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« Certes, mais » : la Poétique de Philippe Val

Itinéraire d’un éditocrate (Deuxième partie)

par Mona Chollet
17 décembre 2009

Philippe Val a mérité ses galons. Il maîtrise à la perfection la technique qui permet tous les verrouillages : celle du « certes, mais ». C’est très facile : il s’agit, lorsqu’on évoque une situation d’injustice ou d’oppression, de concéder rapidement, d’entrée de jeu, ou mieux, dans une incise, au détour d’une phrase, que certes, tout cela est bien triste, avant d’en venir au vrai sujet et d’expliquer en long et en large que, cependant, il y a pire, ou que cela n’est quand même pas aussi grave que les dérapages de certains défenseurs de cette cause.

Première partie : « Démocratie, culture... et dépendances »

Ainsi, on lit dans Reviens, Voltaire… :

« Jamais la colonisation n’a voulu exterminer un peuple comme l’a planifié le nazisme, mais au contraire le garder en vie pour, entre autres choses, l’exploiter, ce qui est ignoble, certes, mais, etc. »

Ou encore :

« Aussi graves que soient les erreurs commises lors des guerres récentes par les États-Unis, elles ne relèvent pas d’une logique coloniale. »

(On admirera au passage l’euphémisme « erreur », pour parler de bombardements, d’occupation et de milliers de victimes civiles)

Ce procédé génial, dont on doit l’invention à Pascal Bruckner, a pour effet de circonscrire les injustices dans le débat public, exactement comme elles sont circonscrites dans la syntaxe du discours que l’on tient à leur sujet. Il permet d’empêcher qu’elles accèdent réellement à la conscience des citoyens, et assure leur perpétuation indéfinie en les mettant à l’abri de toute contestation sérieuse. Par sa perversité, cette rhétorique suscite le désespoir chez beaucoup de ceux qui sont sensibles aux causes concernées, et peut pousser certains d’entre eux à la radicalisation ; si bien qu’elle tend à agir comme une prophétie auto-réalisatrice.

Label démocratique

Dans son zèle à défendre la politique israélienne, Val répète qu’Israël, après tout, est « une démocratie ». « Démocratie », dans sa bouche et sous sa plume, comme pour ses nouveaux amis, ce n’est pas une conquête fragile, nécessitant une vigilance constante, mais une notion quasiment ethnique, une actualisation de ce qu’était le concept de « civilisation » dans la pensée coloniale. Une démocratie, quoi qu’elle fasse, est intrinsèquement vertueuse.

Bizarrement, la protection sociale est elle aussi susceptible de remplir cette fonction magique. À ceux qui, lors du procès des caricatures de Mahomet, ont fait valoir que la publication de ces dessins au Danemark traduisait surtout la dérive raciste de ce pays, Val répond :

« J’aimerais simplement qu’on me prouve que le Danemark, au système social si séduisant, est aussi le pays dont le fascisme serait la spécialité, comme la moutarde à Dijon. »

Peu importe que la presse regorge de reportages sur le climat inquiétant qui y règne [1] : Val persiste à ne voir dans le Danemark que

« le seul pays d’Europe occidentale à avoir refusé de livrer les Juifs aux nazis ».

Concédant tout juste l’existence de « quelques dizaines d’abrutis » néonazis, il argue :

« Toutes les sociétés démocratiques vivent avec des ennemis mortels réfugiés dans les plis de leur tolérance. »  [2]

À ces « quelques dizaines d’abrutis », il faut ajouter, depuis l’automne 2008, Kurt Westergaard, l’auteur de la caricature représentant Mahomet avec une bombe dans son turban, érigée par Charlie Hebdo en symbole des libertés démocratiques : en septembre, ce dessinateur, que Caroline Fourest avait décrit dans les colonnes de l’hebdomadaire comme « plutôt anarchiste », « libertaire », « amoureux des libertés et donc un peu enragé à l’égard des religions », était l’invité vedette du congrès du Parti du peuple danois, classé à l’extrême droite.

Des Arabes analphabètes

Dans la vision du monde de Val, il y a donc d’un côté l’Occident, forcément « démocratique », éclairé et civilisé, et de l’autre les « dictatures », en général arabes. Que les Arabes n’aient pas tous le bon goût de vivre en démocratie est déjà rédhibitoire et dénote, sans surprise, la navrante passivité de l’indigène. Mais en outre, Philippe Val estime que, quand c’est le cas, c’est de la confiture aux cochons : dans ces pays-là, grouillants d’une répugnante populace fanatisée,

« l’illettrisme massif vide de sens les consultations électorales » [3].

Par « illettrisme », il entend sans doute l’incapacité à lire Voltaire et Raphaël Enthoven dans le texte.

Au début de la seconde Intifada, l’éditorialiste déplorait que les Palestiniens ne se conduisent pas « comme des gens civilisés » [4]. Au cours de la guerre du Liban de l’été 2006, il écrivait :

« Si l’on regarde une carte du monde, en allant vers l’est : au-delà des frontières de l’Europe, c’est-à-dire de la Grèce, le monde démocratique s’arrête. On en trouve juste un petit confetti avancé au Moyen-Orient : c’est l’État d’Israël. Après, plus rien, jusqu’au Japon. (…) Entre Tel-Aviv et Tokyo règnent des pouvoirs arbitraires dont la seule manière de se maintenir est d’entretenir, chez des populations illettrées à 80 %, une haine farouche de l’Occident, en tant qu’il est constitué de démocraties. » [5]

Toujours malveillant, le mensuel Le Plan B [6] s’est renseigné : en 2003, selon les Nations unies,

« entre Tel-Aviv et Tokyo, le taux d’illettrisme était de 23 % en Iran, de 9 % en Chine, de 7 % aux Philippines. Et… de 13 % au Liban. Mais c’était avant que les écoles y soient (à nouveau) “frappées” par les amis lettrés de Philippe Val et de Charlie Hebdo ».

Troisième partie : Phil & Robbie, Sister Caro et le spectre de l’islamisation

P.-S.

Ce texte est extrait du livre collectif Les éditocrates, publié par Mona Chollet, Olivier Cyran, Sébastien Fontenelle et Mathias Reymond aux Éditions La Découverte, que nous recommandons vivement.

Notes

[1Voir par exemple : « Il y a quelque chose de raciste au royaume du Danemark », Libération, 13 février 2006.

[2Philippe VAL, Reviens, Voltaire…, op. cit.

[3Reviens Voltaire…

[4Charlie Hebdo, 13 décembre 2000

[5Charlie hebdo, 26 juillet 2006)

[6Octobre 2006