Janvier 2005. Publication du bilan officiel de la loi anti-voile. Au total, le ministère de l’éducation nationale dénombre 48 exclusions par conseil de discipline et « une soixantaine » de démissions, auxquelles viennent s’ajouter les centaines de déscolarisations invisibles, non-comptabilisées (celles des élèves qui ont décidé, avant la rentrée scolaire, de ne pas « tenter leur chance » avec un foulard, et n’ont donc pas été comptabilisées par l’institution). Cf. Une école pour tou-te-s, « Eléments d’un futur, livre noir ».
Février 2005. Nouvelles violences policières en zone d’attente. De très graves allégations de violences policières sont recueillies par l’ANAFE sur le renvoi de quatre Congolais et d’un Camerounais depuis la zone d’attente de Roissy Charles de Gaulle. Avant même d’embarquer dans la camionnette qui devait les conduire jusqu’à l’avion, ces cinq personnes (deux femmes et trois hommes) disent avoir été menottées les bras dans le dos, et ligotées aux chevilles et aux cuisses. Une des deux femmes se serait vu refuser la possibilité d’aller aux toilettes avant ce ligotage. Cette jeune femme affirme avoir subi des violences et des injures de la part d’une policière, qui lui aurait donné des gifles et des coups de pieds avant de lui cogner la tête contre les parois du camion. Une fois arrivée sur le tarmac, elle aurait été soulevée et jetée à terre depuis la camionnette. Comme elle hurlait, les policiers l’auraient dans un premier temps maîtrisée en se jetant sur elle et en s’asseyant sur son dos pour lui maintenir la tête entre leurs jambes, avant de décider de la renvoyer en zone d’attente. Une femme est embarquée dans un avion, collée à son siège et frappée au visage, avant d’être débarquée sur intervention du pilote. Un certificat médical établi par le médecin de la zone d’attente prononce une incapacité totale de travail (au sens pénal) de 15 jours et atteste des nombreuses violences subies par K.M, qu’il a décrite comme « psychologiquement très choquée et physiquement percluse de douleurs de l’ensemble du corps l’empêchant de se lever sans aide de son lit et marchant à très petit pas ».
Février 2005. Vote de la loi dite du « du 23 février » sur « l’œuvre positive de la France Outre mer ». En même temps que des mesures visant à indemniser les Harkis pour le tort que leur a causés la République française, cette loi institue une histoire officielle de la colonisation. Dès l’article 1 de cette loi, « La nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens département français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française ». Quant à l’article 4, il assigne aux manuels scolaire la mission de célébrer « le rôle positif » de cette « œuvre » coloniale. La gauche laisse passer cette loi sans protester (un député communiste saluant même « l’œuvre accomplie sur des terres ingrates »). Un fort mouvement de protestation se construit en revanche assez vite chez les professeurs d’histoire et les chercheurs, mais aussi dans le milieu associatif de l’immigration. La Ligue des droits de l’homme participe également de manière active à la protestation contre cette loi. Cf. le dossier réalisé par la LDH de Toulon.
Février-mars 2005. Lancement de l’« Appel des indigènes de la République ». Ce texte dénonce l’oppression spécifique qui est faite aux immigrés et aux français issus de la l’immigration, souligne la permanence des représentations et des structures sociales discriminatoires héritées de la colonisation, et appelle à la tenue d’Assises de l’anticolonialisme post-colonial, en vue de construire un mouvement autonome des descendants d’esclaves et de colonisés. Bien que le texte s’inscrive clairement dans une perspective plus large de lutte sociale contre toutes les discriminations et toutes les injustices, il suscite assez vite un véritable tollé tant au sein de la gauche qu’au sein de la droite, ainsi que dans l’extrême gauche et le monde associatif.
Les accusations les plus diverses, les plus outrancières et les plus éloignées du contenu réel de l’appel, prolifèrent : l’initiative est qualifiée d’« inopportune », de « diviseuse », de « victimiste », on lui reproche d’être « culpabilisatrice », « communautariste », mais aussi « anti-laïque », « anti-féministe », « raciste anti-blancs », et même de « banaliser la Shoah » et de semer la « guerre ethnique ». Dans Charlie Hebdo du 16 mars, Gaston Kelman dénigre les initiateurs de cet appel en les qualifiant d’ « aigris de tous bords ». L’entretien est joliment intitulé : « Je suis noir, je n’aime pas le manioc et je ne suis pas un indigène de la république ». Une sélection des réactions les plus bêtes et méchantes - celles de Marianne, Le Nouvel Observateur, Charlie Hebdo, Respublica, Libération, Le Figaro, Rouge (organe de la LCR) et Lutte Ouvrière (organe du parti du même nom) - figurent sur le site des « Indigènes de la République » dans la rubrique « Ils ne nous aiment pas ». Cf. aussi Alix Héricord, Sadri Khiari et Laurent Lévy, « Indigènes de la république : réponse à quelques objections » et Laurent Lévy, « Une voix de trop. Quand l’avant-garde révolutionnaire sermonne les indigènes ». Cf. aussi Karim Ramadan, « Lettre ouverte d’un anarchiste indigène à un anarcho-colon ».
