Accueil > Des mots importants > Tzigane > Qu’est-ce qu’un « tsigane » ?

Qu’est-ce qu’un « tsigane » ?

par Faysal Riad
26 octobre 2005

Selon le Robert, les Tsiganes sont des « populations originaires de l’Inde, apparues en Europe au XVIe siècle, qui mènent une vie nomade en exerçant divers petits métiers. »...

C’est effectivement ce qu’on croit souvent des Bohémiens, des Gitans, des Zingaros, Manouches, Romanichels et autres Roms. Dans le monde entier, vivraient des gens issus d’une migration partie d’un point unique, l’Inde, et vivant en marge de toutes les sociétés : vision, il faut dire, d’une linéarité très naïve fondée sur un schéma évolutionniste crée de toutes pièces par des historiens européens au XIXe siècle.

De bons musiciens...

Très souvent méprisés, exécrés par les « honnêtes gens », les « Tsiganes » n’intéressent en réalité pas grand monde. Et le succès de ces clichés s’explique aussi certainement par leur simplicité essentialiste, permettant de ne pas voir la violence avec laquelle sont traités habituellement les nomades marginaux : s’ils sont pauvres, qu’ils vivent dans des conditions intolérables, c’est que cela fait partie de « leur culture »...

En réalité, les nomades d’Espagne, de France ou de Bohème ne parlent pas la même langue, n’ont pas la même culture et ne sont évidemment pas tous originaires de l’Inde. C’est ce qu’affirme clairement Nicole Martinez dans un excellent « Que sais-je ? » sur les Tsiganes. Les méthodes utilisées pour écrire l’histoire des Tsiganes, comparable à ce qu’Edward Saïd appelait l’Orientalisme, partent souvent d’idées préconçues, fausses pour la plupart, ou qui ne sont vraies qu’en partie, mais qui ont toutes le point commun de réduire les responsabilités des sociétés excluantes en mettant tout sur le dos d’une prétendue culture commune.

Bien sûr, comme c’est d’ailleurs souvent le cas lorsqu’on veut inférioriser un groupe sans pour autant paraître raciste, certains clichés sur les Tsiganes se veulent positifs : comme les noirs souvent considérés comme moins intelligents mais par ailleurs censés être quand même de bons chanteurs, de bons danseurs et de bons coureurs, nos Tsiganes, « voleurs de poules », proverbialement feignants, sont tout de même de grands musiciens, et leurs femmes de grandes danseuses... Evidemment, ce qui est censé être une qualité, îlot prétendument positif dans un océan de défauts horribles, n’est bien souvent qu’un élément ravalant l’individu au rang bien peu enviable de clown ou d’amuseur de bas étage. Car le talent musical de Mozart ou de Debussy ne s’explique que par leur génie propre, alors que celui de Django Reinhardt, de Manitas de Plata ou de Sayyed Youssouf ne peut s’expliquer que par la vélocité propre au peuple de Ravi Shankar !

Un peuple unique, une origine commune...

Dans le monde entier, ont toujours vécu en marge des sociétés ce que Nicole Martinez appelle des « populations flottantes ». Certains sont peut-être d’origine indienne, tout comme d’ailleurs les peuples dits indo-européens... Des guerres oubliées, des massacres dont personne ne se soucie, ou des tragédies dont les historiens ont peu parlé, ont poussé de nombreux groupes très différents à migrer et à survivre comme ils le pouvaient. Qui se souvient par exemple, nous demande Nicole Martinez, de la destruction de ville de Belluno en 1873, dont les quelques survivants, qui n’étaient pas d’origine indienne, ont migré un peu partout ? Il y a des groupes qui passent pour des Tsiganes un peu partout dans le monde : Tattares scandinaves, Tinkers irlandais, Sankas japonais ou Pochas arméniens. Toujours méprisés, ces groupes ont rencontré de grandes difficultés pour être acceptés, et le cas échéant pour se sédentariser. Il serait néanmoins très naïf de croire que les « roms » du Bourget ou de la Courneuve sont les descendants des « Égyptiens » présents dans l’oeuvre de Molière, car cela est évident, nombre d’entre eux ont fini par acquérir une nationalité et se sont finalement installés dans les sociétés qui les avaient exclus, profitant de périodes d’ouverture relative (ce n’est à l’évidence pas le cas de notre époque, qui a plutôt tendance à les rejeter violemment).

Rêves et cauchemars purement européens

Notre imaginaire collectif, s’exprimant notamment à travers la littérature ou la peinture, a depuis très longtemps considéré contre toute logique que tous ces peuples avaient une seule et unique origine, forgeant ainsi une identité fictive très mystérieuse, tour à tour objet de haine, de peur, de curiosité, de mépris, ou le cas échéant, suivant la sensibilité de l’artiste, objet d’amour ou de compassion.

Baudelaire, qui aimait les voyages, a largement contribué à la mythification des bohémiens « aux prunelles ardentes » ; de même que Victor Hugo et sa Cour des miracles... A cet égard, l’évolution du sens du mot « bohémien » est très révélatrice de l’exploitation romantique de ces nomades exclus de toutes parts. En réalité, comme l’Orient de pacotille qui nous en dit plus sur l’inconscient artistique européen du XIXe siècle que sur les véritables habitants des terres colonisées, cette littérature tsiganophile dressant le portrait-robot d’un nomade immuable et éternel nous en apprend plus sur les pulsions et les peurs de nos sociétés que sur les véritables Tsiganes ou sur nos capacités à exclure des groupes divers et variés.

Traits communs

Les comportements similaires observés par les « tsiganologues » qui sont autant de « preuves » selon eux de l’origine commune de tous les peuples flottant à travers l’Europe, ne sont probablement que des traits communs à toutes les populations défavorisées. Certains comportements prétendument propres aux Tsiganes s’observent notamment au Mexique, dans les cités dites de « transit » françaises, dans les ghettos noirs américains, ou chez exlcus paupérisés des pays de l’Est. On le voit bien, des traits communs sociologiques ne suffisent pas à créer un peuple, et la culture ne peut se réduire au mode de vie : tous les nomades n’ont pas la même origine (ou alors les bédouins seraient aussi Tsiganes...) et l’isolat social n’implique pas une origine commune. Lorsque des groupes d’exclus qui adoptent des comportements censés être caractéristiques des Tsiganes ont une origine connue (comme les Algériens vivant dans les bidonvilles de la banlieue parisienne jusqu’à une époque récente), ces derniers ne sont nullement considérés comme Tsiganes à proprement parler. Pour cela, il est important d’avoir une origine obscure. Cela suffit amplement car, rappelons le, ceux que nous appelons Tsiganes ne parlent pas tous la même langue et leurs musiques par exemple sont très différentes.

Il n’est dès lors pas étonnant de voir des peuples divers, n’ayant souvent aucun lien entre eux, adopter des modes de vie comparables lorsque leurs situations sont comparables ( exclus, pauvres, vivant en groupe, d’origine obscure et vivant dans des espaces périphériques) : il n’est pas nécessaire d’avoir une origine commune pour s’habiller de bric et de broc lorsqu’on n’a rien. Les clochards de tous les pays se ressemblent plus ou moins mais personne n’a jamais eu l’idée de prétendre qu’ils venaient tous d’une même région où il serait naturel d’être exclu... Essayez de vivre en famille dans la banlieue d’une grande ville européenne avec trois fois rien, vous verrez comment la ressemblance sera grande et comment vous seront facilement attribuées d’évidentes origines indiennes...