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Une femme indécente

Lecture du film de Charles Vidor, Gilda

par Nellie Dupont
8 avril 2020

Nous devions fêter le 20 mars 2020 les 20 ans du site « Les mots sont importants », avec la présentation en librairie du recueil Mots et maux d’une décennie paru aux éditions Cambourakis. Confinés, et solidaires avec ceux et celles qui ne peuvent pas l’être, en colère contre ceux qui se sont attelés consciemment et systématiquement à détruire le système public hospitalier ces dernières années, nous avons décidé de célébrer autrement cet anniversaire, en proposant à partir de ce 20 mars une anthologie virtuelle. Le principe est le suivant : un texte par jour pour chaque année depuis la fondation du site en 1999, choisi parmi ceux qui sont parus exclusivement ou initialement sur le site, et qui n’ont été repris dans aucun recueil, ni celui de 2010, ni celui de 2020. Des « classiques » du site ou des textes passés plus inaperçus, des textes critiques, joyeux ou sérieux, qui parlent de politique au fil de l’actualité, mais aussi de films et de livres, et invitent à parcourir les quelques 2000 autres articles publiés par LMSI. Dès que les nécessités de confinement seront passées, nous reprogrammerons un événement festif, évidemment dans le 20ème arrondissement de Mme Calandra, la Maire sortante qui avait cherché à nous faire condamner en justice (en vain) et qui n’a récolté, au premier tour de 2020, qu’un pitoyable 12,5% (contre 38% à son concurrent de gauche). Notre recueil 2010-2020, est par ailleurs disponible sur commande, ici. En 2018, Rita Hayworth aurait eu 100 ans. Nous publions alors une lecture de son film le plus célèbre, et pourtant le plus incompris : Gilda.

Gilda est un film éponyme qui, comme dans beaucoup d’oeuvres éponymes, n’a pas pour sujet principal celui ou celle qui lui donne son titre. Il s’agit plutôt, comme la qualifie un des personnages, de « la plus étrange histoire d’amour et de haine » qui soit. Ce qui nous est donné à voir est en fait la résolution d’une histoire qui a commencé et semblait s’être terminée avant que ne commence notre film : l’histoire d’un couple formé par Gilda (Rita Hayworth) - dite « femme fatale » et dont l’enlèvement du gant devant une foule d’hommes en transe est devenu une scène d’anthologie du cinéma - et par Johnny (Glenn Ford) le narrateur - un petit tricheur au jeu dont les commentaires en voix off viennent ponctuer l’intrigue. Mais le film commence, et l’histoire de ce couple recommence, quand le couple devient trio : quand Ballin Mundson (George MacReady), un homme mystérieux et supérieur, rencontre Johnny dans une ruelle mal famée de Buenos Aires fréquentée par des marins en mal d’aventures, et lui propose de devenir son « meilleur ami » avant d’aller épouser Gilda.

La Nuit des Rois version tragique.

La Nuit des rois (Twelfth Night or What you Will) - à notre avis la comédie la plus jubilatoire de Shakespeare - est une pièce sur la circulation de l’amour dans un monde momentanément sens dessus dessous où les personnages se travestissent, les femmes et les hommes aiment des femmes déguisées en hommes qui sont en fait des hommes qui jouent le rôle de femmes [1], les hommes aiment des hommes, les serviteurs prennent la place de leurs maîtres, et inversement. Dans cette pièce Shakespeare interroge les distinctions de genre et de classe et donne de la mobilité aux désirs affranchis de ces clivages. Les personnages se servent de leur position usurpée ou feinte pour avoir accès ou rencontrer celle ou celui qui convient à son coeur. Or Gilda est aussi une histoire de répartition et de renversement des rôles maître/serviteur, dupe/dupé, femme/mari/amant/amante, où l’on assiste à un jeu dangereux d’excitation et de mise à mal du désir sur fond de carnaval.

La scène se déroule en Argentine vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après l’avoir secouru un soir, Ballin embauche Johnny qui gagne sa vie en trichant au jeu. Johnny devient le bras droit et l’ami fidèle de Ballin jusqu’au jour où ce dernier revient de voyage avec celle qu’il vient de rencontrer et d’épouser : Gilda, une femme que Johnny a connue, aimée et détestée dans le passé car il la soupçonne de l’avoir trompé « une nuit » ; il est visiblement encore rongé par la jalousie et la beauté de Gilda nous invite d’emblée a bien vouloir la croire scandaleuse, d’autant que c’est celui qui la soupçonne qui est la voix de la conscience du film. A partir de ce moment, on suit le développement de la relation entre Johnny et Ballin, entre Ballin et Gilda puis celle entre Gilda et Johnny, des personnages entre lesquels on voit évoluer et parfois se confondre des sentiments puissants de haine, d’amour, de désir et de rivalité.

