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Vous avez dit « racisme » ?

Réflexions sur une bataille sémantique

par Pierre Tevanian
8 novembre 2021

Les lignes qui suivent reviennent sur le conflit sémantique irréductible qui existe autour du mot « racisme », et qui sous-tend toute une série de débats, en France notamment. La mésentente oppose deux camps qui parlent tous deux de racisme, tous les deux pour s’y opposer, mais sans mettre les mêmes réalités derrière ce mot. Bien plus : au-delà de cette mésentente, ces deux camps se font la guerre, sans que soit toujours explicité le contentieux fondamental qui oppose les uns et les autres, et qui porte sur la définition même de ce que tous disent combattre : le racisme.

Le point de départ de cette réflexion sera le contentieux qui a opposé il y a trois ans en France le syndicat SUD Éducation au ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer – le ministre avait alors attaqué publiquement un syndicat enseignant, en annonçant qu’il déposait plainte pour interdire un stage de formation syndicale au motif qu’une partie de ses ateliers étaient en non mixité, et qu’un atelier parlait de « racisme d’État ». Ce contentieux me paraît fondamental, car il ne cesse de se rejouer depuis – on l’a retrouvé par exemple l’an dernier lorsqu’un syndicat étudiant, l’UNEF, a fait l’objet d’une violente campagne, sur des bases assez similaires. Je reviendrai donc sur ces contentieux, qui me paraissent cristallier l’essentiel des problèmes de définition du racisme et de l’antiracisme, ces dernières années, mais aussi de longue date.

Une guerre des définitions

L’objet des réflexions qui suivent est donc une bataille sémantique, une « guerre des définitions », puisque des deux cotés, du côté de SUD Éducation-93, de l’UNEF et de leurs soutiens d’une part, et d’autre part du côté du Ministère et de ses soutiens, se tiennent deux « antiracismes », qui se présentent comme tels, chacun accusant l’autre d’être en fait un racisme qui s’ignore ou qui se dissimule :

 Les syndicats attaqués se définissent évidemment comme antiracistes, et c’est même pour des initiatives spécifiquement antiracistes qu’ils sont mis en cause par le ministre ;

 le ministre se pose aussi comme antiraciste, et c’est au nom de l’infamie du racisme qu’il appelle au consensus national contre SUD Éducation-93, puis contre l’UNEF (un consensus singulièrement « inclusif » puisqu’il qu’il va jusqu’à l’extrême-droite) : le syndicat est accusé de professer un « prétendu antiracisme » (ce sont les mots du ministre), et sous couvert de ce prétendu antiracisme, d’introduire les mots « les plus épouvantables » (je cite encore le ministre), des mots comme le mot « blanc » ou le mot « racisé », qui sont (je cite toujours le ministre) des mots « évidemment racistes » [1].

Cet antiracisme, celui de Jean-Michel Blanquer, se qualifie en général lui-même de « républicain », et il se prévaut d’être « universaliste ». Le mot « République » étant polysémique, et sujet à de redoutables glissements sémantiques, et le caractère véritablement universaliste de cet antiracisme étant à mes yeux très discutable, je préfère parler d’un « antiracisme d’État ».

De l’autre côté – le mien, mais aussi celui des groupes attaqués comme l’UNEF ou SUD Éducation, et d’un mouvement associatif qui s’est fédéré notamment autour du soutien aux sans-papiers, du combat contre les violences policières et de la lutte contre l’islamophobie – on se réclame aussi de l’antiracisme, et on se permet de mettre en cause l’institution, l’État républicain, en parlant même à son sujet de « racisme d’État » (je parle aussi, pour ma part, de « racisme républicain », ou de « république du mépris »).

Antiracisme et racisme « d’État »

Pour ma part je soutiens effectivement que l’antiracisme d’État va de pair avec quelque chose qu’on peut appeler un racisme d’État. Cet antiracisme d’État est en effet superficiel, paresseux, et surtout inconséquent, mal fondé – et ces mauvais fondements l’amènent à se poser finalement, tant sur le plan théorique que dans la pratique, davantage dans la continuité de l’ordre raciste que dans la rupture et le combat : même si cet État condamne et combat réellement certaines formes de racisme, en paroles et parfois un peu plus que cela, il existe toutefois un continent immense de discriminations que l’antiracisme d’État accompagne plus qu’il ne les combat, que parfois même il entretient, qu’il organise, qu’il construit, et qu’à des degrés divers il légitime. À chacun de ces mots correspondent des exemples :

 ce que notre État « accompagne », c’est par exemple l’impunité de fait des violences racistes illégales dans la police (du contrôle au faciès aux brutalités et aux homicides) et à celle des discriminations tout aussi illégales dans l’emploi ou le logement ;

 ce que notre État « organise », c’est par exemple la « politiques d’immigration », la chasse aux sans-papiers et aux roms ;

 ce que notre État « construit », c’est par exemple la « préférence nationale » imposée sur 30% des emplois (du secteur public et semi public mais pas seulement), ainsi que la double peine (qui rompt le principe d’égalité devant la loi en ajoutant une expulsion et une interdiction de territoire à la sortie de prison pour les condamnés non européens), ou encore les lois et circulaires antivoile, et toutes les campagnes racistes, ethnicistes, culturalistes sur l’islam, sur « l’insécurité » ou sur le « communautarisme ».