Mars 2005. « Affaire Dieudonné ». Des propos tenus par l’humoriste Dieudonné lors d’une conférence de presse à Alger en mars 2005 suscitent un tollé médiatique. Mélangeant dans la plus grande confusion la dénonciation de la non-reconnaissance de l’esclavage, la solidarité avec le peuple palestinien et des allusions douteuses sur les Juifs, leur prétention d’être un « Peuple élu » et leur rapport au « Dieu Argent », ces propos sont pourtant condamnés pour une autre formule : l’humoriste dénonce la commémoration du 60ème anniversaire de la libération des camps de concentration comme de la « pornographie mémorielle ». L’affaire est surmédiatisée (elle fait par exemple la « Une » du Monde) et suscite une surenchère dans les réactions (Patrick Klugman, vice-président de SOS Racisme, qualifie Dieudonné de « Le Pen bis » tandis que Harlem Désir, ancien président de SOS Racisme, membre du Parti Socialiste, en fait « un des plus grands antisémites de France ». Au même moment, Alain Finkielkraut s’en prend aux « victimes antillaises de l’esclavage, qui vivent aujourd’hui de l’assistance de la métropole ». [1]. Les propos provoquent un tollé sur les sites internet « afro-antillais », qui n’a d’égal que le silence total des grands médias. Cf. Pierre Tevanian, « Un négationnisme respectable.
Mars 2005. Manifestations lycéennes, agressions par des « casseurs » et lancement d’un appel contre le « racisme anti-blancs ». À l’occasion de manifestations lycéennes, des violents affrontements ont lieu entre des manifestants majoritairement blancs et des bandes de jeunes majoritairement noirs, venus pour voler des téléphones portables. Un article de Luc Bronner dans Le Monde propose une analyse des faits en termes ethniques, et parle même de « racisme anti-blancs ». Cette analyse est reprise dans plusieurs journaux, dont l’hebdomadaire Marianne, qui qualifie les groupes de « casseurs » de « tribus » et les compare à des « criquets ». Un appel est lancé par des animateurs de Radio Shalom, qui va jusqu’à qualifier les faits de « ratonades anti-blancs » (le 12 mai 2005 dans Le Point, Alain Finkielkraut parlera aussi d’un « lien sans précédent entre judéophobie et francophobie »). Il est signé par Elie Chouraqui, Chahdortt Djavann, Alain Finkielkraut, Jacques Julliard, Bernard Kouchner et Pierre-André Taguieff. Au cours des manifestations suivantes, le Service d’Ordre assuré par des organisations syndicales bloque l’accès du cortège à tous les jeunes noirs et arabes porteurs de sweatshirts à capuche. Cf. Julien Salingue, « Quelques remarques sur les manifestations lycéennes et le prétendu “racisme anti-blancs” » et Sadri Khiari, « Y a-t-il un “racisme anti-blanc” ? ».
Avril 2005. Lancement du mouvement « Devoirs de mémoire ». Lancé par Olivier Besancenot, Joey Starr et Jean-Claude Tchicaya, ce mouvement organise des « rencontres-débat » autour du passé colonial et esclavagiste de la France. L’initiative sera médiatisée avant de retomber assez vite dans l’oubli. Quelques mois plus tard, au moment des « émeutes de novembre », le collectif organisera des débats « en banlieue » afin d’inciter les « jeunes » à s’inscrire sur les listes électorales.
Mai 2005. Marche des « Indigènes de la république ». Boycottée par la quasi-totalité des partis et associations de gauche à l’exception des JCR et des Verts, la Marche rassemble plusieurs milliers de personnes. Encouragés par ce premier succès, les initiateurs de l’Appel des indigènes réunissent une Assemble générale des signataires et décident de la constitution d’un Mouvement des indigènes de la république.