Le thème de la comédie carnavalesque revient de manière récurrente tout au long du film. Ballin y est le roi, Johnny le fidèle serviteur, Gilda la reine et Uncle Pio le bouffon. Mais les rôles et positions de chacun ne vont cesser de se déplacer, car c’est le propre du carnaval. Le carnaval est une période de faste avant le jeun, où l’on se masque, où l’on chante, où l’on se travestit. Dans ce film, le contexte carnavalesque a plusieurs fonctions. D’abord, il permet de montrer en quoi ces positions (sociales et de genre) sont des rôles interchangeables : aux côtés de Ballin le patron, Gilda prend le dessus sur Johnny, mais quand celui-ci l’épouse elle perd sa supériorité tandis que Johnny échappe à son statut de simple serviteur. Ensuite, il a une fonction dramatique puisque le moment culminant du drame se déroule lorsque commence le carnaval, dans l’agitation festive : c’est à ce moment que les masques tombent, que les désirs et non-désirs se révèlent, que les personnages flanchent, que les comptes se règlent. Lorsque le bal est lancé : le roi est détrôné, la reine joue les putes puis sauve son honneur, le serviteur prend la place du maître. Enfin et surtout, il a une fonction « morale », puisque Gilda y fait explicitement référence pour représenter ce qu’elle voit comme étant son destin : une période de faste suivi d’une période d’abstinence rédemptrice (qui correspond à une pénitence) car après avoir profité des richesses de son premier mari elle sera « mise en quarantaine » par son second mari, Johnny.

Dans cette configuration, Uncle Pio et le sergent Obregon se présentent eux-mêmes comme des spectateurs se délectant à l’avance du spectacle qui s’annonce. Pour le carnaval, le bouffon (révélant ainsi la vérité des personnages) propose des déguisements à ceux qui viennent au casino : des têtes de cochon pour les Allemands, et pour Johnny le choix entre une tête de taureau et une tête de bouffon. Enfin, cette référence insitante à la représentation se retrouve dans une des deux chansons qu’interprète Gilda et qui lui permet de réaffirmer son amour pour son ancien amant en parlant de la facticité d’un rôle passé inspiré du théâtre par opposition à la vérité et la sincérité de ses paroles présentes [2]. Le sens de ces paroles sera confirmé par le policier qui se place sur le même registre : « It was just an act, every bit of it and believe me you were a great audience. » (Tout cela n’était que de la comédie, et croyez moi vous vous très bien laissez prendre au jeu.)

Même le mouvement de caméra avec lequel s’ouvre le film semble monter du dessous d’une scène de théâtre pour montrer Johnny jetant les dés en direction de l’objectif.

Mais ici, la comédie vire au drame et même à la tragédie. Gilda est bien une tragédie car c’est l’hybris (en l’occurrence son désir de domination) qui entraînera le héros (Ballin) à sa propre perte. En revanche, cette référence bien particulière au théâtre nous amène surtout à voir les attitudes des uns et des autres comme des performances, car les patrons jouent les patrons mais n’en sont pas toujours, les femmes fatales et cupides jouent les femmes fatales et cupides mais n’en sont pas toujours, les durs jouent les durs mais craquent à la fin.

Images et personnages

Les plans, la lumière, les décors et les postures sont utilisés très explicitement pour souligner les positions changeantes entre les trois personnages. Les décors de nuit et la plupart du temps en intérieur, dans la villa ou dans le casino, renforcent l’effet de huis clos dramatique entre Gilda, Ballin et Johnny. Ils renforcent l’effet d’enfermement angoissant. Dans ces décors, les escaliers sont des lieux stratégiques où l’on voit sans cesse les hommes (surtout) monter et descendre, ou attendre en haut ou en bas, selon la position dominant/dominé qu’ils occupent. Ballin est le plus souvent montré en haut, en position de surplomb, filmé en contre-plongée. Lorsque Johnny prend la place de Ballin, c’est lui qui est montré montant les marches, ou regardant d’en haut.

La lumière est aussi utilisée de manière révélatrice au sens où elle dit quelque chose du caractère des personnages, notamment pour Ballin. Celui-ci est non seulement le plus souvent filmé de profil, de dos (toujours habillé de noir), il est aussi filmé assis dans l’obscurité, ou très souvent à contre-jour, ce qui accentue son caractère mystérieux, ambigu, voire lugubre. Homme de l’ombre (cachant ses activités illégales ou ses intentions), il est souvent montré avec la sienne projetée sur un mur. Il n’est même parfois qu’une présence en surplomb mais invisible derrière une persienne qui s’ouvre et se ferme.

Ce qui n’est pas le cas pour Johnny qui est la plupart du temps filmé de face et dans la lumière sauf quand il est submergé par la haine ou la jalousie et par le désir de prendre le pouvoir à la place du maître ; dans ces moments là il est, comme Ballin, à contre-jour ou le corps et le visage à moitié caché par l’ombre.
Gilda, quant à elle, apparaît le plus souvent de face, le visage ou le corps illuminés, en plans fixes. On peut lire ses émotions sur son visage, ce qui est rarement le cas pour Ballin. Contrairement aux personnages masculins, elle ne monte jamais les marches du casino et lorsqu’elle monte ceux de la villa c’est toujours en courant ; quand elle s’y arrête pour regarder en bas, c’est pour menacer Johnny d’une revanche (à la nage) ou c’est qu’elle vient de séduire celui-ci à nouveau - tandis que Ballin, les ayant vus, dévale les escaliers.

