Accueil > Études de cas > Soeur Caroline Fourest et ses ami(e)s > Quelques remarques sur Tirs croisés (Deuxième partie)

Quelques remarques sur Tirs croisés (Deuxième partie)

De la nocivité supérieure de l’islamisme selon Caroline Fourest et Fiammetta Venner

par Sadri Khiari
19 janvier 2004


" Il serait faux d’affirmer, écrivent les fondatrices de Pro-choix, que l’intégrisme
musulman ne présente pas un risque accru. L’islamisme occupe effectivement la pole
position chez les intégristes. Il est actuellement le mieux placé pour exercer ses
diktats et terroriser ceux qui lui résistent. Mais cette force n’est pas liée à une
différence de fond avec ses homologues juif et chrétien. (.) Ce surcroît de nocivité
n’a rien à voir avec la religion mais avec l’instrumentalisation de la religion.
"(404)

Quelles sont donc les raisons de cette dangerosité accrue de l’islamisme ?

" Le pouvoir de nuisance des intégristes, nous expliquent Fourest et Venner, dépend
avant tout des résistances qu’il rencontre. Or, l’intégrisme musulman rencontre
moins d’opposition que l’intégrisme juif ou chrétien du seul fait qu’il évolue dans
un nombre important de pays où la religion inspire toujours la loi commune, ce qui a
pour effet de rendre les islamistes supérieurs aux laïcs, même lorsqu’ils sont
persécutés par le régime politique en place. "(404)

Ainsi, " les Israéliennes victimes de persécutions de la part de Juifs orthodoxes
savent qu’elles peuvent demander à l’Etat de les protéger. Les femmes victimes du
sexisme des intégristes musulmans, elles, n’ont aucun recours. En Arabie Saoudite,
l’Etat est leur plus grand ennemi. A la différence de Mea Shéarim ou de Saint
Nicolas-du-Chardonnet, qui ne sont que des communautés, l’intégrisme musulman et ses
préceptes misogynes exercent une pression directe, sans contre-pouvoirs et par le
biais d’un Etat, sur le quotidien des femmes du monde arabe et/ou musulman. Voilà
bien l’une des clefs expliquant le surcroît de dangerosité de l’islamisme : il
débouche sur une contrainte juridique publique, là où les intégrismes chrétien et
juif agissent par le biais d’une contrainte privée. "(80) J’y reviendrais plus loin.
D’autres raisons inciteraient également à penser que l’intégrisme musulman est plus
dangereux que ses homologues juif et chrétien. Si l’intégrisme musulman n’a pas le
monopole de la violence, nous disent les deux auteures, " il est le seul à
bénéficier d’un stock de bombes humaines. "(370) Le secret de la constitution de ce
stock relève, semble-t-il de la psychanalyse. Le prototype du kamikaze intégriste
serait ainsi Zacarias Mouassaoui, impliqué dans l’attentat du 11 septembre et
actuellement emprisonné aux Etats-unis. Ce jeune homme -comme les peuples musulmans,
nous l’avons vu - " s’imaginant " être en " panne sociale "(378), va trouver dans
l’intégrisme une double compensation à son impuissance : " Le seul fait de pouvoir
reprendre du pouvoir grâce aux bienfaits de la domination masculine garantie par
l’intégrisme musulman est une première forme de rétribution. "(378) Le passage au
terrorisme suicidaire nécessite cependant une motivation supplémentaire qu’il va
trouver dans la propagande islamiste : " pour pouvoir se constituer un stock de
bombes humaines corvéables à merci, les islamistes ont imaginé bien d’autres
motivations. Ils ont notamment détourné un Hadith de façon à promettre bien des
plaisirs aux kamikazes après leur mort. Non contents de rejoindre Dieu [le Père tout
puissant. SK], ils seraient attendus au Paradis par soixante-dix vierges [la Mère,
évidemment ! SK] . "(378)

L’intégrisme musulman est d’autant plus dangereux, ajoutent Fourest et Venner, que "
son financement, lui aussi, bénéficie d’une absence de garde-fous "(391). Il est
donc " susceptible d’être mis au service d’une entreprise terroriste. " Il est
vrai, reconnaissent-elles, que les intégristes chrétiens ont beaucoup d’argent mais
ils l’investissent honnêtement ; " ils prospèrent grâce aux bienfaits du capitalisme
à l’américaine mais même ce capitalisme-là impose que l’on suive certaines règles
sous peine de faire peur au marché. " Ce qui n’est pas le cas, nous disent les
auteures, de l’islamisme dont les capitaux " ne sont pas dépendants d’une économie
nationale mais transnationale, toujours moins régulée. " L’argent " chrétien " est "
national " ; il respecte des " règles ". L’argent musulman évolue dans l’opacité de
l’économie " transnationale " ; il n’est pas contrôlé ; il est " sale "(392), fruit
de " toutes sortes de trafics "(392), drogue et prostitution.

