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Sur la prétendue différence et complémentarité entre les hommes et les femmes

Réponse à un lecteur

par Les TumulTueuses
14 mars 2011

A la suite de sa dernière action piscine, le groupe féministe Les TumulTueuses, a reçu cette lettre d’un lecteur, s’étonnant qu’on puisse remettre en cause l’idée, évidente selon lui, que « les hommes et les femmes sont différents et complémentaires ». Nous avons décidé de reprendre les explications fort pédagogiques et patientes des TumulTueuses, précédées de la lettre du lecteur.

« Une question, pour ma compréhension.

Je découvre votre site via le site rue89 et commence naturellement par lire la déclaration de votre "raison d’être" et me viens la question suivante dès le premier paragraphe :

Je fais partie de la majorité des gens qui pensent que les hommes et les femmes sont différents et complémentaires.

Je suis un homme et je ne pourrai par exemple jamais sentir un enfant pousser dans mon ventre et c’est une différence "naturelle" majeure. Or votre premier paragraphe semble indiquer que les Tumultueuses pensent que nous ne sommes pas "naturellement" différents ni complémentaires.

En quoi ne le sommes nous pas ?

A tout hasard, si vous avez déjà pris la peine sur votre site d’expliquer ce point, un lien vers l’explication me suffira.

Merci d’avance pour le temps que vous passerez à m’éclairer sur ce sujet. » le 18/12/2010

***

Voici la réponse des TumulTueuses :

Cher lecteur,

Merci de votre message. Il nous rappelle que ce qui nous semble évident sur un sujet, après de nombreuses lectures, réflexions et expériences, ne l’est pas forcément pour tout le monde. C’est pourquoi, nous avons pris le temps de vous répondre longuement afin que nos positions soient (mieux) comprises.

Minorité, majorité, qui a raison ?

C’est vrai, votre opinion rejoint l’opinion de la majorité, mais faire partie de la majorité ne signifie pas avoir raison. Ce n’est pas le nombre, ni le type de personnes qui défendent une idée qui en garantissent la crédibilité. Nous savons que nous défendons des points de vue qui sont minoritaires, mais ce n’est pas pour autant que ceux-ci sont moins valables.

Evidences

Des personnes naissent avec des organes femelles, d’autres avec des organes mâles, et d’autres avec les deux que l’on appelle les intersexes. Vous nous dites que vos organes mâles font que vous ne pouvez porter d’enfant. Et après ? Vous venez juste de rappeler une évidence : dans l’espèce humaine, la reproduction est sexuée.

Sommes-nous des vagins et des pénis sur pattes ?

Ces évidences une fois rappelées, pensez-vous que c’est la nature qui peint la chambre des bébés mâles en bleu et celle des bébés filles en rose ? Pensez-vous que c’est la nature qui a donné Barbie aux filles et Superman aux garçons ? Est-ce bien elle qui dans les magasins crée des rayons jouets filles d‘un côté et garçons de l‘autre ? Rase-t-elle aussi les jambes des femmes parce qu’il ne serait pas féminin d’avoir les jambes poilues ? Serait-ce toujours elle qui considérerait que baiser à tout va est plus grave lorsqu’on est une femme ? Ou, à l’inverse, qu’il est plus grave de pleurer lorsqu’on est un homme ? Enfin, la nature aurait-elle exigé que dans la langue française "le masculin l’emporte sur le féminin" ?

Des tests réalisés afin de savoir s’il existait deux cerveaux selon le sexe (dans des laboratoires différents, et à des moments différents) ont montré que les différences entre hommes et femmes qu’on a l’habitude de constater (et qui sont en réalité le fait de leurs éducations différentes) étaient effacées une fois que les personnes y étaient préparées de la même façon. Autrement dit, quand les hommes et les femmes étaient entraînés aux mêmes exercices, les différences constatées dans le fonctionnement de leurs cerveaux s’amenuisaient pour finalement disparaître. En clair, nous sommes ce par quoi on nous conditionne. (cf livre de C.Vidal qui s’intitule "Hommes, femmes, avons-nous le même cerveau". Les tests dont il est question plus haut y sont référencés.)