Désir, exclusivité et exclusion.

Ce que les personnages masculins disent de leur méfiance à l’égard des femmes, la misogynie dont ils font preuve, leur exclusion des femmes pour garantir l’équilibre de leur relation et la réussite de leurs affaires sont des discours plus que révélateurs dans ce film. Ils servent surtout à laisser entendre de manière feutrée mais très claire la nature de la leur relation. L’homosexualité ou la bisexualité de Balan et de Johnny n’est jamais révélée explicitement mais à travers les échanges entre les différents personnages commentant quatre objets particuliers : la canne, la clé, la fenêtre et le linge sale.

La canne est cet objet des plus singuliers que Ballin ne quitte jamais et qui lui permet de sauver Johnny d’un bien mauvais pas - première scène du film et celle de leur rencontre - car quand on retire le fourreau, la canne devient poignard.
« Johnny : A cane like that can come in handy.
Ballin : It is a faithful and obedient friend. It is silent when I want it to be silent. It talks when I wish to talk.
Johnny : Is that your idea of a friend ?
Ballin : It is my idea of a friend.
Johnny : Yours must be a gay life.
Ballin : I lead the life I like to lead. »

(« “Une canne comme celle là peut se révéler très utile.” “C’est un ami fidèle et obéissant. Il est silencieux quand j’ai besoin qu’il le soit. Il parle quand j’ai besoin qu’il parle.” “C’est votre conception de l’amitié.” “C’est l’idée que je me fais de l’amitié.” “Votre vie doit être très gaie.” “ Je vis ma vie comme je l’entends.” »)

La canne est très clairement employée comme symbole phallique et comme la métaphore du désir de Ballin [3] Celui-ci a deux amis : sa canne et Johnny, et au début c’est tout ce qu’il veut. Quand il décide d’embaucher Johnny, il lui demande : « This I must be sure of : that there is no woman anywhere. » (Je dois m’assurer d’une chose : qu’il n’y a pas de femme dans cette histoire.) puis la question devient un ordre ou la règle du jeu : «  It’s just you and me and our little friend  » puis il précise : «  no women ». ( Il ne doit y avoir que toi, moi et notre petit ami, pas de femme. )

Pourtant c’est lui qui bouleversera ce trio en y introduisant une femme : Gilda qui prend la place de la canne. Quand Johnny laisse entendre qu’il est surpris ou regrette ce réagencement de la relation à trois, Gilda lui fait commenter ce glissement des rapports entre les sexes.

« Gilda : Well who was the third one then a ‘him’ or a ‘her’, should I be jealous ?
Ballin : That’s a very interesting question, what would you say Johnny ?
Johnny : A ‘her’.
Ballin : Why that conclusion ?
Johnny : Because it looks like one thing and then suddenly it becomes another.
 »
( « “Alors qui était le troisième était-ce une troisième ou un troisième, est-ce que je dois être jalouse ?” “C’est une question très intéressante, que dirais-tu Johnny ? ” “Une troisième.” “Pourquoi donc ?” “Parce qu’on croit connaître les gens mais finalement ils changent.” »)

Ici, Johnny s’adresse à ses deux interlocuteurs pour leur signifier à chacun deux choses bien différentes : il reproche à l’homme le glissement de son désir (de Johnny à Gilda), de ne pas respecter la règle qu’ils s’étaient fixée de ne jamais mélanger les femmes et le jeu et, dans a même occasion reproche à la femme son inconstance passée, de lui avoir fait croire à sa fidélité mais d’avoir été infidèle.

La clé est cet objet bien utile pour avoir accès aux appartements de l’autre mais que Johnny rend à son propriétaire quand celui-ci revient chez lui, fraîchement marié avec Gilda. Quand Johnny tend la clé à Ballin celui-ci lui demande : « What’s that ?  » (Qu’est-ce que c’est que ça ?) et Johnny de répondre : « Tact » (Du tact). En d’autres termes : maintenant que Ballin a une femme, Johnny n’a plus besoin d’avoir accès à sa maison. Seulement, la présence d’une femme n’est pas censée signifier que Johnny n’a plus accès à Ballin... bien au contraire.

La fenêtre est ce que Ballin désigne pour expliquer ce qu’il fait de son désir : il ne le met pas au placard, il ferme la fenêtre. C’est à ce moment qu’il dit « implicitement » à Gilda que ses charmes n’ont aucun effet sur lui : « There’s a very easy way to shut away excitement, just close the window. » ( Il est très aisé de calmer l’excitation, il suffit de fermer la fenêtre.) Ce qui pourrait être un : « chassez le ‘naturel’ par la porte et fermez la fenêtre, il ne reviendra pas. » Par la même occasion, Ballin explique en fait à sa femme comment gérer sa frustration maintenant qu’elle est mariée à un homme qui ne la désire pas.

