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La mission civilisatrice (Troisième partie)

La théorie de l’assimilation

par Dino Costantini
10 septembre 2008

La spécificité du « génie » colonial français trouve son expression la plus caractéristique dans la théorie de l’assimilation, équivalent colonial de la théorie républicaine de l’intégration.

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 Dans sa théorie de la colonisation, qui demeure un classique de la pensée coloniale malgré les modifications subies, Arthur Girault distinguait trois modèles de colonisation, qu’il plaçait le long d’une ligne d’évolution allant du processus le plus primitif au plus parfait : le premier basé sur l’assujettissement, le deuxième favorisant l’autonomie et le troisième construit sur l’assimilation. L’assujettissement est le modèle de relation le plus primitif et autoritaire. Il est fondé sur la priorité absolue des intérêts de la Métropole. C’est le modèle le plus ancien, désormais inadapté, qui trouve son expression la plus classique dans le « pacte colonial » :

«  Ce contrat léonin, fort connu, fut en somme le régime du commerce colonial jusqu’au XIXe siècle. Il se résume en ces termes : intercourse coloniale réservée au pavillon national ; défense faite aux colons de vendre leurs produits à l’étranger, dans l’intérêt des consommateurs métropolitains ; défense aux colons d’acheter à l’étranger, dans l’intérêt des producteurs nationaux [1]. »

Ce contrat a caractérisé l’aube de l’histoire du colonialisme européen dans le nouveau monde. Selon Arthur Girault, il n’a été pratiqué par les Français que de façon minoritaire, « en raison de la générosité naturelle de notre race [2] ». Les philosophes des Lumières se sont élevés contre ce modèle, par des doctrines qui ont donné lieu aux nouvelles politiques coloniales du XIXe siècle, fondées sur l’idée que la relation coloniale ne peut reposer sur la seule prise en compte des droits et des intérêts de la mère patrie, mais qu’elle doit prendre en compte les besoins et aspirations des colonies.

Ainsi, il contient pour Arthur Girault « une idée saine », « à savoir » :

« la nation qui colonise sème, aussi est-il juste qu’elle récolte [3] ».

L’autonomie est le modèle de relation le plus libéral, qui renvoie directement au caractère pédagogique de l’entreprise coloniale :

« De même que le but de l’éducation est de faire des hommes capables de se conduire eux-mêmes et destinés à sortir de la puissance paternelle à leur majorité, de même le but de la colonisation est de former des sociétés aptes à se gouverner elles-mêmes et à se constituer une fois mûres en États indépendants [4]. »

Le principe de l’autonomie caractérise en particulier la politique coloniale britannique. Lui aussi contient, selon Girault, une idée juste, qui est que personne ne peut mieux veiller à ses propres affaires que l’intéressé, c’est-à-dire le colon. Elle présuppose cependant que la population du territoire dépendant soit homogène. C’est pourquoi elle ne peut fonctionner que dans les colonies de peuplement, où les populations indigènes ont été totalement supplantées par les colons.

L’« assimilation » constitue la voie spécifiquement française de la colonisation, que la France prétend pratiquer depuis le XIXe siècle. Le sens premier d’« assimiler » est de « rendre semblable à ». Pratiquer une politique coloniale ordonnée selon les principes de l’assimilation signifie étendre le principe de l’intégration républicaine au territoire colonial. La politique coloniale vouée à l’assimilation n’a pas en effet comme idéal « la séparation, mais tout au contraire, une union de plus en plus intime entre le territoire colonial et le territoire métropolitain [5] ».

Selon Arthur Girault, elle s’inscrit dans la droite ligne de la tradition républicaine, qui impose de penser la nation dans un sens rigoureusement unitaire. Dans la logique d’une politique d’assimilation, et conformément au principe républicain selon lequel la loi doit être unique et valoir uniformément pour tous les membres de la nation, toutes les lois approuvées par la mère patrie doivent valoir aussi dans les colonies :

« Dans le système de l’assimilation, colons et habitants de la Mère-Patrie sont traités de la même manière, ont les mêmes droits, le même statut [6]. »

Le processus de civilisation sur lequel repose la colonisation passe par l’assimilation des colonies à la mère patrie, instrument nécessaire de la construction patiente et progressive de l’unité du genre humain. La voie de l’assimilation est une voie que le discours colonial reconnaît comme difficile et constellée d’obstacles. Ce sont ces obstacles que nous devons maintenant considérer attentivement.

Quatrième partie : Unité et différences du genre humain

P.-S.

Ce texte est extrait du livre Mission civilisatrice. Le rôle de l’histoire coloniale dans la construction de l’identité politique française, publié par Dino Costantini aux Éditions La Découverte.

Notes

[1A. GIRAULT, Principes de colonisation et de législation coloniale, op. cit., p. 36.

[2Ibidem, p. 31.

[3Ibidem, p. 36.

[4 Ibidem, p. 31.

[5Ibidem, p. 32.

[6Ibidem, p. 35.