Les éditions tahin party ont publié dès leur fondation plusieurs livres contre le spécisme, et le collectif éditorial se perçoit comme une composante du mouvement pour l’égalité animale, lui-même partie d’un mouvement plus large visant à prendre en compte les intérêts des animaux non humains. Nous pensons la lutte pour les animaux dans la continuité des luttes pour l’égalité entre humain-es. C’est donc en tant que défenseurs des animaux que nous tenons à réagir à la campagne d’affichage contre « l’abattage rituel » lancée par la Fondation Brigitte Bardot, l’oeuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir, la Confédération nationale des SPA, la Protection mondiale des animaux de ferme, etc.
Sur une première affiche, représentant une vache :
« Cet animal va être égorgé à vif sans étourdissement et dans de grandes souffrances. C’est ça, un abattage rituel ».
Plus bas, un deuxième texte désigne plus clairement les cibles :
« Les sacrifices Halal et Casher ne doivent pas devenir la norme en France ».
La deuxième affiche représente une petite fille, la peau blanche et les grands yeux gris de l’innocence, dont on nous dit :
« Laura ignore manger Halal ou Casher. Pourtant on lui
impose ».
« 60% des animaux égorgés rituellement, sans étourdissement et dans de grandes
souffrances, se retrouvent sans étiquetage dans vos rayons. »
Selon la loi française, certains animaux sont censés être étourdis avant d’être abattus. Cette loi a pourtant prévu des exceptions, notamment dans le cas où l’étourdissement semblerait contraire à des prescriptions religieuses. C’est contre cette exception particulière que cette campagne
d’affichage est dirigée.
Des rituels bien français et parfaitement capitalistes
Pourtant, et pour ne citer que quelques exemples :
– dans les abattoirs « français », les ratés de l’étourdissement sont légion. Par exemple, on estime à 10% le nombre de lapins qui arrivent à la saignée mal étourdis, voire pleinement conscients ;
– les poulets mangés par les « Français » sont en énorme majorité élevés en batterie, où leurs conditions de vie sont si dures qu’on doit leur épointer le bec pour éviter qu’ils ne s’entretuent ;
– ces mêmes poulets sont envoyés à l’abattoir après un an et demi de calvaire, le transport et la mise à mort se font aussi dans des conditions insupportables ;
– les millions d’animaux tués dans les fermes pour consommation « familiale » ne sont que rarement étourdis ;
– des millions de pigeons et de cailles sont tués de façon atroce par la décompression soudaine dans des « caissons à vide » ;
– les dizaines de millions de poussins mâles surnuméraires (poules pondeuses) sont éliminés en masse (écrasés au rouleau compresseur, etc.) sans qu’il soit question d’étourdissement ;
– la production du foie gras (82 millions de canetons concernés par an, la moitié, les canetons femelles en ce cas, éliminée en masse) implique un gavage qui relève de la torture pour les oies et les canards, mené jusqu’au point où le taux de mortalité exploserait et ferait baisser la rentabilité ;
– le nombre de poissons pêchés échappe à tout le monde, puisque seul le poids est évalué, mais on estime qu’il s’agit de centaines de milliards d’animaux chaque année, et chacun de ces poissons meurt de suffocation, ou de manière pire encore : mutilation par les filets, etc.
Il ne s’agit là que d’exemples. Ils montrent pourtant déjà que la tradition « française » la plus ancrée, le rituel du capitalisme le plus « occidental », produisent une quantité de souffrance animale auprès de laquelle l’abattage rituel judaïque ou musulman semble hélas bien anecdotique.
Le site qui accompagne la campagne d’affichage ajoute la manipulation suivante :
– l’abattage rituel est présenté par des photos sanglantes et une vidéo encore plus explicite ;
– l’abattage avec étourdissement est en revanche présenté par une suite de trois schémas monochromes qui lui enlèvent toute forme de violence.
La viande mangée par les musulmans et les juifs serait donc le fruit de la barbarie, alors que celle que mangent les « bons Français » (bien informés par l’étiquetage revendiqué par cette campagne) serait une viande produite sans douleur, où l’abattage n’a rien d’un meurtre, où le sang est absent. Cette campagne seconde parfaitement la présentation des chairs en barquettes plastique sous cellophane dans la tâche de faire oublier que la « nourriture » qu’on achète a été un animal vivant et sensible.
Une campagne raciste
Dans ces conditions, une campagne d’affichage sur le thème spécifique de « l’abattage rituel » n’a vraisemblablement pas grand chose à voir avec une réelle campagne pour le bien-être animal, mais sans doute bien plus avec un discours de stigmatisation de populations humaines.
Il y a même fort à parier que cette campagne va se révéler contre-productive du point de vue de l’ensemble des animaux massacrés pour leur chair, dans la mesure où focaliser sur des pratiques de populations déjà stigmatisées permet au reste de la population d’atténuer ses scrupules concernant ses propres agissements.
Ces dernières semaines, les médias présentent de nombreuses analyses où les commentateurs montrent que dans les restructurations idéologiques des extrêmes-droites européennes, le musulman a remplacé le juif en tant que corps étranger, barbare et hostile à la nation. Les signataires de cette campagne surfent sur l’antisémitisme le plus classique, allié à l’islamophobie la plus moderne.
Il semble que l’abattage rituel ait été institué jadis pour diminuer les souffrances des animaux tués. Ainsi, les religieux juifs et musulmans semblent en réalité partager avec les signataires de la campagne la préoccupation du bien-être animal. Or, au 21e siècle, où l’on sait très bien comment se nourrir sans viande, le meilleur moyen de diminuer les souffrances des animaux est encore de ne pas les tuer du tout.
Chiche ?