Le linge sale de Ballin est l’image qui vient à l’esprit de Johnny pour expliquer à Gilda comment il s’occupera d’elle maintenant qu’elle est mariée et que son mari dit l’aimer : «  I’m gonna pick you up and bring you home. Exactly the way I’d take and pick up his laundry. » Ce qu’elle ne manque pas de relever : « Any psychiatrist would tell you that your thought associations are very revealing.  » (Je passerai te prendre et te ramènerai à la maison de la même manière que je passerais lui prendre et lui ramènerais son linge sale. » « N’importe quel psy te dirait que tes associations d’idées sont très révélatrices.)

Pour Gilda l’association d’idées censée signifier le peu de considération que Johnny a pour Gilda révèle en fait sans détour que Johnny substitue sa relation avec elle à sa relation intime avec Ballin, elle nous révèle aussi sans détour le niveau d’intimité qu’il entretient avec Ballin.

Mais l’on est en droit de se poser une série de questions : pourquoi avoir choisi ce triangle pour régler l’histoire entre Johnny et Gilda ? Pourquoi Ballin épouse-t-il Gilda alors qu’il tient à exclure les femmes de sa relation avec Johnny - à qui il demande par ailleurs une fidélité absolue ? Pourquoi l’avoir épousé alors qu’il avoue lui-même à son partenaire qu’il est bien insolite d’attendre une femme chez lui ? Pourquoi Johnny a-t-il le désir si trouble ? Pourquoi Gilda doit-elle tant batailler pour trouver sa place, sinon une place entre ces deux hommes ? Pourquoi ces deux hommes s’associent-ils dans l’illégalité et veulent-ils à tour de rôle enfermer la femme, leur femme ?

Il n’est pas sûr que ces questions soient faciles à trancher, ni qu’on puisse clairement les trancher dans un sens comme dans l’autre. Mais il y a clairement un lien entre désir « masculin » de puissance, de domination, désir sexuel et misogynie. Chaque scène du film qui traite de la relation entre Johnny et Gilda est entrecoupée d’une scène sur les « affaires » qui lient les deux hommes. On peut peut-être donc y lire ce que Virginie Despentes décrit dans King Kong Theory [4] : « Les hommes aiment les hommes. Ils nous expliquent tout le temps combien ils aiment les femmes, mais on sait toutes qu’ils nous bobardent. Ils s’aiment entre eux. Ils se baisent à travers les femmes (...) ils se regardent au cinéma, se donnent de beaux rôles, ils se trouvent puissants, fanfaronnants, n’en reviennent pas d’être forts, beaux et courageux. » Il s’agit peut-être de ça : d’une représentation de la crise d’une masculinité dominante et dominatrice qui se joue sur un air de misogynie.

« Femme fatale », femme coupable ou le « complexe de Gilda ».

« Put the blame on Mame » (C’est la faute à Mame) : cette chanson revient comme un leitmotiv à travers le film. C’est la chanson que fredonne Gilda dans sa chambre avant que Johnny ne la voit pour la « première » fois. C’est le refrain qui hante les nuits de son ancien amant, celle qu’elle chante à Uncle Pio s’accompagnant elle-même à la guitare. C’est la chanson que doit interpréter l’orchestre pour le carnaval. Il s’agit donc d’un refrain lancinant qui a son sens dans l’histoire et qui explique le rôle qu’a Gilda dans cette aventure à trois.

En effet, chaque couplet de cette chanson parle d’une grande catastrophe : un tremblement de terre, l’incendie d’une ville, un ouragan... le refrain consiste à faire accuser une femme (ou la chanteuse elle-même [5]) d’être la cause de ces catastrophes, ce qui évidemment ne peut pas être le cas. Mais le rôle que l’on fait jouer à Gilda dans cette histoire est d’être « la cause » de plusieurs tremblements : celui qui secoue l’esprit de Johnny fou d’amour pour elle, mais aussi de celui qui secoue les deux personnages principaux : Johnny et Ballin. Ce qui évidemment n’est pas le cas. Elle n’est pas la cause du trouble entre les deux hommes, elle n’est pas non plus coupable de mettre en péril les ambitions des deux hommes - comme le prétend Johnny pour justifier la surveillance qu’il va lui imposer -, enfin : Johnny est le seul responsable de sa propre jalousie. Ce n’est pas la femme qui rend fou, même si on l’en accuse et même si elle s’en sent coupable, mais le désir de possession et de domination des hommes.

