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Qui est en « insécurité » ?

Le discours des Blancs pendant les manifestations de Baltimore.

par Mahroh Jahangiri,
13 mai 2015

C’est peut-être un détail par rapport à l’ampleur des débats suscités par les manifestations de Baltimore, mais je suis tombée tellement de fois sur ça ces derniers jours (et tellement de fois auparavant)….

J’ai grandi dans le Maryland, j’ai donc pas mal d’amis sur les réseaux sociaux qui vivent dans cet Etat. Par conséquent, mon fil Facebook se remplit de statuts de personnes riches et non noires qui vivent quelque part près de Baltimore Ouest, et qui m’assurent qu’ils « sont rentrés à la maison en sécurité », et de commentaires de leurs amis les pressant de rester « en sécurité ».

Cela me rappelle les parents des étudiants de UWash (Université de Washington de Saint Louis) et son administration les appelant à rester « en sécurité » pendant les manifestations de Ferguson. Cela me rappelle les expats américains commentant sur Facebook leur « sécurité » chaque fois que des manifestations avaient lieu à Tahrir.

Et cela en dit long sur ce qu’on entend par « sécurité », et quel type de sécurité est prioritaire, et pour qui.

Je reconnais que quand des amis et la famille vont aux nouvelles, ils le font par souci sincère pour ceux et celles qu’ils aiment et qui habitent une ville prise dans la tourmente des informations. Ils ont aussi une mauvaise connaissance de la géographie, et ne savent peut-être pas que WashU se situe à 16 kilomètres de Ferguson. Que les Américains de l’étranger vivent souvent dans des quartiers d’expats, protégés par la police et inaccessibles aux populations locales. Ile ignorent très certainement que Howard County (Comté riche de l’Etat de Maryland) n’est pas Baltimore City. En outre l’hyper-protectionnisme que traduit le nombre d’appels adressés aux femmes à « rester en sécurité » est bien compréhensible étant donnée la vulnérabilité des femmes dans l’espace urbain.

Cependant répondre à cette inquiétude par un simple « Tout va bien ! » invisibilise les inégalités entre ceux qui sont victimes de violence policière, et ceux qui ne le sont pas. C’est une manière de dire que vous aviez une chance d’être atteint par cette forme de violence. De proclamer que vous avez survécu, quand bien même vous n’avez jamais été attaqué. Parler de la manière dont nous, personnes non noires, sommes « en sécurité » nous met étrangement au centre d’histoires de violence qui visent spécifiquement les Noirs. Cela fait de notre sécurité quelque chose de pertinent et prioritaire, alors que ça ne l’est pas dans l’état des débats actuels.

Soyons donc un peu plus responsables et compréhensifs dans nos réponses à l’inquiétude exprimée par des Blancs au lieu de simplement dire « Je suis en sécurité ». Faites savoir à vos amis et votre famille que si leur inquiétude est motivée par une peur des émeutes et de la « racaille », celle-ci est le résultat d’informations déformées ou du racisme, ou des deux. Donnez leur d’autres sources d’informations sur ce qui se passe à Baltimore (ou à Ferguson, ou ailleurs). Si leur préoccupation est liée au fait d’être une femme, parlez de la menace historique du « dangereux » homme brun ou Noir, brandie pour justifier des siècles d’oppression raciale. Renvoyez les vers des sources qui montrent que des militantes noires sont aux premiers rangs des manifestations – contrairement aux représentations communes.

Surtout, faites leur comprendre que leurs préoccupations sont hors de propos, parce que la police, et non les manifestants noirs, représente une menace systémique. Que la violence policière discrimine et affecte les quartiers et les villes que notre race et classe a fuis. Que non seulement la sécurité des Noirs de Baltimore est menacée en ce moment, mais que ça n’a rien de nouveau – que le sens même de cette protestation, c’est que cette sécurité a toujours été – et continue d’être – mise en péril. Il ne suffit pas, pour les Noirs d’Amérique, de se tenir à l’écart des manifestations pour être "en sécurité".

Faites leur comprendre comment on a pendant longtemps garanti toutes les formes de sécurité pour les Blancs. Par la police. Economiquement. Par les communautés fermées. Par l’importance accordée aux fenêtres cassées plutôt qu’aux colonnes vertébrales cassées. Expliquez leur que la protection dont bénéficient les Blancs est si puissante que placer des corps blancs entre les manifestants noirs et la police est vu comme un moyen d’empêcher la violence contre les manifestants.

Lisez avec eux bell hooks, dont les écrits sur la protection des Blancs ont beaucoup circulé après le meurtre de Trayvon Martin :

« La personne qui est vraiment une menace est l’homme blanc propriétaire, qui a été tellement bien socialisé par l’idée de la suprématie blanche, du capitalisme et du patriarcat qu’il ne peut répondre rationnellement.

La suprématie blanche lui a appris que toutes les personnes non blanches sont une menace, quels que soient leurs comportements. Le capitalisme lui a appris que sa propriété peut et doit être défendue à tout prix. Le patriarcat lui a appris qu’il doit prouver sa masculinité en maîtrisant sa peur par l’agression ; que ce serait dévirilisant de poser des questions avant d’agir.

Les médias de masse nous apportent les informations d’une façon professionnelle et dans une célébration presque joyeuse, comme si aucune tragédie n’avait eu lieu, comme si le sacrifice d’une jeune vie était nécessaire pour protéger les valeurs de la propriété et l’honneur du patriarcat blanc. Les téléspectateurs sont encouragés à ressentir de la sympathie pour l’homme blanc propriétaire qui a simplement commis une erreur. Le fait que cette erreur conduise à la mort violente d’un jeune homme innocent ne s’imprime pas dans les esprits ; le récit officiel encourage les téléspectateur à s’identifier à celui qui a commis une erreur mais l’a fait en faisant ce que nous ferions tous pour “protéger notre propriété à tous prix en cas de menace” ».

C’est à ça que leur amour de la mort ressemble.

Ne leur dites pas seulement que ça va. Expliquez-leur que la « sécurité des blancs » n’a jamais été autre chose

P.-S.

Cet article est paru sur le site Feministing, nous le reproduisons avec l’accord amical de l’auteure. Traduction : Sylvie Tissot.