Autre argument : l’intégrisme musulman bénéficie de la complicité d’associations
humanitaires, des tiers-mondistes et de l’extrême gauche [1]. " À force de se
confondre avec la lutte légitime contre le racisme antiarabes, la lutte contre l’"
islamophobie " agit comme un cheval de Troie qui affaiblit la laïcité. "(218)
L’extrême gauche a aussi le tort déraper aussi sur un autre terrain, celui d’un
anti-sionisme dont la frontière avec l’anti-sémitisme serait particulièrement
poreuse. À l’appui de cette thèse, les deux auteures n’ont pas grand chose dans leur
besace sinon le " militant d’extrême gauche ", Thierry Meyssan auteur de
L’effroyable imposture ? , l’avocate Lynne Stewart qui a plaidé en faveur de Cheikh
Abdelrahman [2] et des propos anti-sémites tenus à la Conférence de Durban, sans
qu’on sache trop d’ailleurs par qui. Faute d’arguments plus convaincants, elles ont
recours à l’adjectif indéfini " certain " qui permet de généraliser sans le dire : "
Une certaine gauche anti-impérialiste lui trouve des circonstances atténuantes. "(à
l’antisémitisme. 387) " Organisée en principe sur le thème du racisme, la Conférence
mondiale de Durban d’août 2001 restera gravée comme un moment où certains militants
d’extrême gauche se sont rapprochés des islamistes au nom de la lutte contre
l’américano-sionisme. Lors du discours de Fidel Castro, au forum des ONG, certains
activistes ont clairement entendu fuser quelques " kill Jews " à la suite de " Free
Palestine. ". "(388) " L’absence de mobilisation contre l’intégrisme musulman se
rapproche d’une certaine complicité chez certains militants en lutte contre
l’impérialisme et le sionisme. "(389). Le même procédé est utilisé avec les
palestiniens : les Protocoles de Sion devenant " la référence d’une certaine
contre-culture palestinienne "(385, CMQS).

Mais la principale raison de la dangerosité particulière de l’islamisme serait dans
la dépendance des Etats-Unis par rapport au pétrole. " L’islamisme, nous explique
Tirs croisés, est assis sur un tas d’or, de " l’or noir ", bien sûr "(395) ; ses
ressources " proviennent en grande partie des pays du Golfe. " [3] Comment donc les
USA qui sont unis à l’Arabie saoudite par un rapport de " dépendance mutuelle "
pourraient-ils s’opposer au terrorisme islamique ? [4] En soutenant l’Arabie
saoudite, l’Amérique soutient en fait l’islamisme. " Ainsi, concluent les auteures,
non seulement la politique américaine, soutenue par la droite religieuse chrétienne,
a pour effet d’étendre l’emprise religieuse de l’islam [de l’islam ! SK] mais elle
contribue à diffuser un intégrisme sur lequel poussent les terroristes de demain,
tel un cercle infernal promettant d’autres 11 septembre. "(399)

Il est vrai que les Etats-unis ont longtemps soutenu les courants islamiques les
plus réactionnaires (Taliban, par exemple) et que cette politique, pour être plus
sélective, n’appartient pas vraiment au passé. Mais, à l’inverse des auteures de
Tirs croisés, il faudrait en déduire la dangerosité ou la nocivité accrue de la
politique américaine plutôt que celle de l’intégrisme musulman ! Elles reprochent à
Thierry Meyssan d’avoir écrit un livre duquel on " sort avec le sentiment que le
gouvernement américain est extrêmement manipulateur et finalement presque plus
dangereux que l’islamisme. "(388) Je n’ai pas lu le livre en question et cette
conclusion ne me semble guère scandaleuse, mais, surtout, si l’on suit les
développements de Tirs croisés, c’est cette même conclusion qui devrait logiquement
couronner l’exposé de Fourest et Venner. Malgré ses bombes humaines, son argent
sale, ses foules arabo-musulmanes fanatisées et impuissantes, l’islamisme semble
bien inoffensif par rapport à la puissance des intégrismes chrétien et juifs, du
moins tels qu’elles nous les présentent, influençant la politique des Etats les plus
puissants du monde. Or, c’est à l’idée inverse qu’elles aboutissent : " à côté de
l’intégrisme musulman, les intégrismes juifs et chrétien donnent l’impression de
phénomènes marginaux plutôt folkloriques, en tous cas sans conséquences. "(404) Les
fondatrices de Prochoix nous décrivent pourtant un intégrisme chrétien mené par le
Vatican et composé de multiples associations de par le monde, plus particulièrement
aux Etats-unis. Si le critère décisif de dangerosité est l’existence de "
contre-pouvoirs " juridiques ou sociaux susceptibles de s’opposer à l’emprise
intégriste, il est difficile, en lisant leurs propres commentaires, d’admettre que
les intégrismes chrétien et juif sont moins " nocifs " que l’intégrisme musulman.
Tout leur livre, probablement d’ailleurs avec exagération, nous donne, en effet, à
voir la puissance de ces " lobbies " chrétien et juif intégristes, non seulement
leur ascendant sur les sociétés occidentales et américaines mais surtout leur
influence et leur implication directe au niveau des institutions à l’échelle
nationale (gouvernement Bush) et internationale (ONU). " Si la droite religieuse
américaine devait un jour concrétiser ses projets pour l’Amérique, ce sera sous le
règne de George W. Bush. "(275) Celui-ci " bénéficie d’un contexte politique
exceptionnel, où la nation américaine n’a jamais été aussi prompte à suivre
aveuglément ses dirigeants. Depuis les attentats du 11 septembre, ce gouvernement
jouit d’un prétexte inespéré - la guerre préventive au terrorisme " pour prôner
l’union nationale et restreindre les libertés publiques. La gauche américaine n’a
jamais été aussi soudée derrière un gouvernement républicain. Quant aux associations
progressistes, elles sont totalement muselées par une opinion publique et une presse
qui ne veulent aucun remous. Le gouvernement Bush peut mener, en toute tranquillité,
une politique de régression sociale particulièrement agressive et intégriste à
l’intérieur des Etats-Unis, tout en se présentant comme le champion de la lutte
contre l’intégrisme au nom d’une vision messianique à l’extérieur. "(281) " Depuis
que George W. Bush a été élu président, les Etats-Unis participent activement au
front d’opposition moraliste mené par le Vatican mais aussi par l’Arabie Saoudite,
le Pakistan, le Nigéria et tous les pays islamiques au nom de la lutte contre l’ "
impérialisme occidental " ! Encore aujourd’hui, après le 11 septembre, on retrouve
main dans la main les délégués du Saint-Siège, ceux des pays islamiques et les
républicains de la droite religieuse américaine. (.) Cette nouvelle ligne dure,
désormais majoritaire (à l’ONU), est en passe de faire basculer des années de droits
conquis conférence après conférence en matière de lutte contre le sida, les
discriminations, de droits des femmes et même de droits des enfants - que les Etats
religieux ne jugent pas comme des êtres à part entière mais comme des éléments du
droit de la famille. Pour résister à cette conception unanimement moraliste des
droits humains, l’Union européenne est bien isolée. "(153) En France même, nous
mettent-elles en garde, l’intégrisme chrétien ne doit pas être réduit aux groupes
lebvéristes car il est également porté par le Front national, " cette extrême droite
qui ne cesse de gagner du terrain "(233) [5]. Ce ne sont là que quelques phrases
parmi tant d’autres similaires !

