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Un étrange communiqué

À propos de la campagne pour l’exclusion de Alma et Lila Lévy, élèves du lycée Henri Wallon d’Aubervilliers

par Laurent Lévy
10 octobre 2003

Laurent Lévy est le père d’Alma et Lila, menacées d’exclusion pour port de foulard islamique.
Il commente un communiqué émanant de deux professeurs du lycée Henri-Wallon qui circule sur certaines listes de diffusion électronique.

J’ignore tout de l’authenticité de ce communiqué, mais il semble devoir s’agir d’un faux : car seule une mauvaise foi extrême, et un rapport à la vérité indigne d’enseignants pourrait conduire à écrire de pareils mensonges.

Ce qui suit constitue un commentaire des passages les plus malhonnêtes de ce texte. À la relecture, je m’avise que j’ai dû en commenter la totalité.

Communiqué de presse
Des professeurs du lycée d’Aubervilliers

Première remarque : Le communiqué, signé de deux personnes, se présente comme représentant la communauté enseignante du lycée dans son ensemble. Cette petite filouterie permet d’augurer de la suite.

" Toute la presse s’est fait l’écho du problème de deux lycéennes au lycée Henri Wallon à Aubervilliers qui voulaient imposer aux enseignants de pouvoir porter le foulard islamique dans l’établissement. "

Deuxième remarque : Il n’existe pas de problème de lycéennes voulant imposer quoi que ce soit aux enseignants, mais un problème d’enseignants qui veulent imposer à des jeunes filles de montrer des parties de leur corps qu’elles ne veulent pas montrer. Les élèves en question enlèvent leur ’hijab’ (foulard islamique...) à l’entrée de l’établissement, et ne gardent sur la tête et autour du cou que les effets strictement nécessaires à cacher ce qu’elles estiment être des " zones de pudeur " : leurs cheveux, leurs oreilles, et leur cou.

" Nous tenons à dire que ces deux adolescentes n’ont été exclues par mesure conservatoire en attendant le conseil de discipline, qu’après des semaines de discussions pour les convaincre. Et cela avec les enseignants, avec le proviseur, avec l’inspecteur d’Académie. "

Troisième remarque : ce paragraphe dispute le mensonge simple à la mauvaise foi élaborée. La mesure a été prise deux semaines après que le proviseur eut pris l’engagement écrit qu’aucun cours ne serait refusé à ces élèves. Il n’y a jamais eu de ’discussion’ entre elles et le proviseur du lycée - à moins d’appeler ’discussion’ un discours unilatéral se bornant à affirmer que leur tenue était interdite (ce qui est par ailleurs faux). Personne parmi ceux qui ont pris la décision ou y ont contribué n’a cherché à savoir ce que pensaient ces élèves. (...) . S’agissant de l’inspecteur d’académie, il a lui-même déclaré à la télévision qu’il avait simplement demandé à ces enfants de laisser voir la racine de leurs cheveux, le lobe de leur oreille et la naissance de leur cou. On peut estimer ridicule ou absurde de considérer ces parties du corps comme des zones de pudeur, mais on ne peut pas prétendre qu’il y ait un sens à exiger de jeunes filles qu’elles montrent ces parties de leur corps comme seule condition à leur admission en cours, ce qui a pourtant été fait.

" Nous sommes de ces enseignants. nous sommes solidaires de cette mesure et quoi que certains en disent ce n’est pas une atteinte à la liberté religieuse, ni au nom d’une laïcité mal comprise. "

Quatrième remarque : Aucun des deux signataires n’a parlé aux jeunes filles concernées. Par ailleurs, seul un singulier goût du sophisme peut conduire à prétendre que n’est pas une atteinte à la liberté religieuse que d’exiger de personnes quelles qu’elles soient qu’elles renoncent à l’une des conséquences de leurs convictions religieuses pour bénéficier du droit au service public de l’éducation nationale.

" Le port du voile, même consenti, surtout par des adolescentes, est une atteinte à la liberté de toutes les femmes. Pourquoi des jeunes filles seraient-elles murées écartées de la société par ce voile qui prétend-on les protégerait de la lubricité des hommes. "

Cinquième remarque : Si comme ils le prétendent mensongèrement, les signataires de ce communiqué avaient discuté avec les adolescentes concernées, il ne leur viendrait pas à l’idée de dire qu’elles entendent, par ce voile, se protéger de la lubricité des hommes. Je suppose qu’eux mêmes, lorsqu’ils cachent leurs parties génitales, ont d’autres soucis que de se protéger de la lubricité de qui que ce soit.

