
« Je préfère un excès de caricature à un excès de censure ».
« Je tiens à apporter mon soutien à votre journal qui s’inscrit dans une vieille tradition française, celle de la satire ».
« Il faut défendre le droit de sourire de tout ».
C’est par ces mots qu’au mois de janvier 2007, Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur et candidat déclaré à la présidence de la république, a publiquement apporté son soutien à Charlie Hebdo dans le procès que lui intentaient la Mosquée de Paris et l’UOIF pour avoir publié des dessins racistes (comment, répétons-le, peut-on appeler autrement un dessin qui, représentant le prophète Mahomet lui même coiffé d’une bombe, véhicule l’équation Islam = terrorisme et donc musulman = terroriste potentiel ?). Nous voici donc, à nouveau, en pleine farce.
Une gigantesque farce macabre, sordide, qui provoque autant l’envie de rire que celle de pleurer ou de vomir, tant elle charrie de violence à l’égard des mêmes, toujours les mêmes : ceux qu’il est devenu non seulement légitime, mais spirituel et distingué, de vilipender, injurier et diffamer quasi-quotidiennement depuis quelques années ; ceux qu’il n’est même plus nécessaire de nommer tant leur nom est devenu familier, tant « nous » nous sommes habitués à « eux » dans le role du méchant que nos journaux accusent de mettre en péril la sécurité des biens et des personnes, les acquis du féminisme et ceux de la laïcité, sans oublier la dignité des moutons, la propreté des baignoires et, bien entendu, la liberté d’expression ; ceux qui n’ont accès à aucun grand média pour dire leur désaccord, leur tristesse ou leur colère ; ceux qu’on peut courageusement frapper puisqu’ils sont à terre et désarmés : les musulmans.
Pourquoi une farce ? Les raisons sont multiples, en voici simplement une : l’homme politique qui défend avec autant de lyrisme le droit de « sourire de tout » - et qui, même sur ce sujet, parvient à ethniciser la problématique en faisant du registre satirique « une vieille tradition française » [2] - est l’un de ceux qui a poussé le plus loin la connivence entre la presse, la télévision, l’appareil d’État et les puissances d’argent (cf. Marie Bénilde, « M. Sarkozy déjà couronné par les oligarques des médias ? »), celui qui s’autorise à choisir quel journaliste doit « couvrir » l’UMP sur Europe 1, celui qui a fait limoger le directeur d’un hebdomadaire [3] parce qu’il avait eu le malheur de « sourire » de ses démélés conjugaux [4]. C’est le ministre qui a fait voter une loi punissant de milliers d’euros d’amende et de prison « l’outrage à l’hymne national et au drapeau ». Le droit de sourire de tout connait manifestement des limites...
L’homme qui clame qu’un « excès de caricature » vaut toujours mieux qu’un « excès de censure » est aussi le ministre qui a harcelé judiciairement [5] Hamé, du groupe de rap La Rumeur, coupable à ses yeux d’avoir simplement énoncé un fait : ces dernières décennies, « des centaines de nos frères sont tombés sous les balles de la police sans que leurs assassins ne soient inquiétés ».
Arrêtons nous un instant sur cette dernière affaire. Charlie Hebdo n’a pas publié l’article de Hamé poursuivi par le ministre de l’Intérieur, pourtant d’une toute autre tenue que les « caricatures » islamophobes que l’hebdomadaire s’est empressé de republier en janvier 2006. Étonnant, non, cet attachement gyrovague à la liberté d’expression ? Il est vrai que des caricatures islamophobes s’insèrent plus harmonieusement dans la ligne politique du Charlie Hebdo New Look de Philippe Val qu’une dénonciation des violences et de l’impunité policières. La tendance est même plutot à hurler avec les loups contre les « jeunes de banlieue », et même à lancer des « bien fait ! » haineux sur le cadavre d’un gamin de 17 ans abattu d’une balle policière dans la nuque, comme le fit Cavanna dans un Charlie hebdo de janvier 2002 (cf. Olivier Cyran, « Lettre ouverte à Cavanna, fabricant de haine ») [6] ...