Ce qui est intéressant et fondamental dans le personnage de Gilda ce n’est pas ce que l’on en dit souvent : ce n’est pas sa féminité presque irréelle, c’est au contraire son humanité. Gilda est une femme sur qui pèse en permanence le soupçon d’indécence, elle est frappée de ce sceau dès la première scène, même Ballin lui reproche de ne pas être correcte, de ne pas avoir de « bonnes manières » [6]. Parce qu’elle est belle et désirable, elle est considérée comme coupable. Or le soupçon est performatif, il suffit qu’il soit prononcé pour qu’il agisse sur elle et qu’elle le subjective. Le « complexe de Gilda », si l’on peut dire, c’est donc le fait de reprendre à son compte une culpabilité qu’on veut faire peser sur vous. Elle exprime clairement ce sentiment de culpabilité, pourtant infondé, et son pressentiment de devoir payer pour quelque chose lorsqu’elle commente la symbolique du carnaval et surtout la nécessaire période de jeun après le faste : « You know I have the funniest feeling that for me too it’s carnaval, three days of sowing wild oats and then comes the harvest. » (Etrangement, j’ai l’impression que c’est précisément ce qui m’attend... que pour moi aussi c’est carnaval, trois jours de gaieté et de folie et qu’il faut payer ensuite.) Son personnage évolue au rythme et en réaction aux attaques de ceux qui l’entourent, elle alterne entre la provocation et l’affirmation de la sincérité de ses sentiments et de sa droiture. Mais elle aura beau crier son innocence, affirmer sa « décence », pleurer aux pieds de celui qui l’accuse : rien n’y fait ! Johnny est persuadé qu’une nuit dans le passé « That night !  » elle l’a trompé et il est déterminé à la faire payer. La seule manière pour elle de contrer l’attaque c’est de reprendre l’accusation à son compte, jouer et même surjouer l’indécence en surjouant le rôle de la « femme fatale » mais pour mieux s’en affranchir. Elle va aussi prendre les armes de ses adversaires, reprendre à son compte les propos de Ballin et de Johnny pour inverser leur portée.

En effet, Gilda est accusée d’être cupide et mariée par intérêt mais dès la scène des retrouvailles, Gilda inclut Johnny dans le « hired help  » (les employés) de Ballin au casino dont elle veut la reconnaissance, ce qui laisse entendre que Johnny se prostitue pour Ballin. Plus tard, quand Johnny demande à Gilda pourquoi elle a épousé Ballin alors qu’elle ne l’aime pas, et donc de n’en vouloir qu’à son argent, elle lui rappelle qu’il n’est nullement en position de lui faire ce procès : « It isn’t the story of the pot calling the ketlle black  ? » (C’est l’hôpital qui se moque de la charité.) Ce qui est pertinent puisque Johnny, lui-même, avait bien dit à Ballin qu’il saurait être un ami fidèle et obéissant « contre un bon salaire » car pour lui un « dollar est toujours un dollar quelque soit le nom qu’on lui donne », cette amitié est donc achetée.

En jouant de la provocation au bras d’un autre homme qui remarque l’envie qui se lit sur le visage de Johnny, Gilda en profite pour le renvoyer encore à sa frustration de ne pouvoir s’offrir ce que peut acheter Ballin. Elle sait que Johnny est tenté par l’argent et l’exclusivité mais il n’est pas dans la même position que son patron, il est donc surtout jaloux et Gilda le lui rappelle : « he wants it but he can’t afford it. » (Il n’a pas les moyens de se payer ce qu’il veut.)

Ensuite, plutôt que de subir la jalousie de Johnny a son égard, elle se sert du rôle d’escorte que celui-ci s’est donné pour faire douter Ballin de la fidélité de Johnny, le mettant ainsi en danger lui aussi. Lorsqu’ils rentrent à cinq heures du matin et tombent sur Ballin qui les attend, elle fait porter le soupçon sur Johnny et fait douter Ballin non plus seulement d’elle mais de son bras droit.

Puis, parce qu’elle ne parvient pas à convaincre Johnny en quoi son amertume n’a pas de raison d’être, elle prend les armes pour le reconquérir. Le fouet, qui fait partie de son costume pour le carnaval, devient l’équivalent de la canne pour Ballin ou des poings pour Johnny et marque le passage à la phase active de cette reconquête. C’est aussi à ce moment qu’elle reprend les propos de Ballin sur l’excitation que peut procurer la haine et les susurre à l’oreille de Johnny en leur donnant le ton et la pose d’une bien étrange déclaration d’amour.

Car Gilda a aimé et aime passionnément Johnny, mais le hait tout aussi passionnément. Elle le hait parce qu’il ne veut pas la voir et la traiter autrement que comme une femme indécente. Elle va donc « renverser le stigmate » : assumer l’accusation pour l’en éclabousser. D’où la fameuse scène au cours de laquelle elle propose de se donner à son public à la fin de sa performance de strip-tease inachevé. Cette scène de vrai-faux strip-tease n’est pas (encore une fois) ce que l’on en a souvent dit. Cet acte est un acte assumé « d’indécence » qui est en fait un acte de résistance de la part de Gilda. Cette indécence - qui aurait pu virer au gang bang - que met en scène Gilda est un défi lancé à Johnny. L’enlèvement du gant n’est ni plus ni moins qu’un soufflet, une gifle que Gilda inflige à Johnny. Elle utilise son pouvoir de séduction pour lui faire honte. Puisqu’il la considère inconstante et indécente, mais qu’il l’a néanmoins épousée et qu’elle ne parvient pas à le convaincre de sa sincérité, elle utilise les armes qu’il redoute : ses charmes.

