux droits de l’homme, eux ; et que la démocratie n’est (malheureusement) plus leur échelle de valeurs.

Pour le dire autrement : les adversaires de Val sont aussi les adversaires de la démocratie.

Pour le dire plus concisément : Val est la démocratie.

Dans la vraie vie, bien sûr : il a tout de même un peu évolué, au fil des années. Le chansonnier libertaire qui moquait naguère les travers des puissants est devenu, au fur et à mesure de son réalignement sur quelques normes idéologiques de l’époque, « de plus en plus complaisant avec les classes dominantes, leurs médias, leurs intellectuels organiques » ou de proximité, « et de plus en plus hautain, méprisant, voire haineux »  [4] à l’égard de ses « adversaires » – le mot est de lui, on l’a dit – et de ses contradicteurs.

Notes

[1Pas tous, le résultat n’aurait pas tenu en poche, et aurait davantage approché 1700 pages que 170.

[2Philippe Val, Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous, Grasset, 2008.

[3Mona Chollet, Les Éditocrates, La Découverte, 2009

[4Cf. Mona Chollet, « L’obscurantisme beauf ».