Accueil > Études de cas > Racismes et xénophobies > Chronique du racisme républicain (2002-2007) > Chronique du racisme républicain (Première partie)

Chronique du racisme républicain (Première partie)

L’année 2002

par Collectif Les mots sont importants
26 avril 2007

Notre contribution à la campagne présidentielle est un simple rappel historique de ce qui s’est passé, sur le terrain du racisme et des politiques d’immigration, entre 2002 et 2007, au cours du second mandat de Jacques Chirac, dominé par la figure et l’activité législative de Nicolas Sarkozy. Si un fait important a été oublié, n’hésitez pas à nous le signaler...

Janvier-avril 2002. Campagne présidentielle dominée par la problématique « sécuritaire » et triomphe de l’extrême droite. Le 21 avril, Jean-Marie Le Pen devance Lionel Jospin et se retrouve qualifié au second tour. Entre les deux tours, le traitement de « l’insécurité« par les grands médias est mis en accusation, notamment par les manifestants. Au Parti socialiste, rien ne change : comme au lendemain des élections municipales de 2001, plusieurs dirigeants expliquent que c’est d’avoir négligé la thématique sécuritaire qui a fait perdre le candidat Jospin. Le sénateur Henri Weber affirme par exemple, avec le plus grand sérieux, que si le Parti Socialiste s’est aliéné les classes populaires, c’est à cause de son excès d’angélisme sur l’insécurité d’une part, et d’autre part à cause de l’ouverture de la « Couverture Maladie Universelle » aux étrangers et aux sans-papiers... Cf. P. Tevanian, « Un séisme prévisible ».

Mai 2002. Ré-élection de Jacques Chirac et premières mesures « sécuritaires ». Ré-élu avec 82% des suffrages, Jacques Chirac nomme Jean-Pierre Raffarin Premier ministre, et lui donne pour « première mission » de « rétablir » la « sécurité » et « l’autorité de l’État ». Nicolas Sarkozy est nommé ministre de l’Intérieur. Il annonce aussitôt que les policiers îlotiers seront armés de « flashballs » , et que de nouvelles unités seront conçues, afin de mener des opérations « coup de poing » dans les cités « chaudes ». Il annonce enfin qu’il est déterminé à arrêter les « délinquants » avant qu’ils commettent leurs délits...

Mai 2002. Publication du pamphlet islamophobe d’Oriana Fallaci : La rage et l’orgueil. Best-seller en Italie, ce livre écrit au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 s’en prend aux « fils d’Allah », que l’auteure accuse de tous les maux. Oriana Fallacci accuse par exemple les féministes : « Vous êtes toutes tombées amoureuses du fascinant Oussama Ben Laden, de ses grands yeux de Torquemada, de ses grosses lèvres, de ce qu’il a sous sa soutane ? Vous le trouvez romantique, vous rêvez toutes d’être violées par lui ? ». Elle écrit également : « Oussama Ben Laden et les talibans, je ne cesserai jamais de le dire, sont seulement la manifestation la plus récente d’une réalité qui existe depuis mille quatre cents ans. Une réalité sur laquelle l’Occident ferme stupidement les yeux ». « J’affirme que neuf imams sur dix sont des Guides spirituels du terrorisme ». « Au lieu de contribuer au progrès de l’humanité, [les fils d’Allah] passent leur temps avec le derrière en l’air à prier cinq fois par jour [...] Ils se multiplient comme des rats. » (...) Il y a quelque chose, dans les hommes arabes, qui dégoûte les femmes de bon goût. ».  [1]

Malgré une plainte déposée par le MRAP et la Ligue des droits de l’homme, ce livre reçoit dans plusieurs médias français un accueil d’une grande complaisance. Dans Le Point du 24 mai, Alain Finkielkraut ne déplore que quelques excès, et écrit : « Oriana Fallaci a l’insigne mérite de ne pas se laisser intimider par le mensonge vertueux. Elle met les pieds dans le plat, elle s’efforce de regarder la réalité en face. ». Un mois plus tard, dans Actualité juive, Pierre-André Taguieff confirme : « Fallaci vise juste, même si elle peut choquer par certaines formules. ». Quelques mois plus tard, en novembre, Robert Misrahi écrira dans Charlie Hebdo : « Oriana Fallaci fait preuve de courage intellectuel. [...] On ne veut pas voir ni condamner clairement le fait que c’est l’islam qui part en croisade contre l’Occident et non pas l’inverse. » Cf. Bruno Cousin, Tommaso Vitale, « Oriana Fallaci ou la rhétorique matamore » et Mona Chollet, « Dernières nouvelles du front de la haine ».