Mai 2005. Victoire du « non » au référendum sur le Projet de Traité Constitutionnel Européen. Alors que toutes les enquêtes « sortie des urnes » indiquent que le « non » a été un vote de classe (représentant 80% des électeurs chômeurs, ouvriers et employés) et que la principale motivation de ce vote a été « le refus du libéralisme et de la précarité », de nombreux commentateurs autorisés, furieux de la défaite du « Oui », qualifient les « non-istes » de « xénophobes » et comparent la victoire du « non » à la victoire du Front National le 21 avril 2002. Cf. Pierre Tevanian, « Le 21 avril : usages et mésusages » et Collectif Les mots sont importants, « Un “cri de douleur” de Serge July ».
Mai 2005. « Affaire Malek Boutih ». Le dirigeant socialiste rédige un rapport sur l’immigration, qui puise son inspiration dans le programme de la droite et même de l’extrême droite. Il préconise notamment une gestion utilitariste de l’immigration fondée sur des quotas, de nouvelles restrictions du droit au regroupement familial, et la suppression du droit à la double nationalité. Ce rapport suscite un tollé jusqu’au sein du PS, au point qu’il est immédiatement enterré, même si l’essentiel a « filtré » dans la presse (notamment dans L’Express). Seule Marine Le Pen félicite Malek Boutih. Ce dernier déclare au même moment : « Moi, je dis qu’il y a des parents qui sacrifient, un peu, l’avenir de leurs enfants. Je l’ai vu de mes propres yeux. Je vais dire ce que je pense : quand je vois des parents économiser tout leur argent, tous leurs moyens, pour aller construire un certain visage... une certaine image au bled. » Un an plus tard, Malek Boutih défendra, au sein du PS, une ligne « dure » sur l’immigration, en soutenant notamment les restrictions apportées par la loi Sarkozy au regroupement familial. Cf. Vincent Geisser, « Malek Le Pen ou Jean-Marie Boutih ? ».
Mai-juin 2005. « Affaires » de Perpignan et de La Courneuve, et déclarations racistes de Nicolas Sarkozy : « le karcher » et « les voyous vont disparaître ». À la suite d’une rixe qui se conclut par un meurtre, des affrontements ont lieu à Perpignan entre jeunes d’origine maghrébine et jeunes tziganes. Nicolas Sarkozy se rend sur place et déclare : Sarkozy : « Mon travail, c’est de débarrasser la France des voyous, et je ne vais pas me gêner ! ».
Puis, à l’occasion de la mort d’un enfant, atteint par une balle perdue lors d’une fusillade entre bandes à La Courneuve, le ministre déclare qu’il compte « nettoyer au Karcher » la cité des 4000, où a eu lieu la fusillade. « Les voyous vont disparaître », ajoute le ministre.
Juin 2005. Nouvelles discriminations à l’encontre des « mamans voilées ». À Echirolles, des mères voilées sont à nouveau interdites de sorties scolaires. Le proviseur va à nouveau à l’encontre de son inspecteur d’académie, qui déclare à l’AFP que la loi de 2004 sur la laïcité ne s’applique qu’aux personnels payés par l’éducation nationale : « On demande seulement aux bénévoles d’avoir une tenue correcte et de respecter en parole leur devoir de neutralité, ce qui signifie que ces femmes ont le droit de venir avec leur voile ». Le directeur de l’école lui oppose une circulaire expliquant que les directeurs d’école ont « le devoir de s’assurer des qualités morales et laïques des intervenants »...
Juin 2005. « Affaire Pétré-Grenouilleau ». Dans un entretien paru dans Le Journal du Dimanche le 12 juin 2005, en réponse à une question sur « l’antisémitisme véhiculé par Dieudonné », l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau tient ces propos extrêmement confus : « Cela dépasse le cas Dieudonné. C’est aussi le problème de la loi Taubira qui considère la traite des Noirs par les Européens comme un crime contre l’humanité, incluant de ce fait une comparaison avec la Shoah. » Cette mise en cause du qualificatif de « crime contre l’humanité » suscite une grande colère et amène le Collectif des Antillais et Guyannais à porter plainte. La grande presse apporte un soutien unanime à l’historien, au nom du refus de la « judiciarisation » des débats historiques, idéologiques ou politiques, mais aussi sur la base d’une contre-vérité : plusieurs journalistes prétendent que l’historien est attaqué pour avoir osé mentionner dans son dernier livre l’existence d’une Traite arabe et d’une Traite intra-africaine, ce qui est inexact [2] Sur les thèses, tout à fait critiquables, d’Olivier Pétré-Grenouilleau, et leur accueil médiatique dithyrambique, cf. Marcel Dorigny, « Traites négrières et esclavage : les enjeux d’un livre récent ».
