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Trois poids, trois mesures

Retour sur trois faits advenus les 3 et 4 juillet 2002

par Pierre Tevanian
28 septembre 2004

Les trois faits évoqués se sont produits entre le 3 et le 4 juillet 2002. Ils donnent un aperçu saisissant des effets judiciaires concrets du consensus sécuritaire dans lequel la France vit depuis le ralliement définitif de la gauche de gouvernement à la vision et aux solutions de la droite, en 1997. Ces exemples permettent également de renverser la question du "laxisme de la justice" : est-il vraiment là où le prétendent nos dirigeants politiques et leurs amis éditorialistes ?

La réponse donnée par la Justice française le 4 juillet 2002 est sans ambiguïté :

 trois ans de prison ferme pour avoir transporté du cannabis ;

 vingt-cinq ans de prison ferme pour le meurtrier d’un policier ;

 sursis pour un policier meurtrier.

1. Trois ans de prison ferme pour avoir transporté du cannabis

Extraits d’un article de Sandrine Blanchard, paru dans Le Monde du 06/07/2002

Jérôme Expuesto, jeune homme de 29 ans, a été incarcéré, le mercredi 3 juillet, à la prison Saint-Paul de Lyon. Les gendarmes sont venus le chercher, tôt le matin, dans la maison de ses parents à la Tour-de-Salvagny (Rhône) afin qu’il exécute sa peine de trois ans d’emprisonnement infligée le 18 mai 2000 par la cour d’appel de Lyon pour " acquisition, transport, détention et offre ou cession " de cannabis. (...)

La vie de cet étudiant et de ses parents a basculé le 2 novembre 1998. Ce jour-là, huit gendarme débarquent, à la suite d’une dénonciation, dans la coquette villa familiale pour perquisitionner la chambre du jeune homme où ils trouvent 75 grammes de haschich et quelques plants de cannabis (...) Jérôme reconnaît avoir, durant quatre ans, effectué des " achats groupés " de résine de cannabis pour " une bande d’amis " avec qui il fumait le week-end. " Jérôme était le plus droit et honnête, avait un moyen de locomotion, c’est pourquoi on l’avait choisi pour aller chercher le haschich. On se partageait entièrement les savonnettes ", ont témoigné plusieurs de ses amis pendant leur audition. La justice calcule que, de 1994 à 1998, le jeune homme a acheté 26 kg de drogue et qu’il " avait pu faire un bénéfice de 40 000 francs ", somme que Jérôme nie toujours avoir gagnée.

À l’issue de sa garde-à-vue, l’étudiant, aide-éducateur dans un collège et dont le casier judiciaire était vierge, est placé pendant quatre mois en détention provisoire. À sa sortie, il fournit chaque mois des tests pharmacologiques qui attestent qu’il ne consomme plus de cannabis. Le 14 septembre 1999, le tribunal correctionnel de Villefranche-sur-Saône le condamne à quatre ans d’emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, 20000 francs d’amende, et à l’interdiction de ses droits civils, civiques et de famille pendant cinq ans. Quelques mois plus tard, le cour d’appel de Lyon aggrave sa peine (...)

Préparant le diplôme d’éducateur spécialisé et travaillant dans une association, Jérôme devait en septembre commencer sa troisième et dernière année d’études. Son avocat, Me Francis Caballero, a déposé il y a un an un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme pour contester " la législation française du cannabis au nom du principe de proportionnalité ". Son père met tous ses espoirs dans un aménagement de sa peine pour que son fils puisse " finir sa formation ". Jamais il n’acceptera que Jérôme soit " considéré comme un délinquant et un trafiquant. Lui et ses amis n’étaient pas une association de malfaiteurs mais des usagers partageux, majeurs et consentants ".


2. Ving-cinq ans de réclusion criminelle pour le meurtrier d’un policier

Dépêche AFP, 04/07/2002, 12h30 [1]

Samuel Lamy, 28 ans, a été reconnu coupable d’avoir tué d’un coup de fusil un policier en septembre 1998 à Gargenville (Yvelines) et condamné vendredi soir par la cour d’assises des Yvelines à 25 ans de réclusion criminelle. L’avocat général avait requis la réclusion criminelle à perpétuité, rejetant les arguments de l’accusé qui a toujours affirmé ne pas avoir su qu’il avait affaire à des policiers. Le 17 septembre 1998, le gardien de la paix Serge Rouet, 30 ans, qui intervenait avec cinq de ses collègues pour mettre fin à un différend entre voisins, avait été tué d’un coup de fusil de chasse tiré par Samuel Lamy.

3. Trois ans de prison avec sursis pour un policier meurtrier

Dépêche Reuters, 04/07/2002, 17h31

La cour d’assises du Nord a condamné à trois ans de prison avec sursis le policier Stéphane Andolina, qui avait abattu un jeune Algérien à Lille en avril 2000. Riad Hamlaoui, 25 ans, avait été abattu lors d’une tentative de vol de voiture, le 16 avril 2000. Les jurés, qui ont assorti le sursis d’une interdiction d’exercer le métier de policier et de porter une arme, n’ont pas suivi l’avocat général, qui avait requis six ans d’emprisonnement pour " homicide volontaire ". " On ne peut pas se cacher derrière l’affolement et derrière le stress ", avait déclaré l’avocat général Jacques Cianfarini, avant d’assurer que " la légitime défense ne tenait pas ". Mais la Cour " a estimé qu’une nouvelle incarcération ne serait utile ni à la société ni aux victimes ", a expliqué le président Michel Gasteau. " Pour injuste que soit la mort de la victime, elle résulte plus d’un ensemble de maladresses que d’une intention criminelle ".

P.-S.

Ce texte est extrait de :
Pierre Tévanian, Le ministère de la peur. Réflexions sur le nouvel ordre sécuritaire, paru aux éditions L’esprit frappeur en novembre 2003.

Notes

[1Cette référence, ainsi que la suivante, nous a été fournie par PLPL