Quant aux intégristes juifs, en Israël, on voit mal également à quels "
contre-pouvoirs " ils se heurtent. Leur influence, selon les deux auteures - et je
ne les contredirai pas -, est ascendante de même que leur implication directe à
tous les niveaux où se prennent et s’appliquent les décisions. " L’avis des
extrémistes est devenu incontournable. "(298) " Les extrémistes religieux sont
devenus les principaux obstacles à la fin de l’occupation des Territoires. "(310) "
Quand bien même les partis religieux ne dépasseraient jamais les 20% de suffrages,
leur ombre plane désormais sur tous les pans de la société israélienne. "(299) " Le
seul fait qu’ils (les orthodoxes et les ultra-orthodoxes) incarnent le judaïsme dans
un pays établi à l’emplacement même de la Terre promise confère aux juifs religieux
une force symbolique que n’ont pas les laïcs. À terme, on ne voit pas comment leur
emprise pourrait ne pas faire basculer le destin d’Israël. "(294) Là encore, on
pourrait citer d’autres phrases tout aussi significatives qui incitent à penser le
contraire exactement de ce qu’affirment pourtant Fourest et Venner. Pourquoi donc
s’obstinent-elles à dénoncer le surcroît de dangerosité de l’islamisme ? N’est-ce
pas là céder à cette même propagande - qu’elles dénoncent pourtant - qui vise à
démoniser les populations arabes et musulmanes ?

Troisième partie

Notes

[1" Ce qui renforce encore le sentiment d’un terrorisme bénéficiant de moins de
contre-feux et donc d’un potentiel de dangerosité accru ".(390)

[2L’avocate est d’autant plus coupable qu’elle " fond en larmes " lorsque la
condamnation est prononcée et " depuis, elle n’a cessé de lui rendre visite en
prison "(390

[3Ce qui explique que " l’Amérique - le pays qui est sans doute le plus dépendant
à l’égard de cette source d’énergie - n’a pas toujours cherché à freiner cet
approvisionnement. "(395)

[4" Cette dépendance mutuelle éclaire toute la complexité d’une guerre déclarée
au terrorisme islamiste qui n’a pas la volonté ou la capacité de s’attaquer aux
bailleurs de fonds de ce terrorisme. "(396). " L’un des facteurs expliquant le
surcroît de dangerosité de l’islamisme tient à cette question : les Etats-Unis
ont-ils l’intention ou les moyens de mettre un terme au carburant du terrorisme.
Autrement dit, un gouvernement de néo-conservateur américains élu grâce au soutien
du lobby pétrolier - mais aussi grâce à celui du lobby intégriste - est-il bien
placé pour mener une politique réellement efficace contre ce terrorisme ? "(398)

[5Significativement, les scores élevés du Front national sont " davantage dû à
un vote protestataire qu’à une réelle adhésion à des valeurs intégristes "(234).
Qu’un même phénomène puisse expliquer l’influence des islamistes dans certains pays
ne les effleurent pas.