Juillet 2005. Déclarations islamophobes de Philippe de Villiers. Interviewé par Claire Chazal au cours du journal de TF1, le député européen déclare que « la Troisième Guerre mondiale est déclarée » et ajoute que « la France ne peut assister impuissamment à son islamisation progressive ». Il affirme que « l’islam est le terreau de l’islamisme, et l’islamisme le terreau du terrorisme », et préconise la mise en place d’une Garde nationale ayant pour but de « rétablir les frontières françaises » et de contrôler les « quartiers islamistes » et les mosquées. Ces propos suscitent assez peu de réactions dans la classe politique.
Juillet 2005. Attaques de Nicolas Sarkozy contre l’accès aux soins des sans-papiers. Dans une interview publiée par Le Figaro, Nicolas Sarkozy déclare : « Aujourd’hui, un étranger en situation irrégulière a plus de droits aux soins gratuits qu’un smicard qui paie ses cotisations, ce n’est pas acceptable ! ».
Août-septembre 2005. Incendie mortel dans un immeuble insalubre occupé par des familles africaines. 17 personnes y trouvent la mort. Alors que l’enquête sur les causes directes de l’incendie a à peine commencé, que la crise du logement social est telle que des centaines de milliers de dossiers sont en attente dans la région parisienne, que les organismes officiels eux-mêmes reconnaissent l’existence de discriminations dans l’accès au logement, le ministre de l’intérieur préfère l’explication suivante : « La difficulté, c’est que tout un tas de gens, qui n’ont pas de papiers pour certains, s’amassent à Paris, et qu’il n’y a pas de conditions pour les loger ». Les familles victimes sont en réalité en situation régulière et, pour certaines, en attente d’un logement décent depuis plus de 15 ans. Très peu de médias songent alors à rappeler que Nicolas Sarkozy est maire d’une commune qui s’est toujours refusée à construire des logements sociaux.
Septembre 2005. Publication du Bilan officiel de la loi anti-voile, rédigé par Hanifa Chérifi. Ce fascicule de 50 pages constitue la seule « évaluation » de la loi. Il se borne à constater la disparition des voiles dans les écoles et en conclut que le bilan de la loi est positif. Il fait toutefois état de 48 exclusions par conseil de discipline, ainsi que d’une soixantaine de démissions. Aucune évaluation n’est proposée en revanche en ce qui concerne l’« exclusion invisible » des élèves qui ont renoncé à faire leur rentrée scolaire. Ce nombre est pourtant estimé à « plusieurs centaines » par le collectif Une école pour tou-te-s, qui publie au même moment son propre bilan : « Éléments d’un futur livre noir ».
Septembre 2005. Remise en cause du droit du sol par François Baroin. Dans un entretien daté du 17 septembre 2005, qui se veut « sans langue de bois » et prétend « faire bouger les lignes et sortir des tabous », le ministre de l’Outre-Mer remet en cause le droit du sol, c’est-à-dire l’automaticité de l’accès à la nationalité française pour tout enfant né sur le sol français (à 18 ans en l’état actuel de la législation). Ce retour à la conception vichyste de la nationalité (seul moment où le droit du sol a été aboli) suscite un tollé dans le monde associatif, mais assez peu de réactions dans la classe politique. Le socialiste Jean-Marie Bockel déclare même ne pas être choqué, et appelle à « trouver de nouvelles réponses sans aucun tabou ».
Septembre 2005. Nouvelle vague de déclarations islamophobes (Philippe de Villiers, Maurice G. Dantec). Le dirigeant du Mouvement pour la France réitère ses appels au combat contre « l’islamisation de la France ». Le MRAP, qui avait déjà réagi aux premières sorties islamophobes du député, dépose une plainte pour incitation à la haine raciale. Au même moment, le romancier Maurice G. Dantec est invité sur tous les plateaux de télévision, (« Tout le monde en parle », « Campus », « Cultures et dépendances »), et il y exprime une islamophobie primaire et viscérale. L’écrivain, qui avait déjà défrayé la chronique en janvier 2004 en publiant des lettres ouvertes au « Bloc identitaire » exprimant un profond racisme anti-musulman, continuera d’être invité à la télévision à de nombreuses reprises, malgré des propos d’une rare violence : l’écrivain répète qu’il s’est exilé au Canada pour fuir « l’Eurabie » et « protéger sa femme et sa fille » des « rats » et autres « bêtes sauvages des banlieues ». En 2007, Dantec se prononcera, pour l’élection présidentielle, en faveur du candidat... Philippe de Villiers.
