6. " Il y a aujourd’hui des filles qui se font violer parce qu’elles ne portent pas le voile. Le port du voile désigne celles qui ne le portent pas comme des " salopes ", tout juste bonnes à se faire violer. Donc accepter le voile à l’école, c’est cautionner ces viols "
Réponse :
Cet argument est extrêmement dangereux. Tout d’abord parce que ce qui est affirmé ne va pas de soi : sur la totalité des viols enregistrés qui aboutissent à un procès, dans combien de cas le violeur a-t-il déclaré avoir violé sa victime " parce qu’ " elle ne portait pas le foulard ?
Ce qui est vrai, c’est que l’idée que les femmes sont " toutes des salopes " est loin d’avoir disparu, en banlieue comme ailleurs, et qu’elle est pour beaucoup dans des passages à l’acte comme le viol. Mais que vient faire le voile dans cette histoire ? Lorsqu’on dit que " le port du foulard désigne celles qui ne le portent pas comme des "salopes", tout juste bonnes à se faire violer ", qu’entend-on par " désignation " ?
Personne ne peut soutenir que les jeunes filles qui portent le foulard approuvent ces viols, et encore moins qu’elles en sont complices (en participant, sciemment, à la désignation des victimes) : sauf exception fort improbable, elles sont tout aussi horrifiées par ces viols que ces camarades sans foulard.
Par conséquent, si les jeunes filles " voilées " ne peuvent pas être tenues pour " complices " du viol, quelle raison a-t-on pour les sanctionner ? Qu’ont-elles à se reprocher qui puisse justifier une exclusion ?
Là est tout le problème : pour sanctionner (et l’exclusion est la plus lourde des sanctions scolaires), il faut qu’une faute ait été commise.
C’est pourquoi, même si l’on admet que le foulard est en lui-même un symbole univoque, forcément synonyme d’oppression des femmes, on ne peut pas tenir très longtemps la comparaison entre l’exclusion des élèves "voilées" et la lutte légitime contre d’autres symboles sexistes, comme ceux de l’imagerie publicitaire. Car, dans le cas de la lutte contre le " publisexisme ", on s’attaque à des images dégradantes, et on peut même aller jusqu’à demander l’interdiction de certaines affiches ou de certains spots publicitaires, ou manifester afin de perturber voire empêcher leur diffusion, mais cette action ne se retourne pas contre les femmes qui se sont prêtées à ces campagnes ; alors que lorsqu’on exclut une élève " voilée ", la mise à l’écart du symbole qui pose problème se paye de la condamnation d’une jeune femme à une très probable mort scolaire, et en tout état de cause à la privation d’un certain nombre d’outils indispensables à son autonomie (des savoirs, des savoirs-faires, et des diplômes ouvrant la possibilité d’un emploi et donc d’une certaine indépendance économique). Décoller une affiche ne cause aucun préjudice à la femme qui a posé sur cette affiche ; " refuser le foulard " en cause un, immense, à la jeune fille qui le porte.
Mais ce qui fait sans doute le mieux ressortir la violence aveugle de cet argument de la " protection des non-voilées ", c’est le parallèle suivant : exclure l’élève " voilée " sous prétexte que ce sont des " non-voilées " qui se font violer, c’est un peu comme si, parce que Samira Bellil explique que ce sont les jeunes filles les plus indépendantes, les plus extraverties ou les plus " libérées " qui sont le plus souvent prises pour victimes [1], on en déduisait que les jeunes filles timides et introverties devaient être renvoyées des établissements scolaires, afin de ne pas cautionner le viol des libérées et des extraverties ! C’est comme si l’on disait : " des filles sont violées parce qu’elles ont voulu relever la tête, donc celles qui baissent la tête désignent les autres comme des " salopes " bonnes pour le viol, et par conséquent on ne peut pas les accepter à l’école. " ! L’absurdité et l’injustice de ce raisonnement sautent aux yeux lorsqu’on prend cet exemple des jeunes filles introverties ; pourquoi n’apparaissent-elles pas aussi facilement lorsque c’est une fille " voilée" qu’il s’agit d’exclure ?