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Retraites : 12 idées reçues à combattre

02 – Le système n’est pas viable financièrement : il faut réformer

par Anaïs Henneguelle
20 janvier 2020

En soutien à la grève, et pour étendre les prochaines mobilisations, le Collectif Les mots sont importants republie une réfutation en douze points de la propagande gouvernementale sur la "réforme" des retraites. Ce guide d’auto-défense a pour vocation de fournir des arguments à tous ceux et toutes celles qui s’opposent à la réforme des retraites mais sont parfois démunis face aux éléments de langage (parfois faux, la plupart du temps incomplets ou simplistes) qu’on leur oppose. Comment répondre aux éléments de langage du gouvernement ? Que rétorquer à son ami, salarié du privé, qui prétend que « ça fait les pieds aux fonctionnaires et aux cheminots » ? Quels chiffres simples mais efficaces mettre en avant pour exprimer sa colère ou son inquiétude ? En bref, comment (se) mobiliser contre la réforme des retraites ?

1ère idée reçue : Il n’y a pas de perdants à la réforme

Le système est tout à fait soutenable à moyen terme

Dans le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) de novembre 2019 [1], on peut lire que : « Le besoin de financement du système de retraite varierait en 2025 entre 0,3 % et 0,7 % du PIB selon les scénarios et la convention retenue, soit entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros constants » (p. 50). D’après le gouvernement, cela signifie que le système de retraites actuel ne serait pas viable.

Néanmoins, il oublie de mentionner que les réserves de l’ensemble des régimes de retraite actuels s’élèvent à 127 milliards d’euros (p. 54) [2] 11. Cela signifie concrètement que le système de retraite pourrait être en déficit à partir de 2025 (date de l’entrée en vigueur prévue de la réforme), mais qu’il possède des réserves de l’ordre de 127 milliards d’euros en parallèle.

Or, ces réserves sont justement supposées servir à financer d’éventuels déséquilibres... ce qui rend le système tout à fait soutenable à moyen terme.

Si déficit annoncé il y a, c’est à cause de la baisse des ressources et non à cause de la hausse incontrôlée des dépenses

Le chiffre de déficit indiqué par le COR provient surtout de la baisse des ressources affectées au système [3] dans les prévisions du rapport COR. Il ne provient pas d’une hausse des dépenses de retraites.

Comment expliquer cette baisse des ressources qui conduit mécaniquement à une hausse du déficit ?

Le COR retient plusieurs hypothèses :

• Les exonérations de cotisations sociales non compensées, qui diminuent les ressources de l’assurance retraite (tout comme la baisse non compensée de la CSG). En effet, depuis la loi Veil du 25 juillet 1994, l’État doit compenser intégralement les allègements et exonérations de cotisations sociales aux caisses de la Sécurité sociale. Mais en 2018, le gouvernement est revenu sur ce principe (notamment pour financer les mesures d’urgence destinées aux « gilets jaunes ») et cette absence de compensation pèse lourd sur le budget de la protection sociale (et donc aussi de l’assurance retraites) [4].

• L’austérité salariale dans la fonction publique : le COR prévoit que l’État va recruter moins de fonctionnaires titulaires ; or, l’employeur public cotise plus que les employeurs privés et cette baisse a un effet direct sur les ressources de l’assurance retraite. En effet, les cotisations sociales salariales pour le système de retraite sont inférieures pour le personnel de la fonction publique (7,85 % contre 10,65 % pour les salariés du privé), mais l’employeur public cotise beaucoup plus (62,14 % pour la fonction publique d’État, 108,63 % pour les militaires, 27,3 % pour les hospitaliers... contre 15,6 % dans le secteur privé) [5].

• D’autres éléments plus marginaux comme la baisse des transferts de l’Unédic ou de la CAF (qui contribuent à l’assurance retraite pour les périodes de chômage ou de congé parental).

Donc finalement, le déficit se creuse non pas parce que les dépenses sont « hors de contrôle », mais parce que les recettes diminuent. On peut dire que ce déficit est créé de toute pièce... pour inciter à la réforme !

Le gouvernement joue le jeu de la « politique des caisses vides »

De façon plus générale, on assiste en fait avec cette diminution des recettes à la mise en oeuvre de la « politique des caisses vides » (starving the beast en anglais) : cette stratégie politique consiste à générer d’abord un déficit pour ensuite justifier politiquement une réforme impopulaire, au nom de la « bonne gestion ».

Cette stratégie a été mise en place pour réformer de nombreux services publics : la Sécurité sociale dans son ensemble, mais aussi les hôpitaux ou la SNCF par exemple [6].

C’est une politique de « chantage à la dette » qui permet de faire passer des réformes difficiles, comme l’explique clairement une note publiée en 2010 par le FMI (Fonds Monétaire International) :

« Les pressions des marchés pourraient réussir là où les autres approches ont échoué. Lorsqu’elles font face à des conditions insoutenables, les autorités nationales saisissent souvent l’occasion pour mettre en oeuvre des réformes considérées comme difficiles, comme le montrent les exemples de la Grèce et de l’Espagne. » [[Cité notamment dans un débat à l’Assemblée Nationale ou par François Chesnais dans son ouvrage Les dettes illégitimes. Quand les banques font main basse sur les politiques publiques, 2011.]

D’autres solutions sont envisageables pour combler un éventuel déficit

De toute façon, même si le système connaît un déficit, il n’est pas évident qu’il faille faire des mesures d’économie en baissant le niveau des pensions et en reculant l’âge de départ en retraite. On pourrait envisager d’autres solutions !

C’est d’ailleurs ce qu’indique aussi le rapport du COR : « le fait que le système de retraite présente un déficit à cet horizon [2025] n’implique pas nécessairement pour tous les membres du COR que celui-ci doive être résorbé par des mesures d’économies » (p. 61).

3ème idée reçue : L’espérance de vie augmente et il faut en profiter

P.-S.

Ce texte a été rédigé par Anaïs Henneguelle, maîtresse de conférences en économie à l’Université de Rennes 2, membre du collectif d’animation des Économistes Atterrés. Nous le reproduisions avec l’amicale autorisation de l’auteure. La liste des arguments décodés ici s’inspire de l’allocution d’Édouard Philippe du 11 décembre dernier.

Notes

[1Disponible en intégralité ici.

[2Comme le relève très justement l’économiste Éric Berr dans une note sur son blog de Mediapart.

[3Comme le montrent respectivement Henri Sterdyniak et Michaël Zemmour dans des articles d’Alternatives Économiques que l’on peut lire et .

[4Comme on peut le lire sur cette note du Sénat.

[5Comme on peut le lire sur fonction-publique.gouv.

[6Voir Pierre-André Juven et Benjamin Lemoine, « Le marché sur de bons rails. Découpages comptables et chantage à
la dette à la SNCF », Revue française de socio-économie, 2017.