Mai-juin 2002. Premières « bavures » de l’ère Sarkozy : deux morts à Dammarie les Lys. Le 23 mai, Mohammed Berrichi, au volent d’une moto, est pris en chasse pendant plus d’un quart d’heure au seul motif qu’il ne porte pas de casque. L’accident, prévisible, advient, et Mohammed Berrichi décède de ses blessures. Deux jours auparavant, un jeune marginal, Xavier Dem, est abattu lors d’une interpellation alors qu’il ne menace pas les policiers. L’association Bouge qui bouge organise une marche pacifique et une mobilisation politique pour réclamer la vérité et la justice sur ces décès. Le maire et le Préfet répondent par une série de déclarations diffamatoires contre l’association (qui portera plainte et remportera son procès), et un bouclage policier de tout le quartier, au cours duquel les violences et les humiliations se multiplient. Une procédure est lancée pour priver l’association de son local : elle échoue mais le local est alors détruit par un mystérieux incendie. Le harcèlement policier durera des mois : Kader Berrichi, le frère de Mohammed, sera notamment poursuivi pour avoir collé sur son pare-brise un tract intitulé « La police tue, la Justice couvre ». (Cf. Collectif Les mots sont importants, « Une gestion néo-coloniale de la contestation politique » )

Au même moment se tient à St Denis le Forum « Résistons ensemble contre les violences policières et sécuritaires », regroupant le MIB, les Syndicat de la magistrature et plusieurs associations dont le MRAP et le GISTI. Le forum donnera naissance au réseau « Résistons ensemble ». Au même moment, le très médiatique président de SOS Racisme, Malek Boutih, multiplie les déclarations « sécuritaires » contre les « caïds des banlieues ». À propos des « bavures policières », Malek Boutih déclare : « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». Cf. Act Up et le MIB, « Malek Boutih au coeur du sécuritaire ». Cf. aussi la chronologie détaillée et le dossier réalisés par la revue Vacarme (n°21, automne 2002).

Juillet 2002. Première « bavure médiatique » sur « l’insécurité » : « l’affaire de Pantin ». Le 24 juillet 2002, TFI annonce que « des jeunes auraient agressé des policiers à coups de poing et de battes de base-ball » dans la ville de Pantin, en région parisienne, tandis que Le Figaro parle d’un « véritable guet-apens comme on en connaît de plus en plus souvent... ». Le conditionnel disparaît rapidement, et un déferlement médiatique répercute une version des faits construite uniquement à partir des déclarations d’un syndicaliste policier. L’instruction établira rapidement (sans que la presse ne revienne sur les contre-vérités qu’elle a diffusées) qu’il n’y a jamais eu de batte de base ball ni de guet-apens tendu aux policiers, et que la « dizaine » de jeunes se réduisait en fait à deux personnes. Jean-Pierre Raffarin, Nicolas Sarkozy et Dominique Perben dénoncent « l’exceptionnelle gravité », « l’horreur », « la sauvagerie des voyous ». Pierre Bédier, le ministre des « programmes immobiliers de la justice », invente, « parmi les agresseurs », la présence d’un « un enfant de onze ans », sans être démenti par les journalistes.

Une fois retombée la fièvre médiatique, deux jeunes seront inculpés, incarcérés puis jugés et condamnés (respectivement à trois ans et demi de prison dont un an avec sursis et trente mois dont huit avec sursis), dans des conditions très douteuses : des images de vidéosurveillance sont évoquées comme moyens ayant permis de procéder à des interpellations, avant d’être déclarées « inexploitables » ; aucune reconstitution n’a lieu ; le juge refuse de procéder à l’examen ADN des chaussures des protagonistes, qui aurait pu permettre d’identifier l’auteur du coup porté à la policière ; les jeunes sont condamnés sur la seule base des témoignages des policiers, alors que l’instruction a prouvé qu’ils ont menti en essayant d’incriminer d’autres jeunes, absents des lieux. Cf. Sylvie Tissot, « Une bavure médiatique ».