On peut évoquer à ce titre un épisode récent : suite à des années d’études scientifiques, de luttes syndicales et de procédures judiciaires ayant permis, sans aucune aide étatique, à apporter la preuve d’une pratique systématisée du contrôle au faciès, l’État français a fini par être condamné par la justice en 2015, et sa réaction a été édifiante : loin de prendre acte du scandale et de lancer une politique publique de prévention et de répression de cet usage contraire aux principes et aux lois de la République, l’État républicain a fait appel du jugement. On est donc bien au-delà du laisser-faire : il y a bien là un parti-pris actif de l’État en faveur du statu quo raciste, une résistance active face à une avancée de l’antiracisme.

On pourrait évoquer enfin, dans une période plus ancienne, l’appel public lancé en 1978 par le premier ministre Raymond Barre, au moment de la crise économique, appelant le patronat à embaucher en priorité les nationaux, c’est-à-dire, tout bonnement, à violer la loi.

Ou encore les propos d’un autre premier ministre (nommé Manuel Valls), à l’encontre des Roms :

« Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation avec les populations locales. C’est illusoire de penser qu’on réglera le problème des populations roms à travers uniquement l’insertion. Il n’y a pas d’autre solution que de démanteler ces campements progressivement et de reconduire ces populations à la frontière. Les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie… »

On pourrait évoquer enfin la politique extérieure, celle de la « Françafrique » par exemple, et la condescendance et le paternalisme caractérisés des dirigeants qui représentent l’État français : celle de Sarkozy à Dakar, ou celle d’Emmanuel Macron à Ouagadougou .

C’est à cet antiracisme d’État, qui marche main dans la main avec un racisme d’État, que se confronte un autre antiracisme, qui est celui que promeuvent des groupes comme SUD Éducation, l’UNEF ou des mouvements spécifiques comme le Front Uni des Immigrations et de Quartiers Populaires – et bien sûr notre collectif, Les mots sont importants. Pour le nommer, un terme a émergé ces dernières années : « antiracisme politique » – mais ses adversaires lui donnent d’autres noms, moins sympathiques (et à vrai dire sans pertinence) : antiracisme « différentialiste », « communautaire », ou même « racialiste ». C’est de ce litige qu’il va ici être question, dans des termes qui se veulent objectifs : même si ma subjectivité me fait choisir une option contre l’autre, ce qui suit est une présentation factuelle, incontestable, des termes dans lesquels le débat a émergé et s’est installé dans notre vie politique.

Quelques différends

Il existe donc une « guerre des antiracismes », fondée sur deux approches radicalement différentes de ce qu’est précisément le mal raciste – donc deux définitions différentes du mot « racisme » ou, pour prendre une image, deux radars différents qui font que ce qui pour les uns passe sous le radar sans être identifié comme du racisme est pour les autres compris et disqualifié comme du racisme, et réciproquement. Par exemple :

 les uns ont du mal à percevoir l’islamophobie comme un véritable racisme, les autres l’identifient comme tel sans difficulté ;

 ceux qui ont du mal à voir l’islamophobie comme un racisme n’ont en revanche pas beaucoup de mal, en général, à parler de « racisme anti-blanc » ;

 réciproquement, ceux qui n’ont pas de doutes sur l’islamophobie comme relevant du racisme ont souvent du mal à admettre qu’on parle de « racisme anti-blanc ».

On pourrait s’arrêter là et faire l’hypothèse que le différend trouve son explication tout simplement dans des différences d’objet visé, et d’expériences subjectives : il y a d’un côté des Blanc·he·s qui se voient plus volontiers victimes de racisme, tout en déniant ce statut de victime à certains, par exemple les musulmans, et d’un autre côté des musulman·e·s qui eux aussi se sentent plus facilement victimes d’un racisme particulier, tout en refusant ce statut pour d’autres, notamment « les Blancs ». Mais cette vision serait réductrice, d’abord parce que tous les non-Blanc·he·s ne sont pas musulmans·e·s, ensuite parce que, plus profondément, le différend renvoie à deux manières distinctes de caractériser ce qui fait un traitement raciste. Pour rester sur des exemples concrets :

 pour les uns (pour le ministre Blanquer par exemple), les ateliers en non-mixité sont racistes, ce qu’ils ne sont pas du tout pour les autres ;

 pour les premiers (qui voient la non-mixité comme nécessairement raciste), l’« intégration » et la « tolérance » sont des mots d’ordre indiscutablement antiracistes ;

 pour les autres (ceux qui admettent la non-mixité comme possiblement non-raciste, et même antiraciste), l’Intégration et la tolérance sont des mots d’ordre tout à fait problématiques, qui relèvent de la pensée raciste au moins autant que de l’antiracisme.