Octobre 2005. Publication du Rapport Bénisti sur la prévention de la délinquance. Dénoncé comme un texte atterrant par tous les acteurs de la prévention de la délinquance, ce rapport rédigé par le député UMP Jacques-Alain Bénisti, propose une explication ethniciste de la délinquance de rue. Il incrimine notamment les mères africaines qui ont le tort de ne pas parler le français chez elles, et de provoquer ainsi le décrochage scolaire et la marginalisation de leurs enfants. Il préconise un dépistage précoce de la délinquance, et des mesures de contrôle et de pression pour contraindre les parents étrangers à parler le français chez eux. Il concède que l’amélioration des conditions d’existence est centrale, mais aucune préconisation n’est proposée dans ce domaine. Il préconise en revanche le développement de « scolarités alternatives » qui permettent un éloignement des élèves « décrocheurs » et turbulents et une orientation rapide (avant 16 ans) vers des métiers manuels en fonction des besoins de main-d’œuvre du marché du travail. Le rapport préconise enfin la levée du secret professionnel entre les institutions d’action sociale et les institutions judiciaires, sous « le contrôle » du maire. Cette dernière mesure déclanche un tollé chez les éducateurs, qui dénoncent une atteinte à leur métier, et une mise sous tutelle policière du travail social. Cf. le site de la LDH de Toulon.
Octobre 2005. Déclarations de Nicolas Sarkozy sur « la racaille ». En visite à Argenteuil pour promouvoir sa politique de « lutte contre l’insécurité », le ministre de l’intérieur est pris à partie par des jeunes du quartiers, qui se mettent à le siffler et à lui jeter des bouteilles en plastique. Il réagit alors en déclarant : « Vous en avez assez, hein ? Vous en avez assez de cette bande de racailles ? Eh ben on va vous en débarrasser ! ». Cette déclaration suscite un tollé dans le milieu associatif issu de l’immigration et des quartiers populaires. Cf. Raphaël Boutin, Le mythe de la racaille. Etude politique de l’emploi du mot « racaille » dans le processus de construction des nouvelles classes dangereuses et de mythification de la figure du « jeune de banlieue », Mémoire de fin d’études soutenu à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon II sous la direction de Denis Barbet, Août 2006.
Octobre-Novembre 2005. « Affaire de Clichy », « Émeutes de novembre » et instauration de l’« État d’urgence ». Le 27 octobre, une révolte éclate à Clichy sous Bois suite à la mort de Zyed Benna (17 ans) et Bouna Traoré (15 ans) . Les deux adolescents sont morts par électrocution dans l’enceinte d’un poste électrique alors qu’ils sont poursuivis par la police. La colère monte aussi en réaction à la désinvolture voire aux provocations des autorités face à cette mort. Nicolas Sarkozy déclare que les deux jeunes étaient impliqués dans un cambriolage, ce qui s’avère mensonger ; une grenade à gaz lacrymogène ayant appartenu aux forces de l’ordre est lancée aux bords de la mosquée où se sont réunis les proches des deux morts. Des émeutes ont lieu pendant cinq nuits à Clichy-sous-Bois ? Cf. Antoine Germa, « Zone de non-droit ou zone d’injustice ? »).
Les émeutes s’étendent rapidement aux villes voisines, puis au reste de la France à partir du 1er novembre. Pendant deux semaines, des affrontements ont lieu entre la police et des habitants, et des voitures ou du « mobilier urbain » sont détruits ou brûlés. Quelques agressions contre des personnes ont également lieu, et sont utilisées pour disqualifier l’ensemble du mouvement de révolte. Loin d’apaiser la situation, Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin multiplient les provocations, en couvrant la police et en diffamant les émeutiers, qu’ils assimilent à des délinquants organisés, « bien connus des services de police », et qui ne « reculent devant aucun moyen » pour « marquer leur territoire » et y poursuivre leurs « trafics ». Cette lecture devient hégémonique à droite, accompagnée de déclarations viriles et belliqueuses : Jacques Myard (député UMP) appelle à « mettre au pas », à l’aide de « bataillons disciplinaires », les « ghettos racistes anti-français » [3]. Seul Azouz Begag, secrétaire d’État à l’égalité des chances, critique ce registre guerrier, ce qui lui vaut d’être vivement rappelé à l’ordre par son camp, notamment par Pierre Goujon, président de l’UMP parisienne, qui lui demande publiquement s’il « soutient la racaille »...
