5. " Les jeunes filles de banlieue, dans leur immense majorité, ne portent pas le foulard, et ne veulent pas le porter. Le mouvement "Ni putes ni soumises" l’a montré : elles nous demandent de les soutenir contre ceux qui veulent les forcer à le porter. En affirmant qu’il est interdit à l’école, nous prenons position pour ces jeunes filles, et nous leur apportons notre aide. Au contraire, en acceptant le foulard à l’école, nous les abandonnons aux mains des "barbus" "
Réponse :
Comme précédemment à propos des femmes algériennes, la première remarque qui s’impose est que les jeunes filles des banlieues ne forment pas un groupe homogène. La minorité de jeunes filles " voilées " appartient aussi au groupe des " filles de banlieue ", que cela plaise ou non ; et les autres, celles qui ne portent pas le foulard, n’ont pas toutes la même manière de voir les choses : certaines sont sensibles au sexisme ambiant, d’autres moins ; parmi celles qui y sont le plus sensibles, certaines se reconnaissent dans la manière dont la campagne " Ni putes ni soumises " a posé la question du sexisme, d’autres pas ; enfin, y compris parmi celles qui ont soutenu ou approuvé le mouvement " Ni putes ni soumises ", certaines sont favorables à l’exclusion des élèves "voilées", mais d’autres ne le sont pas ! Ce mouvement " Ni putes ni soumises " n’a d’ailleurs pour le moment pris aucune position sur l’interdiction du foulard dans les écoles, ni contre, ni pour.
Il faut donc en finir avec l’homogénéisation, l’essentialisation et l’instrumentalisation de ce groupe des " jeunes filles de banlieue ". Il faut arrêter de se comporter avec elles comme des ventriloques avec leurs poupées, et accepter de les entendre dans leur diversité. Par ailleurs, il n’est pas certain, loin de là, que cette immense majorité de " non-voilées " soient majoritaires à répondre " oui " à la question " Faut-il exclure des établissements scolaires les élèves qui portent un foulard et refusent de l’enlever en cours ? ". D’après ce que rapportent plusieurs professeurs, la " manière de penser " dominante parmi elles peut se résumer par ces deux phrases :
– " moi, ce n’est pas mon truc "
– " mais laissez les gens faire qu’ils veulent tant qu’ils n’embêtent pas les autres "
Ces témoignages ne suffisent évidemment pas à établir la vérité de ce que pensent " les filles de banlieue " ; il faut plutôt les entendre comme une invitation à la prudence, et comme un pari : et si, avant d’invoquer le soutien unanime des filles " non-voilées " à l’exclusion des " voilées ", on se donnait la peine de mener des enquêtes et de réellement recueillir, dans toute sa diversité, la parole de ces jeunes filles ? Le pari que nous prenons est que, dans cette hypothèse, on découvrirait une réalité complexe, faite de jeunes filles lucides sur le sexisme qu’elles ont à affronter, mais dans le même temps extrêmement réticentes à l’idée de " lâcher " leurs camarades "voilées". Et parmi la diversité des positions exprimées, gageons que la plus rare serait sans doute cet appel au secours en forme d’appel à l’exclusion de leurs camarades, dont tant de militants de l’interdiction du foulard nous parlent avec tellement d’assurance.