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Vous avez dit « débordement » ?

Retour sur un poncif journalistique à propos des « banlieues »

par Collectif Les mots sont importants
18 février 2017

Comme le lait dans la casserole, les jeunes racisés victimes de violences policières seraient toujours sur le point de « déborder ». Toujours au bord du cassage d’abribus et de caillassage de CRS. Comme si rien, dans ce qu’ils faisaient, ne pouvait relever de l’action politique, avec des mots d’ordre, des stratégies et des manières de faire, quelles qu’elles soient.

Non : comme l’indique le sens commun façonné au moment de « l’émeute Vaux-en-Velin » en 1990, en conformité avec le vieux schème d’interprétation né après la Commune sur la « contagion », les foules populaires sont toujours irrationnelles, et l’irrationalité est à son comble quand ces foules sont issues des « banlieues ». Les premières réactions peuvent être décrites comme étant justifiées, mais toujours « débordées » au final par des émotions entretenues par les mauvais éléments et conduisant au pire.

On a pu dire que le cas de Théo, violé par des policiers, a agi comme « une goutte d’eau qui fait déborder le vase ». Mais si cette métaphore peut être utilisée par les personnes concernées, elle présente aussi le risque de minimiser ce qui est arrivé (une simple goutte ?), et lorsqu’elle est reprise par les journalistes, c’est souvent pour dépolitiser le mouvement, le réduire à une puissance naturelle brute, forcément destructrice, qui vient éclabousser de sa violence la demande de revendications polies, les seules que tolèrent les dominants.

Plutôt que de se projeter dans un futur nécessairement chaotique, on pourrait s’interroger sur ce qui, en amont, rend possibles les mobilisations d’aujourd’hui, et en premier lieu l’action des collectifs demandant depuis de longues années justice et vérité pour les victimes de la violence policière. Ces collectifs ont construit un rapport de force, inventé des formes de protestation, tourné des films, produit des connaissances et des compétences qui se sont diffusées dans l’ensemble de la société.

Il faudrait s’interroger aussi sur la plus grande sensibilité qui semble avoir émergé sur les questions de violences sexuelles, et qui rend désormais impossible la banalisation des viols, surtout quand ils sont le fait des puissants – qu’ils soient dirigeants politiques comme Dominique Strauss-Kahn, artistes célèbres comme Roman Polanski ou bien policiers. L’impunité dont ils bénéficient est insupportable alors que, soutenu par un certain « féminisme d’Etat », le sexisme des hommes arabes et musulmans ne cesse, lui, d’être montré du doigt.

Bien d’autres choses pourrait être dites et analysées, qui permettraient de poser une autre question, plus intéressante que celle du « risque de débordement », à savoir la question des chances de débordement : que le mouvement de révolte existant se renforce, se pérennise et réussisse à déborder ce carcan étroit de politesse, de patience et d’abnégation que veut lui imposer la classe dirigeante et éditorialisante.