" Cet argument est fallacieux. Nous ne sommes pas des "ayatollahs de la laïcité" comme l’aurait dit le père de ces jeunes filles, nous ne sommes pas opposés à l’exercice de leur religion, nous sommes opposés à l’emprise d’une religion quelle qu’elle soit dans la vie publique. Il a fallu s’opposer à l’influence de l’église catholique en France pour obtenir pour les femmes le droit à la contraception, le droit à l’avortement. Le problème du voile est du même ordre. "

Sixième remarque : Il n’y a aucune relation nécessaire entre l’opposition à l’emprise de la religion dans la vie publique, et le choix de priver d’école - et donc de renvoyer dans leurs foyers, ou de condamner à l’école confessionnelle - les jeunes filles qui se trouvent sous cette emprise. Etre contre une maladie n’impose pas qu’on parque les malades. Si ces jeunes filles sont victimes (même consentantes) d’une aliénation religieuse symboliquement grave, il ne s’en suit aucunement qu’elles doivent subir la double peine, ajoutant l’apartheid scolaire à leur aliénation. Cela dit, l’argument tiré du caractère oppressif du voile n’est en effet pas celui des ayatollahs de la laïcité - lesquels s’agitent par ailleurs ; il n’en est pas moins ridicule, condamnant des jeunes femmes au non des droits des femmes : ce sont donc toujours les mêmes qui trinquent.

" A l’heure actuelle, ces jeunes filles et leur père sous prétexte qu’il est avocat et qu’il est soutenu par le président du MRAP monopolisent l’information. "

Septième remarque : Ce passage est particulièrement scandaleux, alors que cette histoire a été médiatisée par des enseignants du Lycée Henri-Wallon, contre la volonté des premières intéressées, à qui elle a été imposée. Le premier journaliste qui s’est adressé à moi (auteure du premier article dans Libération) connaissait toute l’histoire par certains des collègues des signataires de ce communiqué (à moins que ce ne soit par eux mêmes). Ces enseignants qui ont pris l’initiative honteuse de braquer les projecteurs sur ces deux adolescentes sont des irresponsables indignes du beau métier qu’ils exercent. Au demeurant, il s’en faut de beaucoup que la presse soit dans son ensemble favorable à ces adolescentes, et fasse valoir de manière privilégiée leur point de vue. En témoignent par exemple les articles parus dans Le Figaro ou dans Marianne (qui ne reculent pas devant le mensonge), ou pire encore dans le torchon plus ou moins confidentiel publié sous le titre ’Lutte Ouvrière’, qui met dans la bouche d’une de ces jeunes filles des propos que non seulement elle n’a jamais tenus mais qui constituent le contraire exact de ce qu’elle pense. Il n’est pas anodin de signaler que ce journal dispose pourtant d’informateurs de première main, les initiateurs de toute cette histoire, hérauts de l’intolérance et de l’exclusion, étant précisément des sectateurs de l’organisation qui le publie.

" La presse parle au nom des enseignants mais eux aussi ont le droit à la parole. Et si ces jeunes filles obtenaient gain de cause, ce sont des centaines de jeunes filles voilées que l’on retrouverait dans les établissements publics et si celles-là le font volontairement, bien d’autres s’y verraient contraintes s’il n’y avait pas le barrage de i, école. "

Septième remarque : célèbre justification de la ’guerre préventive’, chère à Georges Bush. Personne, que je sache, n’a privé les enseignants du droit à la parole ; je regrette seulement qu’ils ne l’aient le plus souvent utilisée - comme dans le cas présent - que pour mentir sur le déroulement de cette affaire. Croire que l’école empêchera les tyrans domestiques d’opprimer leurs enfants serait faire preuve d’angélisme si l’on pouvait imaginer que ceux qui le prétendent le font avec la moindre sincérité. En toute hypothèse, ce qui appartient à l’école, c’est d’enseigner les élèves. Et quels que soient les problèmes - réels - posés à la société par le voile, on n’a pas apporté le premier argument pour montrer qu’il n’y a pas d’autre moyen de régler ce problème que de porter atteinte à la liberté fondamentale que constitue l’accès pour tous à l’enseignement public, laïc, et obligatoire.

" Il faut entendre y compris dans cet établissement, les garçons défendre le voile en disant : "on critique le voile, mais ici, il y a des filles habillées comme des putes", c’est tout cela qu’il faut savoir pour comprendre la pression qui est exercée sur ces jeunes filles, pression à laquelle les enseignants ont le devoir de s’opposer. "

Huitième remarque : Laisser entendre que lutter contre les réactions machistes de certains adolescents suppose qu’on prive d’enseignement des jeunes filles relève, soit d’un goût prononcé du paradoxe, soit d’un manque de courage caractérisé. Le conseil de discipline est-il bien dirigé contre les coupables ?

Georges Vartaniantz,
Professeur d’Histoire-géographie au Lycée Henri Wallon d’Aubervilliers
Loris Castellani,
Professeur d’Histoire-Géographie au Collège Henri Wallon d’Aubervilliers

Je n’ai aucune remarque à faire sur ces enseignants, si ce n’est qu’ils parlent d’une question qu’ils avaient moyen de connaître, et qu’ils n’ont pas fait l’effort de le faire.