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Retraites : 12 idées reçues à combattre

04 – Il faut un âge d’équilibre à 64 ans

par Anaïs Henneguelle
22 janvier 2020

En soutien à la grève, et pour étendre les prochaines mobilisations, le Collectif Les mots sont importants republie une réfutation en douze points de la propagande gouvernementale sur la "réforme" des retraites. Ce guide d’auto-défense a pour vocation de fournir des arguments à tous ceux et toutes celles qui s’opposent à la réforme des retraites mais sont parfois démunis face aux éléments de langage (parfois faux, la plupart du temps incomplets ou simplistes) qu’on leur oppose. Comment répondre aux éléments de langage du gouvernement ? Que rétorquer à son ami, salarié du privé, qui prétend que « ça fait les pieds aux fonctionnaires et aux cheminots » ? Quels chiffres simples mais efficaces mettre en avant pour exprimer sa colère ou son inquiétude ? En bref, comment (se) mobiliser contre la réforme des retraites ?

3ème idée reçue : L’espérance de vie augmente et il faut en profiter

Édouard Philippe annonce que l’âge minimal de départ à la retraite sera maintenu à 62 ans, mais qu’il faut « inciter les Français à travailler plus longtemps », en instaurant au-dessus de l’âge légal un « âge d’équilibre » avec un système de bonus-malus.

Instaurer un âge pivot, c’est faire discrètement reculer l’âge de départ à la retraite

En fait, instaurer un âge pivot à 64 ans en 2025 (ou 2027 selon les versions) revient de fait à reculer l’âge de départ à la retraite à taux plein... Qui passe donc, même après 42 années de cotisations, pour tous les salariés du public comme du privé, de 62 ans actuellement à 64 ans après la réforme.

Il y a d’autres solutions pour « garantir les pensions », contrairement à ce que fait croire le gouvernement

En fait, la solution proposée par Édouard Philippe pour « garantir les pensions » n’est pas la seule possible. En effet, il y a trois leviers pour maintenir un équilibre [1]
• On peut augmenter le taux de cotisations, salariales ou patronales. L’État se refuse à le faire, sous prétexte « qu’il y a déjà beaucoup de charges sociales sur les Français ». Pourtant, le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) [2] indique que, pour résorber l’éventuel déficit qui apparaîtrait en 2025, il faudrait simplement augmenter les cotisations d’un point sur cinq ans, soit de 0,2 point par an... C’est loin d’être insurmontable, mais cette solution est complètement laissée de côté par le gouvernement ! [3]

• On peut aussi reculer l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite, qui est fixé à 62 ans depuis 2010. Le gouvernement refuse officielle- ment de le faire, mais il suit une voie détournée qui aura in fine les mêmes effets...

• On peut allonger la durée de cotisation : c’est la solution de l’âge pivot. Cet âge pivot a pour conséquence directe de reculer l’âge de départ à la retraite de nombreuses personnes.

L’âge pivot ne restera pas à 64 ans

L’âge pivot ne sera en réalité pas fixe à 64 ans, il augmentera pour équilibrer le système par points [4].

Pour le comprendre, revenons d’abord sur le système actuel. Aujourd’hui, pour toucher une retraite à taux plein, il faut à la fois avoir atteint l’âge légal (62 ans) et cumulé un nombre de tri- mestres cotisés (41 ans et 6 mois, soit 166 tri- mestres). Au maximum, même si on n’atteint pas le bon nombre de trimestres, on touche une retraite à taux plein automatique à partir de 67 ans.

Avec le système de retraites à points, la notion de trimestres cotisés disparaît au profit des points. Peu importe sa durée de cotisation, on peut toucher l’intégralité de sa pension (calculée à par- tir des points accumulés) à partir d’un âge-pivot. Ceux qui partiront avant subiront une pénalité (la décote), ceux qui partiront après auront droit à un bonus (la surcote).

Or, pour que le système à points puisse s’équilibrer, il est nécessaire que ce pivot soit mouvant... Dans le rapport Delevoye, l’âge pivot évolue d’ailleurs en fonction de l’espérance de vie. Ainsi, l’âge d’équilibre de la génération née dans les années 1990 pourrait être de 67 ans. D’après ce rapport (ce qui n’a pas été confirmé ni infirmé par Édouard Philippe lors de son allocution), si l’espérance de vie augmente d’un an, l’âge pivot augmentera en parallèle de huit mois [5].

Si modifier l’âge de départ à la retraite (62 ans aujourd’hui) était très difficile précédemment (puis- qu’il fallait une nouvelle réforme), modifier l’âge pivot (et instaurer plus de décote) sera par la suite un jeu d’enfant !

Non, les Français ne choisissent pas aujourd’hui de partir à 64 ans !

Tout comme c’est écrit dans le rapport Delevoye, Édouard Philippe indique dans son discours que l’âge pivot de 64 ans constitue un « horizon raisonnable » de départ à la retraite puisqu’il s’agit de « l’âge moyen de départ à taux plein en 2025 actuellement projeté » (notamment par le COR) [6].

Effectivement, le rapport de novembre 2019 du Conseil d’Orientation des Retraites prévoit bien que l’âge moyen de départ à la retraite va s’allonger : d’après ses prévisions, il passera de 62,1 ans en 2018 à 62,8 ans en 2025 puis à 63,3 ans en 2030 (p.42). Néanmoins, le COR ne va pas jusqu’à 64 ans.

De plus, le COR explique que cette augmentation s’explique en grande partie par l’allongement de la durée de cotisation requise et de l’entrée plus tardive en emploi... Ce n’est donc pas vraiment un « choix » de la part des travailleurs, qui se plient plutôt à une contrainte imposée.

5ème idée reçue : Il faut limiter la part des retraites dans le PIB à 14 %.

P.-S.

Ce texte a été rédigé par Anaïs Henneguelle, maîtresse de conférences en économie à l’Université de Rennes 2, membre du collectif d’animation des Économistes Atterrés. Nous le reproduisions avec l’amicale autorisation de l’auteure. La liste des arguments décodés ici s’inspire de l’allocution d’Édouard Philippe du 11 décembre dernier.

Notes

[1Comme le résume l’économie Éric Berr dans une note sur son blog de Mediapart. ] :

[2Que l’on peut lire ici.

[3Voir à ce sujet l’article de l’économiste Sébastien Villemot dans Mediapart.

[4Comme le montre cet article d’Alternatives Économiques.

[5On peut le lire p. 48 du rapport Delevoye.

[6On peut le lire p. 47 du rapport Delevoye.