Il en va de même pour la loi interdisant le voile à l’école :

 elle est défendue par beaucoup comme une loi de « concorde » et d’ intégration », sur des bases « universalistes », donc tout le contraire d’une loi raciste ;

 pour d’autres, dont je suis, elle est une loi raciste – j’explique pourquoi dans le texte suivant : « Une révolution conservatrice dans la laïcité ».

C’est à la racine de ces jugements contradictoires qu’il s’agit maintenant de remonter, en reconstituant les deux définitions explicites ou implicites du racisme sur lesquelles ils se fondent.

La définition « étatique »

La définition dominante, celle de l’idéologie dominante, de ce qu’on peut nommer l’antiracisme d’État, mais qui s’est diffusée et est communément admise dans de très larges parties de la population, définit le racisme d’une manière que je qualifie de superficielle, étroite et restrictive. Est raciste, selon cette première définition :

 ce qui premièrement prend naissance au coeur de la subjectivité individuelle, à partir d’une idée, d’une opinion consciente, assumée, et exprimée ;

 une idée qui, deuxièmement, postule l’existence de races, à la fois radicalement différentes et inégales ;

 une idée qui, troisièmement, va de pair, sur le plan affectif, avec un état passionnel : la peur, la haine, la phobie, qui envahissent la conscience, l’obsèdent, la tourmentent ;

 un tourment qui, pour finir, sur le plan des pratiques, se traduit par une volonté de nuire, et donc des actes délibérés.

Sera donc raciste, selon cette première définition, le passage à l’acte violent aboutissant à un rejet : l’expulsion ou l’élimination d’un « autre » pensé comme indésirable, toxique ou menaçant (c’est ce que j’ai appelé l’image de l’autre comme « corps furieux »). Seront donc racistes la mise à mort, l’agression physique, l’agression verbale, commises par un ou plusieurs individus. Quant aux politiques étatiques, seules pourront être qualifiées de véritablement racistes les entreprises génocidaires (le génocide se définissant justement à partir de l’intentionnalité, de la volonté délibérée d’élimination d’un groupe humain).

Sera également raciste, selon cette première définition, l’injure « sale blanc », puisqu’il y a bien une catégorie « raciale » qui est mobilisée (« blanc »), ainsi qu’une hostilité affichée, et une parole agressive. On incriminera même comme raciste la pratique de la non-mixité, du simple fait qu’elle se fonde elle aussi sur un recours à des catégories manifestement « raciales » (blanc / non-blanc), accompagné à l’occasion par une hostilité, une défiance en tout cas par rapport à certaines formes de mixité, et de possibles attitudes passionnelles (de ras-le-bol, de colère, de ressentiment contre les Blanc·he·s, lorsque ceux-ci insistent pour « s’incruster » dans les espaces non-mixtes), et en tout cas une restriction de l’ « l’être ensemble » – l’entre-soi racisé pouvant être assimilé (et on ne s’en prive pas) à un « rejet » des non-racisé·e·s.

En revanche, le caractère raciste de la loi sur le voile sera mis en doute, toujours selon cette définition du racisme, puisque l’intitulé de la loi ne parle pas expressément de « races ». Et d’une manière plus générale, c’est toute forme d’islamophobie qu’on refusera de qualifier de racisme puisque ladite phobie vise « une religion et non une race ».

Il en ira de même des mots d’ordre d’intégration et de tolérance, qui ne sauraient être racistes dès lors qu’ils se vivent subjectivement comme bienveillants, et plus largement de tout ce qui émane de « l’État républicain » : cet État ne saurait être qualifié de raciste puisqu’il n’a pas inscrit dans sa constitution ou ses lois le contrôle au faciès ou la discrimination par l’origine ou l’apparence physique dans l’emploi ou le logement, et pas davantage la mise à mort par noyade des migrants dans la Méditerranée. Il n’a pas voté des lois se donnant expressément ces objectifs, et l’on peut donc arguer que ces atrocités ne sont que des drames, pas des crimes, bref : qu’ils ne sont pas de son fait.