Septembre-octobre 2002. Vote de la loi Perben sur la « délinquance des mineurs ». Cette loi radicalise les options répressives prises par le gouvernement socialiste à partir de septembre 2001, et poursuit le démantèlement des dispositifs d’éducation et de réinsertion mis en place à partir de 1945.

 Elle crée notamment, à destination des mineurs de plus de 13 ans, des centres dits « éducatifs » mais désormais fermés.

 L’âge minimum pour les sanctions judiciaires passe de 13 à 10 ans, et celui de la détention provisoire passe de 16 à 13 ans.

 La durée de la garde à vue passe de 10 heures à 24 heures pour les plus de 10 ans.

 Un nouveau délit est créé : l’outrage à enseignant, passible de six mois de prison et/ou de 7500 euro d’amende.

 Une juridiction spéciale est créée, dite « justice de proximité », que le Syndicat de la Magistrature dénonce comme une sous-justice « d’abattage ».

 Les acquis de la loi Guigou sur la présomption d’innocence sont remis en cause, et la détention provisoire est à nouveau facilitée.

 Les mesures de surveillance par bracelet électronique, introduites au départ comme des alternatives « plus humaines » à la détention, sont désormais généralisées à des délits non-passibles de prison.

 Le recours à des témoignages anonymes, réservé au départ aux crimes et délits les plus graves, est généralisé à presque toutes les infractions.

 Les jugements expéditifs appelés « comparution immédiate » sont également généralisés.

 Des moyens sont enfin débloqués pour construire 35 nouvelles prisons, permettant d’incarcérer 11000 personnes supplémentaires. Un « secrétariat d’Etat au mobilier de la Justice » a d’ailleurs été créé spécialement à cet effet par Jean-Pierre Raffarin.

Octobre 2002. Fermeture du camp de réfugiés de Sangatte. Alors que les violences policières se multiplient contre les réfugiés kurdes et afghans, désormais « à la rue », Jack Lang déclare, « tirer son chapeau » à Nicolas Sarkozy, et ajoute, sans aucune ironie : « ce ministre-là fait bien son travail ». Sur ce centre de Sangatte et les effets de sa fermeture, cf. le dossier du GISTI

Octobre 2002. Meurtre de Sohane Benziane, parution du livre Dans l’enfer des tournantes et lancement de la campagne médiatique sur « le sexisme en banlieue ». Sohane Benziane, une adolescente de 17 ans meurt brûlée vive des suites d’une agression dans une cave de la cité Balzac à Vitry-sur-Seine. Le mouvement naissant « Ni putes ni soumises » s’empare de ce fait divers atroce pour en faire l’emblème de la condition des « filles des quartiers ». Au même moment, paraît Dans l’enfer des tournantes de Samira Bellil. L’expérience extrême de son auteure (victime d’un viol collectif) est présentée dans tous les grands médias comme l’emblème, voire comme le quotidien de « la vie d’une fille de banlieue », aux prises avec « la loi de la cité ». Le discours médiatique tenu autour de ce livre - comme celui tenu autour du meurtre de Sohane Benziane - omet surtout de dire que les violences en question n’ont rien de spécifique aux « banlieues ». Sur cette campagne, cf. Laurent Mucchielli, « Les “tournantes” : mythes et réalités ».

Octobre-novembre 2002. Débats parlementaires sur les « lois Sarkozy ». Le ministre de l’Intérieur bénéficie d’un véritable et « état de grâce » politique et médiatique. Des députés socialistes, interrogés par Libération, se montrent admiratifs à l’égard du maire de Neuilly, en particulier à l’égard de sa capacité à « s’adresser au peuple » (sic). Georges Frêche, maire socialiste de Montpellier, se déclare favorable aux mesures de répression de la « mendicité agressive », qu’il se vante d’avoir « demandées depuis des années. » La presse et la télévision multiplient les « portraits » du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, souvent d’une grande complaisance. Un portrait hagiographique est même consacré à son épouse et assistante Cécilia Sarkozy dans l’émission de reportages « Envoyé spécial » .

