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Courte contribution sur la candidature d’une camarade portant le foulard

Réponse à des questions qui ne devraient pas se poser

par Renaud Cornand
7 février 2010

Le texte qui suit est une contribution écrite par Renaud Cornand, militant du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), en réaction au « débat » – ou plutôt : au délire malsain et nocif – « provoqué » bien involontairement par la candidature d’Ilham Moussaïd dans les grands médias mais aussi, en interne, au sein du NPA.

La question que pose la candidature d’une camarade portant un foulard nous conduit à mener un débat important dans des conditions difficiles. Non pour autant que cette candidature soit précoce, mais plutôt que le lancement des discussions a été trop lent. Chacun en porte une part de responsabilité, et devrait en tirer urgemment une conséquence : dans l’état des choses, aucune voix militante ne doit manquer à une campagne qui se déroule dans un contexte social des plus difficiles, de mouvement social faible, et de débats publics centrés sur l’interrogation autour de la légitimité de la présence sur le territoire français d’une frange de la population, les « musulmans », habillant d’ « exotisme » et internationalisant la lutte des dominants contre les opprimés  [1]

Le débat qui nous occupe ici doit être traité bien différemment de celui qui portait sur l’exclusion de jeunes filles de l’institution scolaire. Ce dernier aurait du être résolu sans difficulté en s’appuyant sur l’obligation scolaire et le droit d’accès au savoir, en soulignant en plus que celles à qui on interdisait cet accès se comptaient majoritairement parmi les fractions dominées de la population. Sans l’obligation scolaire et le droit au savoir, le concept de laïcité est vide de sens. Les apprentis islamologues pensant mettre à jour en quelques regards les motivations qui conduisaient au port de ce foulard faisaient donc fausse route.

Mais la question qui se pose aujourd’hui ne concerne plus la possibilité pour une femme portant le foulard d’accéder à une institution publique, mais celle d’appartenir à une organisation de gauche anticapitaliste. Il est même nécessaire d’élargir un minimum la question pour pouvoir y répondre : un acteur social dont la réflexion se construit notamment en référence avec des valeurs qu’il dit tirer d’un dogme religieux peut-il appartenir au NPA ? Nous partirons ici du postulat que la réponse est positive puisque les statuts du NPA ne revendiquent pas l’athéisme. C’est en réalité la seule question à laquelle nous devons répondre. Puisque les deux autres qui nous préoccupent en découlent : celle de la représentation du parti, et celle de la visibilité de la religiosité.

La question de la représentation du parti au cours d’une campagne qui conduit une candidate ou un candidat à devenir pour un temps porte-parole d’une organisation ne change en effet pas le problème. Chaque membre d’une organisation révolutionnaire, sous réserve qu’il ait accès à une formation, doit pouvoir en devenir le représentant. La proposition inverse conduit inexorablement à assigner certains membres de cette organisation à l’éternel statut de représentés. Ce qui implique dans le même temps que d’autres s’octroient le statut d’éternels représentants.

La question de la visibilité est plus complexe parce qu’elle appelle un complément : la visibilité de quoi ? S’il s’agit de traiter du foulard comme d’un signe extérieur de religiosité, le problème est alors résolu puisque l’on s’est accordé sur l’idée qu’un acteur dont la réflexion s’appuie notamment sur des principes qu’il dit issu d’un dogme religieux pouvait être membre du NPA. La visibilité de cette religiosité ne peut être considérée comme un problème supplémentaire. Avancer l’idée que le port du foulard serait en soi le signe d’une oppression subie par les femmes consiste à nier la diversité des raisons qui conduisent à cette pratique. Les débats sur les exclusions de l’école ont permis la multiplication de travaux sur cette question, et la conclusion que si cette pratique ne concernait que le genre féminin socialement dominé, elle n’en constituait pas l’oppression  [2]

Il est par contre évident que le foulard est un signe de distinction entre les sexes, les femmes étant les seules à porter cet attribut vestimentaire. Mais l’utilisation de cet argument pour interdire à une militante de représenter le NPA ne tient pas à l’analyse, sauf à considérer – ce qui en théorie peut s’entendre – que les distinctions de genre s’inscrivant nécessairement dans un ordre de domination que l’on combat, tous les signes extérieurs d’appartenance genrée doivent être bannis des tenues vestimentaires. C’est à cette seule condition que l’on pourrait suivre l’avis de ceux qui condamnent cette candidature en s’appuyant sur l’argument de visibilité de distinction des sexes.

Il faut donc bien admettre qu’il n’y a aucune argumentation valable qui puisse conduire à écarter la candidature d’une militante portant le foulard, si ce n’est, encore une fois, celle qui consiste à refuser qu’un individu affirmant une croyance religieuse puisse appartenir à une organisation révolutionnaire. De nombreuses autres questions se poseraient tout de même alors : que faire de tous les militants qui croient dans les notions de mérite, d’intelligence, de dons, etc… qui si elles ne nécessitent pas la mobilisation d’une divinité à proprement parler relèvent à mon sens de la pensée magique, et sont au fondement de principes justifiant le maintien d’inégalités ?

Il faut enfin assumer qu’une telle candidature, au cœur d’un nauséabond débat sur l’identité nationale révélant les relents racialisants de la définition de la nation, au moment où les acteurs politiques célèbrent hypocritement la « diversité » pour mieux maintenir la sélection sociale et les discriminations, est un sacré coup de pied dans le cœur de la réaction. Il est difficile de prévoir notre score, mais il semble que nous ayons déjà marqué des points !

P.-S.

Sur l’extravagante inquiétude suscitée, y compris à gauche, par la candidature d’Ilham Moussaïd, on lira également la réponse de Philippe Marlière à Jean-Luc Mélenchon, les commentaires de Sebastien Fontenelle et ceux d’Alain Gresh.

Notes

[1Si l’on ajoute à cela la campagne publique des listes du Front de Gauche tournée vers le deuxième tour, cela fait des listes du NPA les seules en capacité d’exprimer les aspirations populaires, et ce malgré les divergences qui ont pu et peuvent encore exister sur la façon dont s’est déroulée la pré-campagne, notamment en ce qui concerne les démarches pour la constitution de listes unitaires à la gauche du parti socialiste. Il est de notre devoir de tout mettre en œuvre pour que le score des listes du NPA soit le plus haut possible.

[2On peut notamment se reférer à Françoise Gaspard et Fahrad Khosrokhavar, Le foulard et la République, La Découverte, 1995 ; et Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Tevanian, Les filles voilées parlent, La fabrique, 2008