Ce qui autorise en revanche la dénonciation des « politiques d’immigration », « d’intégration » ou de « réaffirmation de la laïcité » (qui sont plutôt, objectivement, des politiques de redéfinition de la laïcité), c’est précisément l’autre définition du racisme : celle des différents activistes qu’on regroupe sous le nom d’« antiracisme politique », celle que je fais mienne dans La mécanique raciste et que j’ai tenté de résumer comme suit, en synthétisant les apports d’auteur·e·s comme Colette Guillaumin, Albert Memmi, Franz Fanon, Martin Luther King, Malcolm X ou Stokely Carmichael.

La définition « politique »

Le racisme se caractérise, selon cette autre définition, par la combinaison de cinq éléments, qui sont :

 la différenciation, c’est-à-dire la polarisation de la conscience sur une différence, fondée sur un critère choisi arbitrairement (qui peut être appelé la race, mais aussi bien la culture, la religion ou la couleur de peau), l’accent mis sur cette différence, au détriment de tous les autres attributs qui permettent de différencier chacun et chacune ;

 la péjoration de cette différence (sa transformation en stigmate, c’est-à-dire en marqueur d’infamie, d’infériorité ou de dangerosité) ;

 la réduction de l’individu à son stigmate (quiconque est – entre autres choses – noir·e, arabe, musulman·e ou juif·ve, devient « un·e Noir », « un·e Arabe », « un·e musulman·e », « un·e juif·ve », et chacun de ses faits et gestes trouve son explication dans cette identité unique) ;

 l’essentialisation, l’amalgame, autrement dit l’écrasement de toutes les différences d’époque et de lieu, de classe sociale ou de personnalité qui peuvent exister entre porteurs d’un même stigmate (« les Noir·e·s », « les Arabes », « les musulman·e·s » ou « les Juif·ve·s » sont « tou·te·s les mêmes ») ;

 et enfin, point décisif, l’existence d’une inégalité de traitement que les opérations de différenciation, péjoration, réduction et essentialisation viennent légitimer (ils ou elles « méritent » d’être exclu·e·s ou violenté·e·s en tant qu’inaptes ou dangereux).

Quatre points de dissension

Cette seconde définition est radicalement différente de la première. Elle s’y oppose même, si l’on y réfléchit bien, point par point.

D’abord, elle n’accorde pas du tout la même centralité à la subjectivité, à l’individualité et à la conscience. Elle conçoit au contraire le racisme avant tout comme un fait objectif : un ordre social et symbolique dominant, un ensemble de lois écrites ou non-écrites qui organisent le réel social, avec des discriminations massives qu’on peut objectiver, mesurer, chiffrer, par des enquêtes – par exemple par ce qu’on appelle les testings. Avant même d’avoir identifié des agents, des acteurs, des intentions, des mobiles, bref : des causes, il y a des effets qui peuvent être constatés : une discrimination, qui se fait au détriment des uns, porteurs d’un stigmate, et au bénéfice des autres, non porteurs du stigmate.

En d’autres termes, avant d’envisager l’individu, cette seconde approche envisage un système social (d’où la notion de « racisme systémique »), un système qui déborde l’individu, le précède, le façonne et le détermine. Cette primauté accordée au réel social correspond aussi à ce qu’on appelle, dans la tradition marxiste, une approche « matérialiste » plutôt qu’« idéaliste » : ce ne sont pas des idées pures qui mènent le monde, et le racisme n’est pas d’abord une idée, qui ensuite s’incarnerait dans des actes, mais au contraire un ensemble de réalités matérielles (un ordre social, des rapports sociaux, de domination, d’oppression et de lutte) qui produisent et charrient un certain nombre de représentations et d’« idées ».

Il en résulte qu’en plus des opinions conscientes, assumées et exprimées en termes explicites, il existe une immense partie immergée de préjugés racistes, c’est-à-dire de modes de pensée inconscients, de représentations collectives héritées, produisant des fantasmes et des phobies. Bref : le racisme n’est plus un phénomène seulement subjectif, individuel et conscient, mais une réalité objective, sociale, qui imprègne aussi de manière inconsciente les subjectivités individuelles.

Deuxièmement, la définition « politique » implique que le racisme peut exister sans référence explicite à une race, sans usage du mot « race » – qui sera remplacé par ce qu’on peut nommer des métaphores de la race : l’« ethnie », l’« identité », le « peuple », la « culture », la « religion » et quelques autres substituts. Ces catégories (faussement) alternatives jouent en effet le même rôle que le concept biologique de race, dans la mesure où elles désignent, comme lui, des groupes homogènes altérités, essentialisés, péjorés et justiciables d’un traitement spécial : « ils ne sont pas comme nous », « ils sont tous les mêmes », « ils valent moins que nous », « ils nous menacent », « ils doivent donc être contrôlés et matés ».

