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Tragédies syriennes

Révolution volée et exil : un dossier présenté par le journal CQFD

par Mathieu Léonard
1er novembre 2015

Le texte qui suit présente le très recommandable dossier que propose le journal CQFD, en kiosque jusqu’au 5 novembre 2015.

Donc, la photo du corps inerte du petit Aylan échoué sur une plage turque aura enfin fait prendre conscience aux gouvernements européens de l’urgence de la question des réfugiés syriens. Sauf que, si on ne peut nier l’émotion ou l’indignation qu’une image est capable de susciter, ce n’est pas rassurant d’imaginer que le « choc des photos » devienne un nouveau paramètre de gouvernance. D’ailleurs, il ne faudrait pas que le réveil émotionnel provoqué par cette image insoutenable phagocyte la compréhension d’une réalité plus large.

Ainsi, le parcours de la famille du petit Aylan Kurdi concentre en soi bien des aspects du calvaire qui a poussé plus de 4 millions de Syriens à s’exiler depuis quatre ans. Abdullah Kurdi, le père d’Aylan, était barbier à Damas où, en 2011, il aurait été arbitrairement emprisonné et torturé durant 5 mois par les services de sécurité, selon le blogueur syrien Kenan Rahmani. Il a dû vendre son commerce pour payer la caution de 5 millions de livres syriennes (environ 24 000 euros) que lui réclamaient les militaires.

La famille part alors à Alep, d’où elle doit fuir les bombardements du régime. Elle se rend à Kobané, sa ville d’origine, mais l’attaque de Daech, en juillet 2014, les oblige à passer la frontière turque. La ville, détruite depuis le départ du groupe État islamique, chassé par les combattants kurdes et l’aviation américaine, est dans un lent processus de reconstruction, aujourd’hui bloqué par l’embargo que lui impose le gouvernement turc.

En juin, la demande d’asile qu’Abdullah a faite au Canada – où sa sœur est résidente et a préparé son accueil – est rejetée. La Turquie, quant à elle, refuse de délivrer des visas de sortie aux réfugiés qui ne disposent pas de passeport, ce qui est le cas de la plupart des Syriens en exil.

La famille Kurdi débourse alors l’équivalent de 5 000 euros pour tenter une traversée en bateau vers l’île grecque de Kos. La suite, on la connaît, le 2 septembre, le canot chavire, les gilets de sauvetage étaient défaillants, Aylan glisse des mains de son père… Depuis, le Canada a offert la citoyenneté à la famille Kurdi qui l’a refusée, le père ayant déclaré vouloir rester à Kobané, où son fils a été enterré.

À l’heure où Bachar al-Assad, le principal responsable de la tragédie syrienne, est remis en selle par l’ensemble de la communauté internationale sur fond de réal-politique, CQFD a souhaité donner la parole aux révolutionnaires civils syriens, qui ont vu leurs espoirs de changement balayés par des jeux géostratégiques et la militarisation du conflit.

Ils nous rappellent que leur lutte continue à travers l’auto-organisation des zones rebelles et le soutien aux populations civiles qui subissent toujours les attaques de l’armée – comme le 16 août, à Douma, où 96 personnes ont trouvé la mort suite au bombardement d’un marché populaire.

Nous sommes également partis à Istanbul à la rencontre d’une diaspora syrienne hétérogène, entre exploitation économique et reconstruction culturelle. Au moment où nous mettons sous presse, l’Union européenne annonçait débloquer plus d’un milliard d’euros pour « fixer » les réfugiés en Turquie, en Jordanie ou au Liban et ainsi endiguer l’afflux vers la forteresse Europe…

P.-S.

Au sommaire dans ce dossier Syrie :

 « Nous voulons un pays en couleurs ! » : En 2011, après 40 ans de silence, de peur et de résignation face à la dictature, les Syrien-ne-s ont libéré leurs voix, leurs corps, leurs esprits. Spontanément, un foisonnement de créations et d’expressions s’est emparé des murs, des banderoles, des rues, des réseaux sociaux. Aujourd’hui encore, ces traces portent la mémoire du soulèvement populaire.

 « De cette expérience de souffrance, nous pouvons extraire un sens d’émancipation » : Yassin al-Haj Saleh est un écrivain syrien, connu pour être un des théoriciens de la révolution syrienne. En 1980, à l’âge de 19 ans, il est emprisonné pour seize années par le régime d’Assad en tant que militant communiste. De cette expérience, il en ressortira un livre, Récits d’une Syrie oubliée – Sortir la mémoire des prisons, édité par Les Prairies ordinaires en avril dernier. Aujourd’hui réfugié à Istanbul, Yassin al-Haj Saleh revient pour CQFD sur son expérience de la prison et celles de la révolution et de l’exil, mais aussi sur l’importance de la question culturelle syrienne pour lutter contre l’oubli.

 La Révolution confisquée ? : Nous avons rencontré Salma, Hani, Majd, Oussama, Abou Selma, activistes civils imprégnés des valeurs d’anti-autoritarisme et de démocratie directe. Originaires de Damas et de sa région, notamment de la ville tristement célèbre de Douma et du camp de Yarmouk, ils vivent à présent à Toulouse, Paris ou Beyrouth, où ils ont pu venir « souffler un peu » pour se préparer à la suite de leur combat. Pour eux, l’issue du conflit ne se résume pas à « Bachar ou la Charia », repris en chœur de l’extrême gauche à l’extrême droite. Ils ressentent la réhabilitation actuelle du despote comme un coup de poignard dans le dos, jetant par là même les opposants syriens dans le sac de l’obscurantisme salafiste. Écrasés, ils ne capitulent pas. Ce serait se trahir soi-même. À travers ces témoignages, CQFD souhaite contribuer à redonner la parole à ces invisibles.

 Istanbul, l’exil syrien : La mégalopole d’Istanbul est devenue une destination majeure pour les plus de deux millions de Syriens réfugiés en Turquie. 300 à 500 000 Syriens vivent désormais dans cette mégapole aux portes de l’Europe, et tentent depuis peu de reconstruire une communauté à part entière, malgré les affres de la guerre civile. Reportage au fil des différents quartiers stambouliotes à la rencontre de la diaspora syrienne, entre attente, survie et aspirations culturelles.

 « Les réfugiées syriennes sont juridiquement captives du gouvernement turc » : Enseignante en droit international et droit de l’homme à l’Université d’Istanbul, Zeynep Kivilcim est également activiste féministe. Elle revient pour CQFD sur son travail de recherches autour de la condition des réfugiées syriennes.

 « Sauver les chrétiens d’orient », ou la victoire combinée du régime syrien et de l’extrême droite française