Décembre 2002. « Affaire des roms de Choisy ». À la demande de Nicolas Sarkozy, 300 gendarmes mobiles assistés de 150 policiers débarquent dans un bidonville de Choisy-le-roi pour une expulsion hyper-médiatisée. Le jour même, 71 personnes sont placées en garde-à-vue pour séjour irrégulier et sont en instance d’expulsion. Quatre personnes seront envoyées en Roumanie par un charter franco-espagnol dès le lendemain. Cependant, dans les deux jours qui suivent, la totalité des gens interpellés sont remis en liberté par le Tribunal de Créteil pour nullité de procédure. Cf. Caroline Damiens, « Sarkozy, les médias et l’invention de la “mafia roumaine” ».

Décembre 2002. Abolition de la « préférence nationale » à la RATP. La Régie annonce que ses 45 000 emplois ne seront plus réservés aux Français et aux ressortissants de l’Union européenne. Cette démarche, malheureusement unique en son genre, est le fruit d’un travail en commun entre la direction et les syndicats. Des négociations semblables ont été entamées à la SNCF, mais n’ont pas abouti. Au total, le nombre d’emplois de titulaires dans les trois fonctions publiques, interdits aux étrangers non communautaires, atteint 5,2 millions. Si l’on ajoute les entreprises sous statut gérant des services publics tels que La Poste, EDF-GDF, Air France et les établissement publics industriels et commerciaux, qui comptent plus d’un million de salariés, ce sont plus de 6 millions d’emplois publics qui sont interdits aux étrangers « non-européens ». Enfin, si l’on rajoute les emplois fermés aux étrangers dans le secteur privé, pour des conditions de nationalité ou de diplôme, ce sont environ 30 % de l’ensemble des emplois qui demeurent réservés aux Français ou aux Européens. Sur cette question des emplois réservés, cf. le dossier réalisé par le GISTI.

Décembre 2002-janvier 2003. « Affaire du bagagiste de Roissy ». Le 29 décembre, Abderrezak Besseghir, bagagiste à l’aéroport de Roissy, est arrêté et incarcéré. À la suite d’une dénonciation, des armes et des explosifs ont été retrouvés dans le coffre de sa voiture. Un simple document religieux « en langue arabe » ainsi qu’un « tract pro-palestinien » sont également cités comme des éléments probants, permettant de postuler l’appartenance du bagagiste à un réseau terroriste « islamiste ». Des éléments permettant de mettre en doute cette hypothèse sont dans un premier temps écartés de l’enquête : les explosifs retrouvés ne correspondent pas à ceux qui sont traditionellement utilisés pour les attentats dans les avions, et le dénonciateur est un personnage trouble, militaire à la retraite reconverti dans le buiseness de la sécurité et récemment condamné pour trafic d’armes. On apprend par ailleurs dès le 3 janvier 2003 que les empreintes digitales retrouvées sur les armes et les explosifs retrouvés ne sont pas celles d’Abderrezak Besseghir. On découvre finalement, le 10 janvier, que le bagagiste a été victime d’une machination de la part de sa belle-famille, comme il le soutenait depuis son arrestation. Tout au long de ces quinze jours, l’hypothèse de la culpabilité de Besseghir a été présentée par l’ensemble des médias comme un fait quasi-acquis. Cf. Aberrazak Besseghir, « Bagagiste à Roissy, présumé terroriste », Michel Lafon, 2003, et Pierre Laniray, « La brigade anti-terroriste du Parisien », Almanach critique des médias, Editions Les Arènes, 2005 et l’analyse publiée par le site ACRIMED.

Janvier-Décembre 2003

Janvier-Décembre 2004

Notes

[1Autre citation : « S’ils [les immigrés] sont si pauvres, qui leur donne l’argent pour le voyage sur le bateau ou le canot pneumatique qui les amène en Italie ? Qui leur donne à chacun les dix millions (au minimum dix millions) nécessaires pour payer le voyage ? Ça ne serait pas Oussama Ben Laden, dans le but d’établir des têtes de pont aussi en Italie et de mieux recruter les terroristes de al-Qaeda ? »