Ce racisme peut en somme exister sans jamais parler de « sale race » ou de « race inférieure », et il peut même exister sans que soit prononcée la moindre parole injurieuse, puisqu’indépendamment de mon adhésion subjective à la thèse de l’infériorité ou de la dangerosité de tel ou tel groupe, race, peuple, culture, religion, il reste une donnée objective : l’ordre social m’a assigné à une place objectivement privilégiée par rapport à d’autres. Tel est d’ailleurs l’intérêt majeur de la notion de « privilège blanc » : explorer l’au-delà de la conscience et de la volonté délibérée d’opprimer – puisque le mot privilège désigne non pas une disposition subjective (la volonté de nuire ou de dominer) mais une position objective : un avantage injustifié, dont on jouit sans nécessairement en avoir l’envie ni même la conscience.

Pour être plus précis, le mot « privilège » relève du vocabulaire juridique, et signifie étymologiquement la loi (lex) faite pour un particulier (privus). En d’autres termes c’est la privatisation d’un droit, qu’on réserve à un individu ou un groupe particulier. Je peux donc subjectivement ne pas croire à ma supériorité raciale, je reste objectivement situé à un rang supérieur de la hiérarchie sociale, jouissant d’un niveau d’accès à l’emploi, au logement, aux droits sociaux, aux droits politiques, à la sécurité face à la police, dont on peut dire qu’il est réservé à mon groupe d’appartenance puisque d’autres groupes en sont exclus – un célèbre texte de Peggy Mc Intosh propose par exemple un inventaire non exhaustif de cinquante privilèges liés à l’appartenance au « monde blanc ».

Pour cette raison, on peut même dire que c’est le refus catégorique d’utiliser le mot « race » qui entretient le racisme, et qu’au contraire l’antiracisme conséquent implique un certain usage du mot « race », qui n’est évidemment pas celui de la pensée raciste : lutter vraiment contre le racisme c’est lutter pour abolir les inégalités de traitement, ce qui suppose de les dénoncer, ce qui suppose de les énoncer, ce qui suppose de nommer et compter les Blanc·he·s et non-Blanc·he·s aux différents étages de la hiérarchie sociale. C’est ce qu’explique plus longuement le livre de Sarah Mazouz, intitulé Race, et que résume aussi cet extrait de mon livre La mécanique raciste :

« Si les lignes de clivage raciales, culturelles ou confessionnelles n’ont a priori aucune pertinence, le racisme leur en confère une a posteriori. Si les races n’existent pas en tant que réalités biologiques, le racisme les fait exister en tant que croyances collectives, avec les effets performatifs que cela implique : l’expérience commune de la discrimination confère aux Noir·e·s et aux Arabes un rapport au monde et des intérêts communs qu’ils n’auraient pas si le racisme n’existait pas, et qui les distinguent radicalement des Blanc·he·s. Nier cette réalité en se contentant de clamer qu’il n’y a pas de races, pas de différences et pas de raisons de s’opposer revient à nier l’oppression objective et subjective que subissent les discriminés, et donc à les rendre implicitement responsables de leur relégation sociale. Lutter réellement contre le racisme, c’est au contraire mener un combat déterminé pour l’abolition des clivages et hiérarchies de race, ce qui suppose au préalable de reconnaître leur existence. Il ne s’agit pas d’accorder une quelconque pertinence à la race au sens biologique du terme mais de prendre en compte le pouvoir performatif des fictions racistes et donc de reconnaître une effectivité des divisions et hiérarchies raciales. Il s’agit en d’autres termes de récuser toute idée d’une infériorité naturelle ou culturelle des non-Blanc·he·s, mais de reconnaître, pour les combattre, tous les processus d’infériorisation sociale auxquels les non-Blanc·he·s sont soumis(es) – et conjointement de récuser toute idée d’une supériorité blanche, occidentale ou « judéo-chrétienne » tout en reconnaissant qu’à niveau équivalent de richesse et de compétences, la discrimination à l’encontre des non-Blanc·he·s limite la concurrence et donc augmente pour les Blanc·he·s les opportunités d’accession au bien-être, notamment à l’emploi ou au logement. »

Les deux conceptions du racisme s’opposent sur un troisième point : sur le plan affectif, la seconde définition admet que le racisme peut prendre des formes non haineuses, non phobiques, non passionnelles, qu’il prend même souvent une forme plutôt apathique : l’indifférence plutôt que l’obsession, le mépris plutôt que la haine – une disposition qui fait des racisé·e·s non pas des « corps furieux » haïssables auquel on pense tout le temps, mais des « corps invisibles » auxquels on ne pense jamais. Des corps sans importance ou sans consistance qu’on ne « calcule » pas, qu’on ne considère pas comme des « autres », des « prochains », des « alter egos », mais simplement comme des éléments du décor, ou tout au plus des « corps souffrants », infirmes ou immatures, qui appellent une bienveillance paternaliste.

