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Pata Pata

Hommage à Miriam Makeba

par Youssef Boussoumah
14 août 2011

Parmi les mélodies qui me hantent depuis ma plus lointaine enfance, figure un refrain lancinant et tenace qui revient sans prévenir aux moments les plus inattendus. Lorsque le corps occupé à quelque tâche aussi fastidieuse qu’essentielle permet à l’esprit avide de flânerie, de puiser motif à évasion dans ses archives intérieures. Pas une mélodie mais un film, une épopée que dis-je une saga illuminée de soleil, de fraternité et de lutte. Tout ça en un éclair, le temps d’une petite ritournelle sifflotée sans y prendre garde. C’est ainsi, par sa chanson phare Pata Pata, longtemps après qu’elle l’ait interprétée pour la première fois, que j’ai connu l’incomparable Miriam Makeba...

 Et invariablement cela me ramène en un clip décapant à Alger fin des années 60, un de ces moments fondateurs et mythiques comme l’histoire en connaît peu mais un épisode que je connais mieux que si je l’avais réellement vécu. Tout se passe en plein festival panafricain de 1969, immortalisé par le film de William Klein. Un festival politique de musique, de danse et d’arts les plus divers, dédié au continent africain en lutte contre le colonialisme et l’impérialisme. Un festival, qui se voulait pour ce pays arabo négro-berbère selon la terminologie savante, tout autant affirmation identitaire, l’ancrage de l’Algérie dans le continent noir que détermination politique à devenir l’un des épicentres du séisme libérateur à venir, comme l’indique le nom même du magazine gouvernemental, Révolution africaine. Ce festival, un gigantesque événement, faisait suite lui-même tout en se voulant son contrepoint version libération, au Festival mondial des Arts nègres de Dakar organisé 3 ans plus tôt en 1966 par un Léopold Senghor décrié car jugé trop proche des néo colonialistes français en ce temps de Guerre froide réactivée.

Dans la capitale algérienne, ce même William Klein réalisera également un portrait d’Eldridge Cleaver [1]. En effet, c’est dans cette même ville que le dirigeant des Black Panthers alors en exil et protégé par le président algérien Houari Boumédiene avait trouvé refuge comme des dizaines de ses camarades pourchassés par le FBI et la CIA. C’est là qu’il rencontrera et qu’il épousera Miriam Makeba. Une Miriam Makeba qui elle même ayant fui son pays, l’Afrique du Sud, dont elle avait été déchue de la nationalité par le régime raciste de Prétoria, venait de se voir offrir la nationalité algérienne. Tout comme des centaines d’autres révolutionnaires d’Afrique et du monde entier, elle trouvait au pays des ex fellaga un soutien politique et matériel sans faille.

C’est le temps où dans les rues, les allées des marchés ou les cinémas d’Alger et d’autres grandes villes du pays se pressait une foule bigarrée faite de déserteurs noirs ayant fui la sale guerre du Viet Nam, de militants anti-apartheid de l’ANC compagnons de Nelson Mandela qui les y avaient précédés avant son arrestation, de combattants lumumbistes du Congo, de révolutionnaires angolais, mozambicains ou de Guinée Bissao en lutte contre le colonialisme portugais, de guérilleros colombiens, vénézuéliens, brésiliens ou Tupamaros d’Uruguay, sans parler des multiples délégations officielles cubaines, chinoises, nord viet namiennes et bien sûr des représentants des guérillas arabes, palestinienne, omanaise, yéménite puis plus tard sahraouie auxquelles viendront même se joindre par la suite des militants indépendantistes de pays du nord comme les basques d’ETA ou les Irlandais de l’IRA.

Bref : toute une internationale tiers mondiste, dans la droite ligne des vœux de la conférence tricontinentale voulue trois ans plus tôt à la Havane par Mehdi Ben Barka disparu au moment du festival panafricain et qui réunit alors tout ce que le monde pouvait compter comme militants de fronts, mouvements de libération, organisations révolutionnaires ou représentants de gouvernements progressistes les plus divers, prenait corps dans une capitale, Alger, devenue par la volonté politique de ses dirigeants d’alors « Mecque des révolutionnaires » selon le mot célèbre d’Amilcar Cabral, le prestigieux leader révolutionnaire de Guinée Bissao et Cap Vert. Ce dernier ayant été assassiné par les services portugais quelques années seulement après ce festival qu’il illumina de sa présence.

C’est ainsi, je n’y peux rien, mais à peine égrenées les notes de Pata Pata me ramènent instantanément au beau visage éclatant de vie et de foi en la lutte de Miriam la combattante. Un visage qui dessinera éternellement pour moi les contours de l’universalisme, pas celui de pacotille des Philippe Val, Max Gallo et autres BHL mais notre universalisme, coloré, chaud et libérateur, lorsqu’Alger la Blanche, n’ayant plus de blanche que l’éclat de ses murs se voyait soudainement repeinte aux couleurs du monde. Une période enfouie mais fantastique et si riche d’espoirs pour l’Afrique, une époque prompte à resurgir aussi prégnante et indélébile dans mon souvenir que le sont les peintures du Tassili dans le Sahara. Une époque dont, parole de chameau, même le désert à la nostalgie.

P.-S.

Pour entendre Pata Pata, cliquer ici

Notes

[1L’un des leaders des Black Panthers.