Nous devenons ce que nous sommes en raison d’un conditionnement qui débute dès la petite enfance, et qui nous apprend à nous comporter comme une femme ou comme un homme, en fonction de nos organes génitaux de naissance.

Si ces différences étaient “naturelles”, pourquoi serait-il nécessaire qu’on nous rappelle constamment comment faire pour être un « vrai » homme, ou une « vraie » femme ? ("ne pleure pas tu es un garçon", "les petites filles ne se bagarrent pas comme ça", "untel n’est pas un vrai mec", "une telle ne fait pas comme une fille" etc.). Et donc, s’il existe de « faux » hommes et de « fausses » femmes, alors que ces personnes possèdent un organe mâle ou femelle considéré comme normal, n’est-ce pas la preuve que l’idée d’une vérité masculine et d’une vérité féminine a une origine sociale et pas génitale ?

De plus, si nous n’étions que des organes génitaux sur pattes, naturellement différents et complémentaires, pourquoi nos considérations sur ce que sont l’homme et la femme évolueraient-elles selon les époques et les sociétés ?

Enfin, si tout ceci était si naturel et immuable pourquoi avoir tellement peur que cela disparaisse à cause du militantisme de personnes aux avis supposés méprisables parce que minoritaires ?

« Ok c’est culturel, mais enfin, c’est utile : on ne peut pas être tous pareil ! »

Que l’on se rassure. La crainte d’un effacement des sexes à cause des théories féministes est un vrai non sens. Regardez autour de vous : selon nos parcours, nos religions, nos idéaux, nous sommes vraiment toutes et tous différents. Eh oui, certains hommes pro-féministes sont beaucoup plus proches de nos idées que certaines femmes conservatrices. En somme, n’ayez crainte, les gens ne sont pas identiques. La vraie uniformisation est sociale : c’est celle qui veut que toutes les femmes soient pareilles entre elles et tous les hommes pareils entre eux. C’est celle qui par exemple réprime les comportements de certains hommes que l’on juge pas assez « masculins » et qui donc se forcent à avoir l’air de « vrais hommes ». Est-ce naturel de se forcer à avoir l’air d’un « vrai » homme ?

« Ok, on ne sera pas tous pareil, mais à quoi bon remettre tout cela en question ? »

Ce sont les éducations différentes selon que l’on naît mâle ou femelle qui consacrent la hiérarchie entre les sexes. Par éducation nous entendons évidement bien plus que les parents, mais tout ce qui modèle une société (films, musique, médias, écoles, pairs, etc…).

Dans un monde où sont valorisées la compétition, la force, la rigueur, la réussite, comment voulez-vous que les personnes élevées au féminin, et donc élevées à la douceur, à la gentillesse, à la compassion, aillent massivement très loin ? Il y en aura toujours quelques-unes, mais la grande majorité des femmes continuera à se perdre dans des aspirations qui ne tournent qu’autour de leur vie sentimentale et familiale, pendant qu’une majorité d’hommes continuera à être nourrie par des désirs de réussite. Elles continueront à se sentir méprisables parce que célibataires et/ou sans enfant, et à l’inverse, à se sentir valorisées par les titres ronflants de "bonne mère" et "bonne épouse" pour le temps gratuitement consacré à leur foyer, l’idée étant qu’elles se donnent "naturellement" et par "amour".

Il n’y aurait rien de mal à être perçue comme une "bonne mère" ou une "bonne épouse" si les concepts de "bon père" et "bon époux" étaient aussi pensés comme suffisants pour un homme. Mais nous savons toutes et tous qu’il n’en est rien. Tous ceux qui vantent les supposés rôles féminins, ceux-ci étant soit disant très honorables, sont ceux qui pour rien au monde ne voudraient être honorés de cette façon. Ils savent très bien que dans cette société, l’honneur se trouve ailleurs.