La quasi-totalité des responsables de gauche condamne « la violence » des émeutiers davantage que la misère sociale, les abus policiers et les provocations politiques qui les ont déclanchées. Seuls les Verts, l’extrême-gauche, des associations comme le MRAP ou la LDH, et surtout des travailleurs sociaux ou de « simples habitants » des banlieues populaires (ainsi que le footballeur Lilian Thuram) tiennent dans les médias un discours sensiblement différent, centré sur l’injustice sociale plutôt que sur « l’ordre public ». Un consensus se forme assez vite, y compris au PCF, pour opposer la « minorité » violente des émeutiers et « l’immense majorité de la population », qui « n’aspire qu’à vivre dans la tranquillité », et qui est donc désignée implicitement comme non-solidaire des émeutiers - une vision que de nombreux observateurs contesteront, en soulignant le fort soutien (ou tout au moins la compréhension) dont bénéficient les émeutiers dans leurs quartiers. Les socialistes se détournent du social, pour privilégier une approche sécuritaire et morale : dénonciation de la violence des émeutiers, et proposition (par la voix de Ségolène Royal et Jean Glavany notamment) d’un « service civique obligatoire », afin que les jeunes fassent l’apprentissage « de la citoyenneté et du civisme ». Le PS refuse aussi de se joindre aux appels à la démission de Nicolas Sarkozy qui émanent du monde associatif et de la société civile : « Ce serait donner raison aux casseurs », explique Julien Dray. Le maire communiste de Vaulx en Velin, Maurice Charrier, manifestement amnésique sur des épisodes comme la Commune ou la révolte des canuts, déclare : « Ces jeunes qui brûlent des voitures n’ont rien à voir avec les formes historiques de la révolution » [4]. Quant à Maxime Gremetz, également communiste, il est catégorique : « Il faut sévir » [5].
Et de fait, on va sévir : le 4 novembre, Marine Le Pen demande le recours à un décret de 1955 (élaboré pour réprimer le soulèvement de l’Algérie) afin d’instaurer « l’état d’urgence » ; sa proposition est adoptée dès le lendemain, et votée sans que le Parti socialiste s’y oppose. Cinq départements décrètent l’état d’urgence ; et une trentaine de maires décrètent des couvre-feux sont sur le territoire de leur commune. Le 9 novembre, quelques rassemblements ont lieu contre l’état d’urgence, qui ne regroupent que la LDH, le MRAP, les associations « issues de l’immigration » et l’extrême gauche. De même, un Appel à l’amnistie des émeutiers, lancé par des associations comme Divercité, Les Indigènes de la République, À toutes les victimes puis le MRAP, ne reçoit aucun soutien des grands partis de gauche. Cf. François Athané, « Ne laissons pas punir les pauvres ! », et Laurent Lévy, « Les étudiants et la racaille, À propos de l’exigence d’amnistie et de la hiérarchie des évidences ».
Malgré des comptes-rendus des RG qui soulignent l’absence d’orchestration religieuse ou maffieuse, et des juges qui soulignent que très peu des émeutiers inculpés ont un passé de « délinquant », Nicolas Sarkozy choisit de criminaliser le mouvement de révolte : « La vérité, c’est que la première cause d’exclusion dans nos quartiers, c’est qu’il y a des délinquants et des voyous qui font régner la terreur. Et c’est bien eux auxquels les services de police ont eu affaire. Et c’est d’eux dont il faut débarrasser les quartiers. » [6]. Michèle Alliot-Marie s’inscrit dans cette logique de criminalisation de la révolte en dénonçant, toujours sans l’ombre d’une preuve, les « trafiquants de drogue » qui sont selon elle à l’origine des émeutes. Une étude publiée par les sociologues Laurent Mucchielli et Aurore Delon un an plus tard établira pourtant que seuls 34% des émeutiers interpellés étaient récidivistes (et non « multi-récidivistes ») .
