Pour que la revanche de Diane soit complète, il ne faut pas seulement réécrire l’histoire avec Camilla mais aussi se venger d’Adam Kesher et d’Hollywood, l’individu et le système qui lui ont pris ses rêves d’enfant (devenir star) et l’objet de son amour (Camilla). L’opération est ici plus simple : pour Adam Kesher et ses collègues d’Hollywood, Diane n’éprouve que du ressentiment. Il suffit donc de rendre coup pour coup, comme dans un revenge movie – et c’est précisément en puisant dans son imaginaire de cinéphile que Diane va trouver sa vengeance, en inventant trois personnages, ou plutôt en les reproduisant, en faisant revenir trois archétypes hollywoodiens : un cowboy sorti de chez Clint Eastwood ou Sergio Leone, un Parrain sorti de chez Coppola, et un « homme de la rue » dans la veine des films de Frank Capra.
« Le cowboy » fait partie de ces personnages dont Diane ne connaît pas l’identité mais qui, en une seule rencontre, l’ont marquée à vie. La raison en est simple. D’abord parce qu’on n’oublie pas, dans une fête, un invité habillé en cowboy. Ensuite parce que ledit cowboy passe dans le champ de vision de Diane au moment précis où elle est en train de subir sa pire humiliation : Adam Kesher, hilare, annonce son mariage avec Camilla, tandis que celle-ci se laisse embrasser nonchalamment par une inconnue. C’est donc au moment même où se commet l’offense qu’un homme étrange habillé en cowboy passe devant elle – un de ces énergumènes comme on en croise dans les soirées hollywoodiennes (dans La Party de Blake Edwards, par exemple, à laquelle Lynch a peut-être bien pensé). Qu’à cela ne tienne : il sera le justicier.
Quoi de mieux en effet, pour cette fonction, qu’un cowboy solitaire ? Car ce cowboy est bien solitaire : il a certes été invité à la fête d’Adam Kesher mais il se tient à l’écart, il ne fait que passer à l’arrière-plan, sans se joindre au petit cercle de courtisans qui s’est formé autour de la star et du réalisateur en vogue pour assister au spectacle mondain de l’annonce du mariage. Cette distance fait de lui un allié possible dans la guerre que Diane a déclarée au « monde merveilleux d’Hollywood ». Son rôle sera donc d’humilier Adam Kesher et de le remettre à sa place. Impassible, glacial et sentencieux comme un Clint Eastwood de série B, ou comme Henri Fonda chez Sergio Leone, il pourra lui dire enfin ce que Diane aurait tant aimé lui dire à Mulholland Drive : arrête de faire le malin ! Le dialogue complet mérite d’être retranscrit :
« — L’attitude d’un homme détermine en quelque sorte la tournure que va prendre sa vie. Est-ce que tu serais d’accord avec ça ?
— Oui.
— Est-ce que tu me réponds ça parce que tu penses que ça me fait plaisir de l’entendre ou parce que tu es vraiment d’accord ?
— Je suis d’accord avec ce que tu as dit, vraiment.
— Qu’est-ce que j’ai dit ?
— Que l’attitude d’un homme détermine dans une large mesure ce que sera sa vie.
— Donc puisque tu es d’accord, tu dois être le genre de personne qui ne se soucie pas tellement de la belle vie.
— Comment ça ?
— Eh bien arrête-toi deux secondes et réfléchis. Tu peux faire ça pour moi ?
— Ok, je réfléchis !
— Non, tu ne réfléchis pas. Tu es trop occupé à faire le malin. Alors je te demande d’arrêter de faire le malin, et de réfléchir. Tu peux faire ça pour moi ? »