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Vous avez dit « coloniser » ?

Contribution à l’histoire des sans-honte

par Pierre Tevanian
23 mars 2021

On croit parfois rêver et puis on entre dans le relais H, on regarde bien, et c’est bien la une de l’hebdomadaire Marianne. Qui, comme son nom l’indique, se pose souvent comme l’incarnation de la pureté « républicaine ». Et qui aime bien se positionner comme centriste, ou au-delà du clivage droite-gauche. Et dont, selon Wikipedia, « la ligne éditoriale emprunte à la fois à la gauche et au conservatisme ». Et puis l’on se met à feuilleter, parce que le train ne part pas tout de suite, et l’on croit encore cauchemarder...

Après avoir repris le mot « lynchage » pour désigner la simple critique des écrits racistes ; après les mots « racialisme » ou « racisme anti-blancs » pour désigner la simple dénonciation de la monopolisation du pouvoir politique, économique et culturel par des Blancs ; après les mots « cancel culture », « effacement de l’histoire » ou même « négationnisme » pour désigner la correction d’un récit national mythique à la gloire d’esclavagistes comme Colbert et Napoléon ; après « apartheid » et « fascisme » pour des réunions non mixtes entre opprimé.e.s (femmes, LGBT, racisé·e·s), voici que la novlangue d’extrême droite poursuit sa progression et qu’est désormais consacré dans la presse « républicaine » du « centre » (c’est ainsi qu’elle s’autodéfinit) un très ancien et classique concept lepéniste (remontant à l’époque Jean-Marie) : la fameuse « colonisation » à « rebours ».

Principale visée, quand on feuillette le torchon, qualifiée de colonisatrice donc : une immense chorégraphe, de renommée internationale, nommée Bintou Dembélé. Coupable d’avoir travaillé sur l’héritage colonial français, et de s’être produite à l’Opéra de Paris.

Prochaines étapes, pour le moment chez Renaud Camus mais bientôt, qui sait, chez Marianne, Les Rep et LREM : les mots « esclavage » et « génocide », pour désigner la perte, par Jacques Jullliard ou Natacha Polony, de trois pouces de privilège.

Pour finir sur une note positive : si ce n’est pas encore fait, allez découvrir le grand art de Bintou Dembélé.