Le 9 novembre, le ministre de la Justice Pascal Clément entérine cette lecture strictement « sécuritaire » et déclare avoir donné des « instructions » à tous les procureurs afin qu’ils prononcent « les peines les plus fermes » [7]. Il s’agit, explique le ministre, d’adresser « un message clair », « aux Français d’une part, aux délinquants d’autre part ». Le « message clair » que véhicule cette phrase est que les émeutiers, rebaptisés « délinquants », ne font pas partie des « Français ». Le même jour, Nicolas Sarkozy s’inscrit lui aussi dans ce registre xénophobe, en appelant publiquement les préfets à « expulser immédiatement » les émeutiers étrangers (réactivant ainsi la logique de la « double peine » qu’il se vante pourtant régulièrement d’avoir « supprimée »). Le PCF proteste contre cette mesure, ce que ne font ni le PS ni les partis d’extrême gauche.
Très rapidement, les lectures xénophobes ou racistes se multiplient. Les mardi 15 et mercredi 16 novembre 2005, le ministre délégué à l’emploi, Gérard Larcher, et le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, affirment que la polygamie constitue l’une des causes des « violences urbaines ». Nicolas Sarkozy renchérit, le 17 novembre dans L’Express : « La plupart de ces émeutiers sont français. Mais disons les choses comme elles sont : la polygamie et l’acculturation d’un certain nombre de familles font qu’il est plus difficile d’intégrer un jeune originaire d’Afrique qu’un jeune français d’une autre origine ». D’autres, de Philippe de Villiers à la « Gauche républicaine » (par le biais de son organe, le site « Respublica »), incriminent, comme ils en ont l’habitude, l’Islam ou « l’islamisme » - alors même que rien ne permet de l’avancer, que l’UOIF (Union des Organisations Islamiques de France) a promulgué une « fatwa » décrétant les dégradations de biens anti-islamiques et appelant les émeutiers de confession musulmane à rentrer chez eux, et que ladite « fatwa » n’a eu aucun effet... (Une étude menée par le sociologue Patrick Haenni pour l’International Crisis Group confirmera, quelques mois plus tard, que la révolte a été sociale, et qu’aucune organisation musulmane n’a eu un quelconque rôle incitateur dans son déclanchement ou son extension). Quant à Azouz Begag, s’il tente d’adopter une posture moins guerrière que ses collègues de l’UMP, il cède lui aussi à la tentation de la « dénaturalisation symbolique », en renvoyant les émeutiers à leurs origines étrangères et en les invitant à « aller visiter leurs pays d’origine, pour voir ce que c’est que la véritable misère » [8].
– Pour une chronologie plus complète des événements, et des analyses reconnaissant pleinement le caractère politique de la révolte de novembre, cf. le livre collectif Une révolte en toute logique, paru aux Éditions Divergences en 2006.
– Pour un panorama complet des réactions de la classe politique, cf. Véronique Le Goaziou, « La classe politique et les émeutes : une victoire de plus pour l’extrême droite », in Laurent Mucchielli et Véronique Le Goaziou, Quand les banlieues brûlent, La Découverte, 2006.
– Sur le traitement médiatique de ces émeutes, cf. Collectif Les mots sont importants, « État de l’opinion ou opinion de l’État ? », ainsi que l’excellent documentaire de Christophe-Emmanuel Del Debbio, « Banlieues : sous le feu des médias ».
Novembre 2005. Croisade UMP contre le rap. À l’initiative de François Grosdidier, 52 parlementaires UMP présentent une proposition de loi visant à interdire les textes de rap incitant à la violence. L’initiative est médiatisée, mais se révèle un échec cuisant. Invité à la télévision et à la radio pour des face-à-face avec des rappeurs, le député se fait ridiculiser.
Novembre 2005. Fondation du CRAN : Conseil Représentatif des Associations Noires. Regroupant une soixantaine d’associations, et rassemblant des intellectuels, des personnalités médiatiques ou des militants politiques de tous bords (notamment UDF, PS et Verts) ce rassemblement, conçu sur le modèle du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions juives de France), assume son rôle de lobby et ses prétentions à être un interlocuteur de l’Etat.