La haine n’est donc pas l’alpha et l’oméga du racisme, mais seulement une forme très particulière qu’il prend dans des conjonctures très particulières : quand la domination est menacée – ou se croit menacée. C’est d’ailleurs une des limites des termes « judéophobie », « négrophobie », « arabophobie », « islamophobie », tout comme « homophobie » ou « transphobie » : ces mots, qui ont leur utilité et dont l’usage doit être défendu face aux attaques nombreuses – et presque toujours bêtes et méchantes – dont ils font l’objet, peuvent laisser entendre, si l’on suit de trop près leur étymologie, que seules sont illégitimes, malfaisantes et racistes les formes les plus passionnelles, phobiques au sens strict, de la discrimination, et pas des formes plus tranquilles, apathiques ou condescendantes.

Les deux définitions s’opposent enfin sur un quatrième plan : le plan pratique. La définition « politique » considère que le racisme peut prendre une autre forme que celle du passage à l’acte spectaculaire, de l’agression caractérisée, en bonne et due forme : la forme de la négligence, par exemple celle de l’acte involontaire, de l’offense (l’offense verbale par exemple, la blague offensante par exemple) qui peut être commise « en toute innocence », sans penser à mal, puisqu’on l’a en général commise alors sans penser tout court – et c’est justement dans cette non-pensée elle-même que se situe alors le racisme : l’absence d’égard, d’attention, de réflexivité sur la portée possible des propos ou des actes, qui révèle un niveau élevé de non-considération.

On peut aller plus loin : en deçà de l’acte involontaire, le racisme peut même se manifester par l’absence d’acte – j’entends par là : la jouissance passive d’un privilège non choisi, hérité de naissance, donc toujours-déjà là. Cette violence sans passage à l’acte, reposant sur le simple consentement ou la simple indifférence à une violence déjà installée, c’est ce que désigne le mot domination. Elle concerne l’individu mais aussi l’État, et c’est là aussi qu’il peut y avoir un « racisme d’État » sans qu’il y ait un État ouvertement, constitutionnellement et activement raciste : l’État entretient un ordre raciste non pas seulement par ce qu’il met en œuvre (des campagnes et des lois contre les musulman·e·s, les roms, la « misère du monde »), mais aussi par ce qu’il laisse perdurer. Pas seulement par ses lois, décrets et circulaires (double peine, emplois réservés, lois anti-voile), mais aussi par ses vides juridiques et ses vides jurisprudentiels.

Par « vide jurisprudentiel » j’entends par exemple ceci : dans l’emploi comme sur le logement, l’accès à des prêts bancaires, l’accès à des loisirs, à la santé, dans le rapport à la police et à la justice, de nombreuses études attestent l’existence objective d’un ordre profondément inégalitaire, discriminatoire, sur des bases racistes, sans que l’État ne mette en oeuvre quoi que ce soit pour s’y opposer, alors que la prévention et la répression de la délinquance font partie de ses missions régaliennes. La discrimination raciste, dans un État constitutionnellement non raciste, et même anti-raciste comme la République française, relève de la délinquance, moyennant quoi, si nos gouvernants refusent toute pertinence à l’hypothèse d’un « racisme d’État », en invoquant le refus clair – puisqu’inscrit dans la loi – de la discrimination raciste, ils doivent toutefois répondre de l’absence criante, et sans équivalent sur aucune autre forme de délinquance, de politique publique de prévention et de répression : 3 condamnations par an, en moyenne, sur les dernières décennies [2].

Deux éclairages

Pour résumer ces deux approches radicalement différentes du racisme, on pourrait aussi évoquer l’opposition que construit Michel Foucault, dans La volonté de savoir, entre deux modalités de l’exercice du pouvoir souverain : l’alternative faire mourir / laisser vivre et l’alternative faire vivre / laisser mourir – même si la frontière entre les deux modes peut être parfois difficile à tracer. On peut en effet dire, grosso modo, que l’antiracisme d’État ne considère comme raciste que le « faire mourir », et seulement lorsqu’il vise un groupe défini explicitement comme racial, tandis que l’antiracisme politique prend en compte les formes multiples du « laisser mourir » – dont relèvent par exemple, sous une forme extrême, toutes les noyades de migrants en méditerranée (qui se chiffrent, sur les trois dernières décennies, en dizaines de milliers). Et dont relèvent aussi les victimes d’une violence policière impunie – et plus indirectement toutes les victimes d’une discrimination à l’école, dans l’emploi, au logement, dans les loisirs ou dans l’accès à la santé, puisque ce consentement étatique à la discrimination revient à les « laisser crever », privés des ressources élémentaires d’une vie vivable, protégée par l’État pénal ou l’État social.