Gilda devient stratège par nécessité, elle est peut-être volage mais seulement avec Ballin et contre Johnny. Le policier nous confirme que Johnny, rongé par la jalousie, l’accuse à tort : elle n’a jamais fait ce qu’il lui reprochait. On comprend alors ses références répétées à ses « fermetures éclair », à ces robes qu’elles n’arrivent pas à ouvrir ou fermer. En fait, Gilda séduit de manière ciblée, ne se donne pas facilement, et sait quand elle se déshabille par amour et par intérêt, elle le fait plus facilement pour Johnny que pour Ballin et aussi, s’il le faut, pour échapper à ceux qui veulent l’enfermer. Son personnage toujours décrit comme celui d’une « femme fatale » ne montre-t-il pas donc que l’histoire cinéphilique est aussi sexiste que Johnny ? Car de quoi Gilda doit-elle avoir honte ? Elle n’est ni vénale ni cupide, elle sait être fidèle et sincère tout en assumant ses charmes, ce qui n’est pas le cas de ceux qui l’entourent, et surtout pas le cas du narrateur qui est à l’origine de la suspicion.

Johnny revu et corrigé.

Johnny se donne un style, joue les durs, l’amant inaccessible, mais c’est finalement un rôle qu’il assume mal et on le lui rappelle sans cesse. Il voudrait être un gentleman mais personne ne s’y laisse prendre, surtout pas Uncle Pio. Dès le début du film, celui-ci traite Johnny de « paysan ». Puis, il lui dit clairement que tant qu’il ne retournera pas auprès de Gilda Johnny ne sera pas celui qu’il prétend être : « Now we’ll see if you’re a gentleman as you say or a peasant as I say. The beautiful one is at the bar, she’ll probably have trouble (...) Your source of income is in his office, he’ll probably have trouble too » (Maintenant on va voir si vous êtes un gentleman comme vous le dîtes ou un paysan comme je le dis toujours. La belle est au bar et risque d’avoir des ennuis (...) Votre source de revenu se trouve dans son bureau et il risque d’avoir des ennuis aussi), Johnny choisit d’aller aider Ballin et Pio rend son verdict : « ... a peasant as I said  ». (Un paysan... c’est bien ce que je disais.) Les masques que Pio lui propose sont aussi à l’image de l’évolution de son personnage : d’abord taureau, mufle et cogneur, puis bouffon c’est-à-dire celui dont on peut rire et qui n’est pas aussi fort qu’il prétendait l’être. Pareillement, Obregon lui révèle la faille à venir dès qu’il voit Johnny se regarder dans la glace et chercher à gommer un défaut qu’il voit sur son visage, Obregon lui dit : « That spot is not on your face...yet. » (La mouche n’est pas sur votre visage ... pas encore.) et lui annonce par cette phrase énigmatique que pour le moment l’imperfection qu’il voit et cherche à cacher est dans l’image qu’il veut donner de lui-même mais que bientôt la faille sera en lui. D’ailleurs, c’est bien le policier, fin limier et fin psychologue, qui lui conseillera de rejoindre le camp de la légalité car « c’est une position très confortable » et par la même occasion, parce qu’il se dit aussi un « grand sentimental », qui l’encourage à rejoindre Gilda avant qu’il ne craque pour de bon : « I couldn’t bare to see you break down, and feel like a human being. [7] » (Ca me ferait mal vous voir craquer et avoir enfin des sentiments humains.) ... car Gilda est sincère et honnête et non perverse comme Ballin.

Pour retoucher son portrait, Gilda teste aussi l’homosexualité de son ancien amant, convaincue qu’il n’est pas si « gay » que ça. Pendant le carnaval et tandis qu’ils dansent, elle lui dit : « You’re a little out of practise, I could get you back into practise...dancing I mean. » (Tu manques un peu d’entraînement, peut-être que je pourrais t’entraîner à nouveau... à danser, j’entends.) Cette précision finale dissout à peine le sous-entendu sexuel dont elle use pour signifier qu’elle tente de lui redonner la flamme hétérosexuelle.

C’est qu’elle sait que le désir ou les désirs de son ancien amant sont ambivalents. Dès le retour de celle qu’il avait abandonnée, pris entre Gilda et Ballin, Johnny n’arrive même plus à y voir clair dans son désir. Il devient jaloux des deux, admet vouloir être un instant voyeur : les observer tous les deux ensemble sans être vu parce qu’ils les hait autant qu’il les désire, aimerait la frapper mais le frapper aussi.

C’est finalement quand il passe à l’acte et gifle Gilda qu’il semble se décomposer, et donc s’humaniser (comme le dit Obregon) car il perd tout ce qui lui donnait un semblant de puissance. C’est Johnny qui exigeait que Gilda lui donne les noms des hommes avec qui elle l’avait trompé mais c’est finalement lui qui aura trompé Ballin, subira la surveillance de la police, puis un interrogatoire et qui finalement devra donner des noms. C’est lui qui avait reproché à Gilda d’être malhonnête : c’est lui qui se retrouve sur le banc des accusés. Confondu et ruiné, il va alors retrouver celle qu’il devra aimer autrement pour s’excuser et se faire accepter. Ce qui est un beau renversement des rôles pour, d’une part, celui qui exigeait de la femme qu’elle paie et s’excuse, et de l’autre, pour celle qui pensait que la symbolique du carnaval était ce que lui réservait le destin.