Novembre-Décembre 2005. « Affaire Finkielkraut ». Après avoir qualifié les émeutes de novembre de « pogrom anti-républicain », Alain Finkielkraut tient dans le quotidien israélien Haaretz des propos qui déclenchent une importante polémique. Alain Finkielkraut qualifie notamment les émeutes de phénomène « ethnico-religieux. » Il déplore également : « On enseigne à aujourd’hui l’histoire coloniale comme une histoire uniquement négative. On n’enseigne plus que le projet colonial voulait aussi éduquer, apporter la civilisation aux sauvages. On ne parle que des tentatives d’exploitation, de domination, et de pillage (...) Ce n’était pas un crime contre l’humanité parce que ce n’était pas seulement un crime. C’était quelque chose d’ambivalent. Ainsi en est-il également de l’esclavage. Il a commencé bien avant l’Occident (...) Je suis né à Paris et suis le fils d’immigrants polonais, mon père a été déporté de France, ses parents ont été déportés et assassinés à Auschwitz, mon père est rentré d’Auschwitz en France. Ce pays mérite notre haine. Ce qu’il a fait à mes parents était beaucoup plus brutal que ce qu’il a fait aux Africains. Qu’a-t-il fait aux Africains ? Il n’a fait que du bien. » Alain Finkielkraut ironise également à propos de la composition « black-black-black » de l’équipe de France de football (en disant qu’elle « fait ricaner toute l’Europe »).
Le MRAP annonce qu’il porte plainte, avant de se rétracter. Une protestation importante s’exprime, qui ira jusqu’à des mobilisations contre la venue d’Alain Finkielkraut dans des colloques. Plusieurs journalistes et intellectuels (Philippe Raynaud, Pierre-André Taguieff, Pascal Bruckner ; Elisabeth Lévy) prennent toutefois la défense de l’essayiste. Elisabeth Badinter paraphrase une chanson de Guy Béart : Finkielkraut « doit être exécuté » parce qu’il a « dit la vérité »... Le 4 décembre, Nicolas Sarkozy déclare sur RTL et LCI qu’« Alain Finkielkraut fait honneur à l’intelligence française » et que « s’il y a tant de personnes qui le critiquent, c’est peut-être parce qu’il dit des choses justes ». Ceux qui dénoncent le racisme de Finkielkraut sont des « bien-pensants qui vivent dans un salon entre le café de Flore et le boulevard Saint-Germain », ajoute le ministre, par ailleurs Maire de Neuilly. Quant à Pascal Bruckner, il écrit dans Le Figaro : « Alain Finkielkraut joue, dans le monde intellectuel, le même rôle que Sarkozy dans le monde politique : il est le détonateur, celui qui donne un coup de pied dans la fourmilière des endormis. Je préfère mille fois ses outrances aux radotages du politiquement correct qui font, depuis vingt ans, le jeu du Front national. J’invite tous les esprits libres, quels que soient leurs désaccords par ailleurs, à le soutenir face à la tyrannie de minorités totalitaires porteuses d’un antisémitisme abject et d’une intolérance repeinte aux couleurs du progressisme. ». Cf. Collectif Les mots sont importants, « Finkielkraut n’est qu’un symptôme » et Henri Maler, « Les prédications d’Alain Finkielkraut : « Mon savoir absolu sur les quartiers populaires ».
Novembre-Décembre 2005. Intensification du mouvement contre la loi du 23 février 2005, et manifestations contre la venue de Nicolas Sarkozy aux Antilles. Le ministre est obligé d’annuler sa visite. Invité le 7 décembre au journal télévisé de France 3, le ministre de l’Intérieur dénonce comme « ridicule » « cette repentance permanente qui fait qu’il faudrait s’excuser de l’histoire de France », il déplore qu’on pas réduise Napoléon aux « aspects négatifs de son action », et conclut : « Laissons les historiens faire ce travail de mémoire, et arrêtons de voter sans arrêt des lois pour revenir sur un passé revisité à l’aune des idées politiques d’aujourd’hui, c’est le bon sens... ». Le 12 décembre, Azouz Begag, ministre délégué à l’égalité des chances, se prononce pour l’abrogation de l’article 4 de la loi ; il est vite « remis à sa place » par le député UMP Lionnel Luca, qui déclare que sans la colonisation, Azouz Begag ne serait pas ministre. Dans un sondage publié au mois de novembre, 65% des français (et 57% des Français de gauche et d’extrême gauche) se déclarent favorables à cette loi, contre 29% qui s’y déclarent opposés. Le mouvement de contestation grandit toutefois, une pétition commence à recueillir des milliers de signatures et une manifestation se prépare. Jacques Chirac intervient alors pour « apaiser » la situation en proposant la suppression de l’article 4 de cette loi, consacré aux programmes scolaires.
Cette suppression aura lieu le 31 janvier 2006, tandis que l’article 1, valorisant la colonisation sous le nom d’« œuvre », sera maintenu. Sur cette abrogation très partielle, cf. le dossier de la LDH de Toulon et le communiqué des Indigènes de la République, « Nous remercions la France de nous avoir colonisés ! » .