Nos éducations au féminin nous ont appris à penser que c’est seulement sur nous que devait peser la responsabilité du « respect de soi » (les femmes devraient paraît-il être "respectables" pour être "respectées"), qu’il ne faudrait pas gagner plus d’argent que nos hommes pour que leur virilité ne soit pas en danger, etc…
Voilà pourquoi nous considérons que « l‘égalité dans la différence », si c’est dans cette différence, est une vaste blague…

La fameuse complémentarité…

Réfléchissons à l’idée de complémentarité, puisque vous l’évoquez : ce stéréotype malheureusement trop répandu n’est-il pas simplement la preuve que nous vivons dans des sociétés qui analysent tout à travers le seul prisme hétérosexuel ?

C’est quoi au juste être « complets » ? Toutes les femmes n’ont pas besoin de se compléter avec un homme pour être heureuses. Inversement certains hommes se complètent très bien entre eux. Dire "homme + femme = complémentarité", cela revient-il à dire que des couples de gays ou de lesbiennes seraient incomplets ?
D’où vient cette idée qu’il faut trouver la personne qui nous est “complémentaire” pour connaître le bonheur ? On choisit plus souvent sa ou son partenaire pour ce qu’on peut partager de commun (valeurs, idées, humour, passions ou tout simplement un vécu semblable) que pour l’inverse, non ? Pourquoi en revanche nos sexes biologiques (= nos capacités ou non à porter un enfant) devraient-ils être différents pour être heureux à deux ?
Même si c’étaient a priori les différences qui rapprocheraient deux êtres, en quoi cela disqualifierait-il le fait que d’autres soient rapprochés par leurs similitudes ?

Après tout, et avec un peu d’humour, ne dit-on pas que les opposés s’attirent mais aussi que qui se ressemblent s’assemblent ?

En résumé

Les différences biologiques dont la fonction est uniquement reproductive n’enferment pas le cerveau des personnes. Oui, pour se reproduire, il y a deux sexes, mais rien à voir avec ce qui se passe dans nos têtes.
Nous l‘avons compris, vous avez un zizi. Vous pouvez donc, si tout fonctionne, lâcher du sperme pour vous reproduire. Mais ne nous faites pas croire que nous n’en lâchez que dans cette fin. D’un côté, il y a la reproduction, phénomène naturel, de l’autre, le désir et le plaisir, des phénomènes culturels perçus de manières différentes selon les époques et les sociétés.

La reproduction est une possibilité et pas une obligation. Tant mieux ! Car, tout le monde ne veut pas ou ne peut pas avoir d’enfants. Et d’ailleurs, les personnes qui en ont n’en fabriquent pas non plus tout le temps.
Pourquoi alors faire de la reproduction le fondement d’un paquet d’idéologies (instinct maternel, virilité, instinct protecteur etc), quand de manière évidente nous vivons des milliards de choses qui ne mettent pas du tout en jeu nos fonctions reproductrices ?

Pourquoi préférer croire à un déterminisme biologique absolu lorsqu’il s’agit d’un déterminisme social sur lequel nous pouvons toutes et tous exercer des changements, aussi difficile que cela peut l‘être ? Au final, n’est-ce pas plutôt rassurant de savoir que nous avons ce pouvoir ?

Pour conclure sur une note optimiste, nous espérons que votre démarche (celle de nous interpeller) soit peut être déjà la première étape d’un processus de remise en cause de cet ordre biologique, dont vous nous parlez avec tant de certitude.

Nous reconnaissons que c’est un processus de questionnement qui est long et qui n’est pas souvent facile, car il implique de remettre en cause tant d’idées que nous avions acceptées comme allant de soi. Mais il est à la portée de tout le monde, à condition d’accepter que même les "évidences" ne sont pas dispensées de questionnement.

Après tout, si elles sont si vraies, vous n’y perdrez rien. En revanche, si elles sont fausses, il serait dommage de ne pas s’en rendre compte...

Si notre humble dissertation vous a suggéré quelques pistes de réflexions, alors elle en valait le coup.

Nous vous souhaitons plein de bonheur quelle qu’en soit la forme.

Amicalement vôtres,
Les TumulTueuses.