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Ni putes ni soumises, ou la parole confisquée

Fadela Amara, de Badinter à Sarkozy...

par Pierre Tevanian
20 juin 2007

À l’occasion du ralliement de Fadela Amara, responsable du PS et présidente de Ni putes ni soumises, au gouvernement de Nicolas "Karcher" Sarkozy, nous ne résistons pas à l’envie de republier le court texte qui suit, consacré à la réalité du militantisme des Ni putes ni soumises. Il date d’octobre 2004, et laisse déjà entrevoir l’orientation idéologique profondément réactionnaire de cette organisation et de ses leaders.

Il y aurait beaucoup à dire sur le groupe Ni putes ni soumises, ou plutôt sur ses leaders, et surtout sur l’écart qui existe entre le discours que portent ces leaders, un discours formaté, taillé sur mesure pour convenir à une classe politique et médiatique quasi-hégémoniquement "blanche" de peau, bourgeoise et masculine, et les discours ou les préoccupations de la base que ce mouvement est censé représenter [1]. Pour mesurer cet écart entre la parole "orthodoxe" des trois ou quatre militant-e-s PS qui animent Ni putes ni soumises et celle, diverse mais presque toujours hétérodoxe, de la majorité silencieuse des "beurettes" qu’elles prétendent représenter, il suffit de se rendre dans leurs réunions publiques et d’y observer la manière dont est distribuée la parole.

Ce qu’on a pu voir, par exemple, le 4 mars 2004 à Fontenay-sous-Bois, était édifiant :

 il y avait dans la salle, en tout et pour tout, une petite dizaine de militantes "beurettes", et une seule d’entre elles a parlé, à peine dix minutes, sur près de deux heures de débat ; les autres se sont contentées de préparer et de servir le buffet proposé au public à la fin de la soirée ;

 le reste des deux heures de débat a été pris en charge par les deux leaders quadragénaires et membres du Parti Socialiste : Fadela Amara et Mohamed Abdi, et par l’invitée d’honneur Elisabeth Badinter, sexagénaire " blanche " de peau, elle aussi très proche du Parti socialiste, mais également présidente du Conseil d’administration d’une des plus grandes entreprises de publicité (Publicis) et soumise à ce titre à l’impôt sur les grandes fortunes ;

 cette invitée d’honneur a tenu à l’assistance un discours d’un paternalisme inouï, expliquant qu’une "intelligentsia beure" était en train "d’émerger", et que cela prouvait que les jeunes issus de l’immigration pouvaient "s’en sortir" en France, "à condition toutefois de se donner des coups de pied au cul" ;

 l’assistance était également quadra-, quinqua- et sexa-génaire et blanche de peau à 90%, et pour une très large part, au vu des tenues vestimentaires et des manières de parler, issue des classes aisées voire de la notabilité locale - ce qui n’a en soi rien d’infamant, mais pose problème lorsqu’un groupe politique a la prétention de représenter les "sans-voix" et de parler du "terrain", et que son principal ressort argumentatif est le "jeunisme" et le "basisme" ;

 les 20% restants étaient composés d’hommes et de femmes majoritairement maghrébins, et en moyenne nettement plus jeunes, occupant les derniers rangs et venus apporter la contradiction aux Ni putes ni soumises.

Une femme blanche, sexagénaire et richissime qui sermonne la jeunesse déshéritée et discriminée, et l’incite à l’effort, deux quadragénaires issus de l’immigration, affiliés à un grand parti de gouvernement, qui l’applaudissent et qui font l’éloge de "la République", une jeune militante locale qui fait de la figuration, et enfin huit autres qui servent aimablement de la nourriture et des boissons à un public blanc et aisé : nul besoin d’être mal intentionné, ni d’être rongé par le ressentiment ou le "sanglot de l’homme blanc" pour songer fortement, très fortement, que le "débat sur la laïcité" tel que le mettent en scène les Ni putes ni soumises obéit rigoureusement à une logique coloniale [2].

P.-S.

Ce texte est extrait de : Pierre Tévanian, Le voile médiatique. Un faux débat : "l’affaire du foulard islamique", Editions Raisons d’agir (Sortie le 15 septembre 2005)

Notes

[1Cf. D. Bechoua, "Et toi, pourquoi tu ne le portes pas, le foulard ?" (http://lmsi.net/rubrique.php3?id_rubrique=43). En ce qui me concerne, l’attitude la plus fréquente à leur égard chez les filles d’origine maghrébine que j’ai pu rencontrer est la détestation ou l’ indifférence - en tout cas très rarement l’admiration, la reconnaissance ou l’identification

[2À bien d’autres égard, cette réunion publique avait de quoi susciter un profond malaise. On peut mentionner notamment les applaudissements compulsifs du public lorsqu’un des rares jeunes hommes maghrébins venus soutenir les Ni putes ni soumises se déclara " athée ", ou lorsque Fadela Amara se revendiqua " très franchouillarde ".