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Voile sur une grève de femmes précaires

Rappel sur deux mois de lutte

par Betty Attia, Stavroula Bellos, Audrey Mariette, Muriel Rodriguez, Yasmine Siblot et Sylvie Tissot
24 mars 2015

Au nom du féminisme, la secrétaire d’État aux droits des femmes s’est dite favorable à l’interdiction du voile à l’université. Pour lutter contre les inégalités entre les sexes, nous dit-on. Au même moment, une grève peu visible se déroule à l’université Paris 8, à Saint-Denis, depuis bientôt deux mois...

Cette grève a pour actrices principales des femmes, secrétaires pour beaucoup, qui appartiennent à la plus basse catégorie de la fonction publique, la catégorie C. Des femmes membres des classes populaires qui subissent, plus que d’autres, la précarité de l’emploi et la dégradation de leurs conditions de travail au quotidien.

Des femmes, pour la plupart mères, qui cumulent une « double journée de travail » comme elles l’expliquent aux personnes qui s’arrêtent dans le hall de l’université où elles tiennent des tables d’information sur leur mobilisation. Des femmes qui se sont constituées, avec quelques collègues masculins, en « collectif des bas salaires » pour demander une augmentation de revenus pour les catégories C et les contractuel-le-s.

Dans cette université de banlieue parisienne d’environ 1700 salarié-e-s (personnel administratif et enseignant, titulaires ou contractuel-le-s), certaines d’entre elles gagnent entre 1200 euros et 1400 euros nets mensuels, quand le SMIC est à 1 136 euros nets mensuels. Du fait du gel du point d’indice, les (très nombreuses) femmes et (moins nombreux) hommes de catégorie C ont même pu voir ces dernières années leur salaire passer en dessous du SMIC. Les annonces politiques sur la revalorisation de leurs rémunérations n’ont souvent eu pour conséquences sur les fiches de paie qu’une augmentation de quelques euros.

Avec le passage des universités à l’autonomie, universités et ministère se renvoient la balle : au final, « on n’a plus d’interlocuteur », soulignent-elles, et les primes apparaissent dès lors comme « le seul levier d’action » à l’échelle locale. Plusieurs de ces femmes mobilisées tentent depuis de longues années les concours pour progresser dans leur carrière. Sans succès car les postes sont rares. Elles abandonnent alors, usées. Et, après 30 ans de service dans la fonction publique, certaines d’entre elles partiront en retraite avec une pension inférieure au minimum vieillesse qui est actuellement de 800 euros par mois.

Cette situation n’est pas spécifique à Paris 8 : ces femmes mobilisées reçoivent des messages de soutien d’autres femmes d’autres universités françaises dont les témoignages convergent. Ici comme dans les autres universités, les inégalités entre femmes et hommes persistent : la proportion de femmes chez les BIATOSS (Bibliothécaires, Ingénieurs, Administratifs, Techniciens, Ouvriers, personnels Sociaux et de Santé) de catégorie C est ainsi bien plus importante que chez ceux de catégorie A. On le sait, mais il semble utile de rappeler que les inégalités sociales entre classes se cumulent avec celles entre femmes et hommes.

Si le gouvernement entend donc lutter contre les inégalités de sexe, le ministère doit commencer par revaloriser les bas salaires et les établissements les primes qui sont accordées à ces femmes précaires sans lesquelles l’université ne pourrait fonctionner très longtemps.

P.-S.

Betty Attia, Stavroula Bellos et Muriel Rodriguez, pour les femmes du collectif des bas salaires de l’université Paris 8. Audrey Mariette, Yasmine Siblot et Sylvie Tissot, pour les enseignant-e-s-chercheur-se-s mobilisé-e-s en soutien aux grévistes

Cette tribune a été publiée sur liberation.fr.