Car l’homme n’a pas breveté la femme.

Une intrigue dans l’intrigue renforce l’explication du dénouement. Le contexte de cette« tragédie » nous est clairement donné : nous sommes en Argentine à l’époque de la chute de l’Allemagne nazie. Balan ne tient son casino que comme couverture. Le jeu est illégal en Argentine mais il peut faire tourner son commerce grâce à des pots de vins et parce que ceux qui ont besoin de lui ne sont pas en position de force. On nous explique en effet, qu’en fait, Ballin est à la tête du monopole du tungstène et qu’il détient grâce et pour les Allemands des brevets qu’il a acceptés de garder mais qu’il doit leur rendre une fois la guerre finie. Pourtant, Ballin décide de garder ce qui lui a été confié, il ne reste donc pas fidèle à sa parole parce qu’il a l’ambition démesurée de détenir le monopole mondial, révélant ainsi son désir d’absolue domination. Il congédie celui qu’il ne soutient plus lui disant : « not easy to be a little man with no friends...  » (Pas facile d’être un petit homme sans amis) car il est à présent en position de force (L’Allemagne a perdu) et contraint l’autre au suicide. Seulement, comme ces brevets ne sont pas à lui, les choses vont s’envenimer quand d’autres reviendront, plus insistants, récupérer leur bien.

Ce contexte ou cette intrigue secondaire n’est ni plus moins qu’une illustration de ce qui se joue entre Ballin, Johnny et Gilda. Ballin confie Gilda à Johnny, le temps d’une disparition, de même qu’il lui a confié le code du coffre-fort où sont conservés les brevets. Le parallèle entre « brevet » et « femme » est clairement posé quand Johnny enferme Gilda dans une « cage » (son nouvel appartement) juste après leur mariage - de même que Ballin l’avait mise en cage après son mariage en la comparant à un « canari » . Mais Johnny finira par choisir de garder Gilda, convaincu qu’elle n’est pas une « pute ». Ballin ne pourra récupérer son « bien » car il n’est plus en position de force pour le faire. Le contexte a changé. Gilda n’appartient pas à Ballin, elle aime Johnny, et elle repartira libre et librement avec lui une fois Ballin mort, tué par sa propre canne car il se retrouve à son tour « petit homme sans amis » : sans femme, ni fortune, ni frère, ni fourreau garni.

Johnny était tricheur, Ballin lui avait imposé de respecter les règles du jeu qu’il avait lui-même fixées, pourtant c’est lui qui les enfreint. Puis on s’est joué de Gilda.... Dans ce jeu c’est Ballin qui a perdu, tandis que Gilda et Johnny se retrouvent : l’un s’étant vengé de l’autre et vice versa grâce à Ballin. A présent mari et femme, ils reprennent leur place respective mais à égalité puisqu’ils sont quittes et ruinés.

Le retour à l’ordre hétérosexuel.

Difficile de ne pas interpréter cette fin comme une réaffirmation de l’ordre hétérosexuel sur l’ordre homosexuel, car en ne restant pas fidèle à Ballin, Johnny quitte le monde de l’illégalité et choisit la femme plutôt que l’homme ; et ce choix a quelque chose de la réconciliation des sexes et d’une normalisation du désir. Difficile aussi de ne pas voir que la relation qu’entretient Johnny avec Ballin n’est pas principalement alimentée par l’intérêt et la misogynie.

Tandis que l’homosexualité de Ballin est assumée, il la couvre en épousant Gilda, de même que son club est une couverture pour le casino, et de même que ce casino est une couverture pour ses affaires dans le monopole du tungstène. Ballin est donc un homme de l’ombre, maléfique, qui vit dans l’illégalité car il enfreint deux lois : la loi anti-trusts et la loi contre le jeu qui est illégal en Argentine comme aux Etats-Unis. Mais ces activités illégales sont présentées comme liées à son désir lui-même explicitement présenté comme pervers et attisé par la haine : sentiment qu’il dit être très excitant, la seule chose qui l’émeut. Il bande - ou plutôt il actionne sa canne - quand Johnny frappe le videur et le met par terre ou quand il sait qu’il va y avoir de la bagarre.

Même si leurs positions changent au cours du film, la relation de Johnny et Ballin n’en est pas moins toujours de l’ordre de la relation maître/esclave. Et bien sûr, Johnny ne trouve l’égalité dans les rapports amoureux qu’auprès de Gilda, pas auprès de Ballin. La nature du rapport entre les deux hommes est donc finalement niée comme telle par le réalisateur lui-même. Dans The Celluloid Closet, Vito Russo cite les propos contradictoires de Glenn Ford et de Vidor : si le premier affirmait que lui et George MacReady savaient qu’ils jouaient des rôles d’homosexuels, le dernier s’en étonna et déclara qu’il ne savait pas qu’ils étaient censés en être [8]. Comme la plupart des homosexuels représentés dans les films hollywoodiens de l’époque - censés ne pas apparaître à l’écran explicitement comme tels du fait du Hays Code qui définissait les règles de la censure - Ballin et George sont représentés comme des personnages « déviants », « crapuleux ».