On pourrait enfin citer Stokely Carmichael, qui fut l’un des premiers à élaborer les concepts de racisme systémique, structurel, ou institutionnel :

« Quand des terroristes blancs posent des bombes dans une église noire et tuent cinq enfants noirs, c’est un acte de racisme individuel, critiqué par l’ensemble de la société [et c’est ce que moi, aujourd’hui, j’ai appelé jusqu’à présent l’antiracisme d’État]. Mais quand dans la même ville de Birmingham (Alabama) cinq cents bébés noirs meurent chaque année du manque d’électricité, de nourriture, d’abri et de soins médicaux, et des milliers d’autres sont détruits et blessés physiquement, émotionnellement et intellectuellement à cause de la pauvreté et de la discrimination de la communauté noire, c’est du racisme institutionnel. Quand une famille noire emménage dans un quartier blanc et est lynchée, brûlée ou expulsée, elle est victime de violence individuelle et ouverte que l’ensemble de la population condamne. Mais c’est le racisme institutionnel qui garde les Noirs enfermés dans des logements insalubres et à moitié en ruines, sujets à l’exploitation quotidienne de leurs propriétaires, des marchands, des prêteurs sur gages et des agents immobiliers qui les discriminent. La société fait semblant de ne pas connaître cette situation, ou alors elle est incapable d’y réagir concrètement. » [3]

Retour sur quelques cas d’espèce

À partir de ces deux approches du racisme, je me contenterai, pour finir, de revenir sur les « cas » évoqués au début de cette réflexion, en les éclairant à la lumière de ces précisions conceptuelles. On comprend désormais mieux, par exemple, pourquoi l’antiracisme d’État peine à considérer l’islamophobie comme un racisme : elle ne peut pas l’être si le racisme suppose une référence explicite à une race, tandis que, du point de vue de l’antiracisme politique, peu importe que l’Islam ne soit pas une race mais une religion pratiquée aussi bien par des Européens blancs que des Noirs, des Arabes, des Asiatiques, puisque, dans certains contextes socio-historiques, l’islam devient bel et bien une race au sens social et politique du terme : un attribut racialisé, c’est-à-dire altérisé, essentialisé, péjoré et utilisé comme légitimation pour une inégalité de traitement, une violence ciblée ou des privations de droit.

Car c’est bien ce à quoi nous assistons dans la France contemporaine, et plus largement en Europe : une prolifération de discours nous expliquant que les musulmans sont fondamentalement « autres », « pas comme nous », que peu ou prou ils sont tous les mêmes, en tout temps et en tout lieu, et qu’enfin ils sont inférieurs (arriérés, soumis) et/ou dangereux (car violents, conquérants, intolérants, sexistes), et une prolifération de lois, de politiques publiques ou de discriminations illégales mais tolérées : lois anti-voile, « état d’urgence », mise en place d’une tutelle étatique pour « l’islam de France », sans parler des discriminations au quotidien, dont l’État n’est pas directement l’auteur mais qu’il laisse prospérer.

De même, il est logique que l’antiracisme d’État considère qu’il y a un problème de racisme anti-blanc, puisqu’il existe des paroles injurieuses dirigées contre « les blancs », en bloc ; et il est logique que l’antiracisme politique refuse cette notion, car il n’existe pas, dans la France d’aujourd’hui, de domination des blancs par les non-blancs. Si l’hostilité ne suffit pas, s’il faut qu’il y ait un rapport social inégalitaire, alors il n’y a pas de racisme anti-blanc, comme il n’y a pas de sexisme anti-hommes. Je dis souvent que cinq femmes qui disent que les hommes sont « tous des salauds » ne font pas la même chose que cinq hommes qui disent que les femmes sont « toutes des salopes », même si les énoncés sont équivalents formellement – parce qu’il n’y a pas trois hommes qui décèdent chaque semaine sous les coups de leur conjointe, pas d’écart de salaire de 20 ou 30% en faveur des femmes, pas de viols et d’agressions sexuelles en masse commis par les femmes sur les hommes, pas de double-journée et de partage inégal des tâches domestiques aux dépens des hommes.

Il en va de même pour le prétendu racisme anti-blanc : s’il peut exister des amalgames malveillants et des injures contre « les Blancs », et si cela peut aller jusqu’à des agressions physiques – évidemment condamnables – commises contre des Blancs, en raison du fait qu’ils sont blancs, le phénomène reste marginal, comme est marginale la violence d’une femme sur un homme parce qu’il est un homme. Il n’y a pas de violence massive, systémique, polymorphe (aussi bien économique que scolaire et policière) du groupe Noir ou du groupe Arabe sur le groupe blanc – toutes les statistiques indiquent l’inverse.

