Actrice et féministe : c’est ainsi que les dictionnaires et les encyclopédies désignent Delphine Seyrig et cela lui va bien. Car Delphine Seyrig a été une grande actrice et une grande féministe. Révélée en 1961, après une belle apparition dans Pull My Daisy de Robert Frank [1], par son impressionnante présence dans L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais, puis toujours chez Resnais par son interprétation d’Hélène dans Muriel ou le temps d’un retour – l’un des premiers à évoquer politiquement la question coloniale et son déni – et enfin par un second rôle mémorable dans Baisers volés de François Truffaut, elle impose, au cours des années 60, 70 et 80, dans le cinéma de Marguerite Duras (India Song, Baxter Vera Baxter et Son nom de Venise dans Calcutta désert), de Jacques Demy (Peau d’Âne), de Luis Bunuel (La voix lactée et Le charme discret de la bourgeoisie), de Liliane de Kermadec (Aloïse, Le petit pommier et Qui donc a rêvé ?), d’Agnès Varda (Documenteur), de Chantal Akerman (Jeanne Dielman et Letters Home) et de quelques autres, une silhouette, une voix, un jeu, un ethos qui constituent, avant même qu’elle entre de plein pied dans le champ politique, et notamment dans le combat féministe, une micropolitique [2] aussi radicale qu’élégante, une subversion profonde des stéréotypes et des codes éthico-esthétiques, et en premier lieu un continuel acte de résistance au sexisme – un sexisme aussi dominant dans la grande famille du cinéma que partout ailleurs dans la merveilleuse France des Trente Glorieuses.
En même temps qu’au cinéma et au théâtre, Delphine Seyrig prend part à Mai 68, au mouvement des femmes, au manifeste des 343 pour la liberté d’avorter, à la création du centre d’archives cinématographiques Simone de Beauvoir, et elle réalise, seule ou avec Ioana Wieder et Carole Roussopoulos au sein du collectif Les Insoumuses, plusieurs indispensables films militants – notamment le fantastique Maso et Miso vont en bateau, et Sois belle et tais-toi , dans lequel elle aborde frontalement la question sexiste dans son propre champ d’activité, en donnant la parole à des actrices françaises et nord-américaines. Mais avant même de « passer à la réalisation », Delphine Seyrig aura été féministe par son rapport aux médias, en opposant à une emprise qu’elle qualifiait elle même de policière une distance et, quand il le fallait, un refus opiniâtre de jouer le jeu – notamment en 1970 lors d’un hallucinant entretien d’une demi-heure filmé par Philippe Collin [3], où elle ridiculise pour l’éternité un certain Claude Lanzmann, en opposant à sa goujaterie onctueuse, sa sentencieuse arrogance et ses insistantes questions intrusives, une courtoise mais implacable et joyeuse fin de non-recevoir. Pour cela, pour Marienbad, pour Muriel, pour Peau d’Âne, pour son formidable 45 tours Une fourmi et moi et pour tout ce qu’il reste encore à découvrir à la Cinémathèque française, Delphine Seyrig est inoubliable.
Delphine Seyrig chante Une fourmi et moi
Delphine Seyrig dans Peau d’Âne
Delphine Seyrig dans Baisers volés