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Des larmes de crocodiles

À propos d’un article publié dans Libération

par Laurent Lévy
7 novembre 2003

Laurent Lévy, père d’Alma et Lila, exclues du lycée Henri Wallon d’Aubervilliers au seul motif qu’elles portaient un foulard islamique, répond ici à un article publié fin octobre 2003 dans Libération. Dans cet article, des professeurs du lycée Henri Wallon s’efforçaient de justifier, auprès de leurs camarades, leur décision d’exclure ces deux jeunes filles.

Lorsque quatre enseignants d’un lycée se cotisent pour justifier une iniquité qu’ils approuvent, on se prend à espérer que la mauvaise foi de leur argumentation n’est que le masque de leur mauvaise conscience.

De l’article de Anne Lafran, Pierre-François Grond, Rémi Duloquin, et Jean-Pierre Hennuyer, je me bornerai à relever les contrevérités les plus flagrantes : ce n’est pas donner quitus au reste.

La description de la tenue de mes filles est faite dans des termes trompeurs, et simplement mensongers : la seule exigence vestimentaire qu’elles aient exprimée - et qui a fait l’objet d’un refus - est de cacher leurs cheveux, leurs oreilles, et leur cou (ce dernier, le plus souvent, par un col roulé).

La prétendue " volonté militante " de ces enfants est un autre mensonge : si elles se battent pour leurs droits, et celui de celles qui le voudraient, à porter leur foulard, elles n’ont jamais demandé à qui que ce soit de le porter aussi. Au demeurant, prendre argument de déclarations faites à la télévision est particulièrement malvenu, puisque leurs premières apparitions télévisées sont postérieures à leur éviction du lycée. Les à-peu-près chronologiques de cet article sont l’un des éléments les plus remarquables de sa malhonnêteté.

Ce que nos auteurs appellent " agitation médiatique " a été inauguré par un article paru dans Libération le 22 octobre, et est parti de déclarations faites à une journaliste par... des enseignants du lycée. Evoquer le "réseau de connaissances politiques et professionnelles " que j’aurais mis en œuvre à cette fin ne manque pas de sel, sous la plume d’enseignants dont l’un au moins est un dirigeant national d’un parti ’100% à gauche’.

Passons à la prétendue " ultime tentative de médiation entre des enseignants, le Mrap et la famille ". Il est exact qu’une réunion a eu lieu entre certains enseignants, Mouloud Aounit et moi-même. Ils nous ont demandé de ne pas faire état de leur démarche, ce que nous avons respecté, et insisté sur le fait qu’ils ne représentaient qu’eux mêmes, et ne disposaient d’aucun pouvoir ni d’aucun mandat. Ils ont tenu à dire que, si mes enfants s’obstinaient à ne pas montrer les parties de leur corps en litige, ils considèreraient leur exclusion comme une chose nécessaire. C’est l’affirmation de cette position non négociable qu’on désigne aujourd’hui sous l’appellation " dialogue de sourds ". Il est exact qu’ils ont été sourds à toute argumentation. Quant à eux, ils n’avaient rien à dire d’autre qu’exprimer cette exigence absurde.

Comme me l’écrivait Christine Delphy : " cette fuite en avant de la surenchère, le lobe de l’oreille, une boucle de cheveux et la naissance du cou : il faut montrer très littéralement patte blanche pour être admis à l’école ". Et de demander : " ce sont dans ces parties du corps - et dans leur dévoilement - que s’incarnerait la république ? ".

Quiconque aurait vu le petit sourire de triomphe de Pierre-François Grond lorsqu’il a appris la décision d’exclusion de son élève mesurerait comme moi la perfidie consistant à parler d’une décision prise " à contrecœur ", et à affirmer qu’aucun " sentiment de victoire " ne l’habiterait. Perfidie d’autant plus caractérisée qu’il sait bien, comme ses cosignataires, que ce n’est pas en privant des élèves de l’école publique qu’on peut lutter pour préserver le service public, ni en condamnant des enfoulardées qu’on peut protéger celles qui ne veulent pas le devenir.

Un dernier mot : je ne peux qu’approuver nos auteurs lorsqu’ils disent qu’une loi d’interdiction du ’foulard’ " apparaîtrait comme humiliante et discriminatoire " envers bien des élèves, et " aurait pour conséquence de renforcer de manière redoutable les discriminations et donc les communautarisme ". Mais il en va de même des exclusions hors la loi.

Tant de mensonges et d’approximations ne sont jamais utiles à qui pense sincèrement avoir raison ; on verra dans cet article l’indice de la conscience confuse qu’ont ces enseignants de s’être laissés entraîner en un combat douteux.