La non-mixité, pour les mêmes raisons, doit bel et bien être dénoncée comme une pratique « raciste »si le « vivre ensemble » est le souverain bien, de manière inconditionnelle, mais elle ne doit pas l’être si l’on considère que le souverain bien est l’égalité. D’abord parce qu’il existe des modalités inégalitaires et oppressives du vivre ensemble : l’esclave ou le domestique qui vit dans la maisonnée de son maître, la femme battue ou l’enfant abusé qui vivent sous le même toit que leurs bourreaux, ou encore l’ouvrier exploité qui côtoie son exploiteur sur son lieu de travail. Ensuite parce que les moments de non-mixité choisie sont justement destinés à s’extraire de la domination pour construire des luttes, dont la fin ultime est de reconfigurer le vivre-ensemble, sous des modalités plus égalitaires et vivables.

Enfin, les mots d’ordre d’intégration et de tolérance sont à l’évidence des mots d’ordre antiracistes si l’antiracisme se définit par la coexistence pacifique, mais ils ne le sont pas si l’on veut l’égalité : le mot intégration dit l’inclusion de toutes et tous dans une collectivité, mais ne dit pas à quelle place, égale ou subalterne, chacun est inclus. Quant à la tolérance, elle peut être critiquée comme un mot d’ordre fondamentalement raciste, puisque fondé sur la dissymétrie entre un groupe dominant, érigé en référence pour désigner des groupes « différents », et positionné en surplomb – en position de décider, unilatéralement, où il situe les limites de sa tolérance.

Conclusion : « Vivre-ensemble » Vs. Égalité

On le voit bien sur ces derniers exemples : si l’on cherche à résumer en un mot chacune des deux approches, on pourrait dire que l’antiracisme d’État a pour aiguillon la recherche de la paix sociale, de l’harmonie à tout prix, raison pour laquelle il se préoccupe des paroles et des passages à l’acte haineux, exprimant clairement un rejet, mais se préoccupe beaucoup moins des discriminations muettes et invisibles – ou pire : impensées. Un mot d’ordre résume cet antiracisme d’État, un mot d’ordre que je n’invente pas mais qui est souvent revendiqué explicitement : le « vivre-ensemble » – sans que soit interrogée la modalité de ce vivre-ensemble : à égalité, ou dans la subordination. Et à cette sacralisation de l’être-ensemble, l’antiracisme politique s’oppose en sacralisant autre chose : l’égalité – ce qui de facto désacralise l’être-ensemble, et le remet même en question. Le besoin d’égalité engendre en effet nécessairement du conflit, donc de la mise à distance, de la fuite ou du repli stratégique, et en tout cas une désertion des espaces sociaux les plus inhospitaliers – bref : des formes de sécession, de séparation ou de « séparatisme », pour parler comme Emmanuel Macron.

Je finirai d’ailleurs là-dessus, en interrogeant cette notion de « séparatisme », et en soulignant plus particulièrement ce point : il est significatif que ce président qui réhabilite Maurras et Pétain, qui célèbre Napoléon, et qui défend même les statues de l’esclavagiste Colbert, ait choisi d’utiliser ce mot « séparatisme » pour désigner les formes d’hyper-violence qui ont abouti à des attentats meurtriers sur le sol français, contribuant ainsi à diffuser l’idée que toute séparation, toute sécession, serait en soi mauvaise, voire criminogène. Or, si l’on file la métaphore conjugale du vivre-ensemble, il ne faut pas oublier que l’émancipation peut passer par un droit fondamental, que les femmes par exemple ont conquis et dont elles ont pu mesurer l’importance, en maintes occasions, quand la modalité du vivre-ensemble qui leur était imposée était invivable, violente, oppressante – un droit fondamental donc : le droit au divorce.

P.-S.

Les grandes lignes de ce texte ont été exposées, à la demande de SUD Éducation-93, le 18 décembre 2017, puis lors d’une formation organisée par l’association BAMKO le 26 septembre 2021.

Notes

[1On notera au passage l’impudence du ministre, ou son inconscience si vraiment il ne connait pas de mots plus épouvantables, en termes de racisme, que ce mots-là : car une des caractéristiques du racisme est qu’il produit, entre autres choses, des mots particulièrement orduriers, que je ne vais pas écrire mais qu’on ne connaît que trop – des mots dont le caractère abject est relativisé de manière odieuse quand on place la barre du « plus épouvantable » au niveau d’un terme aussi anodin que « blanc », ou « racisé »

[2Nombre de condamnations pour discrimination raciale à l’embauche (chiffres fournis par le ministère de la Justice) : 2 condamnations en 1992, 1994 et 1995, une seule en 1993, zéro en 1995 ; pour discrimination raciale en général (refus d’offre ou fourniture d’un bien ou service, d’offre d’emploi, d’embauche, ou entrave à l’exercice d’une activité économique) : 2 condamnations en 2001, 11 en 2002, 3 en 2003, 6 en 2004, 6 en 2005, 6 en 2006, 1 en 2007, 2 en 2009, 3 en 2010.

[3Stokely Carmichael, Le Black Power : pour une politique de libération aux États-Unis, Payot & Rivages, 2009