Cette multiplication des Espaces permet de voir enfin les choses en grand. On respire. De nouvelles possibilités s’ouvrent. Par exemple, chez soi, on se félicitera d’aller faire cuire ses saucisses dans son Espace Cuisine, et il y a bien sûr un gain à s’envoyer en l’air dans son Espace Literie de même qu’à voir dans sa salle de bain un Espace Hygiène et Propreté. En filigrane, on perçoit derrière l’Espace quelque chose du Land. Ambiance d’aéroport partout, nous sommes en Espace-land, c’est-à-dire en France, petit pays bien réglé où les tabagiques ont leurs fumeurs-land et les chômeurs leurs Pôles Emploi.
Malheureusement, à la façon de ces lieux de vie dont la vie est absente, et de cette convivialité qui disparaît dès qu’on en prononce le nom, loin de faire gagner la moindre liberté, ces Espaces, ces Nouveaux Espaces qu’on voulait conquérir tout en haut, au bon vieux temps de la conquête de l’Espace, définissent une réalité bien plus terre-à-terre : chaque chose a sa place. Si tout a son Espace, à chacun le sien, et le clos l’emporte un peu partout sur l’ouvert, comme ces lignes de fer barbelé qui flinguèrent le Far-West, ses vastes plaines et ses garçons-vachers. Dans Espèces d’espaces, Georges Pérec écrivait :
« Nous vivons dans l’espace, dans ces espaces, dans ces villes, dans ces campagnes, dans ces couloirs, dans ces jardins. Cela nous semble évident. Peut-être cela devrait-il être effectivement évident. Mais cela n’est pas évident, cela ne va pas de soi ».
Vraiment pas de soi, en effet, la monotonie de ces Espaces se répétant et se multipliant à l’infini ayant quelque chose de proprement glaçant, comme si le paysage urbain s’était subitement transformé en un Open Space géant où il ne nous resterait plus qu’à nous surveiller les uns les autres, à nous épier, en prenant bien soin, chacun dans son espèce d’espace, de garder nos distances.