Ce qui est néanmoins intéressant, c’est que Gilda semble assez peu troublée par l’homosexualité ou la bisexualité de ses deux maris : même si elle est explicitement active dans la « reconversion » de Johnny, elle lutte surtout contre leur désir de domination ; c’est peut-être aussi que son personnage, qui surjoue aussi puissamment le rôle qu’on lui attribue de « femme fatale », fait aussi d’elle un personnage « queer », ou en tout cas pas si « straight » que ça non plus [9]. D’ailleurs, Ballin l’a épousée et admirée aussi, cela n’explique-t-il pas pourquoi celui-ci dit ce que l’on pourrait comprendre de manière très littérale : « My wife doesn’t come into the category of ‘women’  » ? Cette phrase est ambiguë car on peut aussi comprendre littéralement ce qu’il dit en affirmant « Ma femme n’est pas ce qu’on appelle une femme ».

Donc, même si le film met à mal la représentation du désir entre deux hommes, il met aussi à mal la vision « idyllique » de l’homme désirant la femme désirable, et montre celle-ci à la fois comme objet de désir malmené mais aussi comme sujet désirant, actif et créatif, qui s’affirme et s’affranchit de la domination masculine. Le film montre surtout les rapports du désir et du pouvoir indépendamment du sexe ou du genre de ses trois principaux protagonistes, en tous cas pas d’une manière aussi linéaire et simple qu’il n’y paraît. Il est donc déplacé de ne retenir de ce film que la scène montrant Rita Hayworth qui enlève son gant tout en chantant et qui propose de dévoiler son corps pour le plaisir d’un public majoritairement masculin qui l’y encourage, car non seulement tous et toutes n’y sont pas sensibles, mais cette scène n’est surtout qu’un jeu, une performance - explicitement montré et commenté comme tel dans le film - et non pas « une image éternelle de l’essence de la féminité ». Le contexte du jeu et de la comédie carnavalesque ne font que soutenir et renforcer le propos, car au jeu comme sur scène il s’agit de fiction, de triche, on joue avec les règles, les apparences, on fait semblant, on détourne, on dupe, on manipule, on extorque, on trompe. Dans Gilda, tous les personnages se prennent à ce jeu mais un seul s’en empare réellement pour, paradoxalement, affirmer sa sincérité dans cette vaste comédie des sentiments : la femme ! Et elle parvient à faire craquer l’homme et à le remettre à sa place (c’est-à-dire à égalité) car en jouant de ce jeu, en quelque sorte, elle s’humanise à ses yeux et humanise Johnny.

Et pourtant, c’est l’actrice qui en paiera le prix fort dans la vie puisqu’on ne lui fit jamais oublier son rôle. Elle disait même qu’il lui avait gâché ses amours puisque les hommes qui s’endormaient à ses côtés s’endormaient avec Gilda mais se réveillaient avec Rita. Ce qui peut laisser perplexe quant à ce qu’un public, conforté par la suite par l’histoire de la critique cinématographique, peut lire et investir dans certains films qui déconstruisent pourtant les mécanismes mêmes de nos représentations.

Notes

[1Niveau de travestissement supplémentaire : à l’époque, les acteurs qui jouaient le rôle de femmes déguisées en hommes étaient des hommes, il s’agissait donc d’acteurs masculins déguisés en femmes.

[2Many times I’ve whispered- Amado Mio
It was just a phrase, that I heard in plays, I was acting a part
But now when I whisper- Amado Mio
Can’t you tell I care, from the feeling there, for it comes from my heart

(Combien de fois ai-je murmuré « Mon amour » ?/ Avant, ce n’était qu’une phrase que j’avais entendu au théâtre, je ne faisais que jouer un rôle / Mais maintenant, quand je murmure « Mon amour », ne comprends-tu pas que je le dis du fond du cœur  ?)

[3On pourrait même dire qu’il en porte le stigmate puisqu’il est balafré.

[4Virginie Despentes, King Kong Théorie, Grasset, 2006. p.152

[5La première fois qu’on l’entend chanter, la question de Ballin « Are you decent ?  » couvre partiellement le refrain et Gilda répond « Me ? » (Moi ?) précisément au moment où la chanson dit «  Mame  ».

[6Car en anglais le terme « decent  » est beaucoup plus chargé qu’en français : « a decent person » a de bonnes manières, est polie, comme il faut, fréquentable, modeste, chaste, correcte.

[7Cette phrase n’est pas traduite. Dans la version française Obregon dit : « Je n’aimerais pas voir votre vanité l’emporter. » Mais le sens est plus profond : il s’agit de lui dire que sa carapace se brise et qu’il ne peut plus vaincre ses vrais sentiments, que ses émotions le trahissent et que c’est ce qui le rend à nouveau humain.

[8Cités dans The Celluloid Closet, Homosexuality in the movies, Harper &Row, Publishers, New York, 1981. p. 62.

[9Voir à ce sujet, la conclusion de Sylvie Tissot concernant le film de Howard Hawks, Les Hommes préfèrent les Blondes, sur le site lmsi.net