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Chronique du racisme républicain (Troisième partie)

L’année 2004

par Collectif Les mots sont importants
26 avril 2007

Notre contribution à la campagne présidentielle de 2007 est un simple rappel historique de ce qui s’est passé, sur le terrain du racisme et des politiques d’immigration, entre 2002 et 2007, au cours du second mandat de Jacques Chirac, dominé par la figure et l’activité législative de Nicolas Sarkozy. Si un fait important a été oublié, n’hésitez pas à nous le signaler...

Janvier-Décembre 2002

Janvier-Décembre 2003

Janvier 2004. Nomination « explosive » d’un « préfet musulman ». Nicolas Sarkozy nomme Aissa Dermouche préfet du Jura. À l’occasion de cette nomination fortement médiatisée, Nicolas Sarkozy parle de « préfet musulman », tandis que Jacques Chirac le qualifie de « préfet issu de l’immigration » - mais tous deux soulignent la capacité de la République à reconnaître le mérite. Entre le 19 et le 30 janvier, trois attentats à la bombe sont perpétrés, visant la voiture, le lieu de travail et l’école des enfants de M. Dermouche.

Janvier 2004. Publication et médiatisation du livre de Gaston Kelman, Je suis noir et je n’aime pas le manioc. Invité sur tous les plateaux et interviewé par tous les magazines, l’auteur est érigé en modèle de l’Africain « intégré », amateur d’escargots, de vin rouge et de « fermeté » contre la « délinquance immigrée ». Gaston Kelman critique notamment la formule « Les immigrés sont en France chez eux », prononcée par François Mitterrand au début de son premier septennat, à laquelle il dit préférer la formule de Charles Pasqua : « Les immigrés sont ici chez nous ». L’Express s’enthousiasme de voir l’auteur « dénoncer le penchant des Noirs pour la victimisation », « exiger la tolérance zéro », et « faire des Africains vivant en France les premiers responsables d’une intégration qui n’avance pas ». Le magazine apprécie aussi que l’auteur « ne voie pas la nécessité de refaire l’histoire d’un peuple qui a beaucoup souffert ». Cf. Mona Chollet, « Je suis blanche et je n’aime pas les couillonnades ».

Janvier-février 2004. Débats parlementaires et manifestations de rue contre la loi anti-voile. Le 17 janvier, une manifestation contre la loi anti-voile est organisée par Mohamed Latrèche, leader du groupusculaire Parti des Musulmans de France. Le Collectif Une école pour tou-t-es décide de ne pas y participer à la en raison des positions et accointances politiques d’extrême droite Mohamed Latrèche. Il participe en revanche à une rencontre appelée le même jour par des dizaines d’associations musulmanes, parmi lesquelles le Collectif des musulmans de France et Participation et spiritualité musulmane, membres actifs d’Une école pour tou-te-s [1]. Au même moment, la loi interdisant le voile est adoptée par le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), dont les avis sont consultatifs. Sur 70 membres présents, seuls 16 ont voté pour cette loi, 9 ont voté contre, les autres s’abstenant ou refusant de prendre part au vote. Votent pour : les représentants du gouvernement et du MEDEF ; votent contre : les représentants des élèves et des parents d’élèves (FCPE). Les principaux syndicats enseignants, pour leur part, choisissent de s’abstenir (UNSA, SDEN-CGT, FO) ou de ne pas prendre part au vote (FSU). Pendant l’examen du projet de loi à l’Assemblée Nationale, le Collectif Une école pour tou-te-s organise un rassemblement, un meeting et une grande manifestation nationale qui est un succès : plus de 10000 manifestants à Paris, autour de 30000 sur toute la France. L’UOIF (Union des organisations islamiques de France) n’appelle pas à la manifestation. Une quinzaine de collectifs locaux se constituent.

Février-mars 2004. Vote de la loi sur la « criminalité organisée », dite « loi Perben 2 ». Toutes les organisations d’avocats, ainsi que le Syndicat de la magistrature, descendent dans la rue pour dénoncer ce qu’ils appellent « un Etat d’exception permanent ».

 Cette loi établit une notion floue de criminalité organisée qui lui permet d’introduire un ensemble de procédures d’exception, telles que les perquisitions de nuit en l’absence de la personne suspectée ou la pose de micros ou de caméras dans son domicile. Ces techniques d’exception sont généralisables au niveau de la plupart des délits, puisqu’elles peuvent s’appliquer à tout groupe d’au moins deux personnes.

 Par ailleurs, les policiers peuvent désormais mettre en oeuvre des techniques spéciales de recherches, telles que la mise sous écoute, l’infiltration, la surveillance rapprochée. Il s’agit d’une procédure secrète, non contradictoire et d’une durée illimitée.

 En opposition avec les procédures habituelles, les policiers peuvent aussi, en l’absence des personnes suspectées, procéder à des perquisitions la nuit et saisir des pièces à conviction.

 Les personnes interpellées peuvent désormais être placées pendant 96 heures en garde à vue, au lieu des 48 heures prévues auparavant.

L’objectif déclaré de cette loi est de s’attaquer aux mafias et à la traite des êtres humains, mais la liste des délits concrets, susceptibles d’être identifiés, ne comprend aucunement les infractions économiques ou financières. Au contraire, la loi généralise le dispositif de « composition pénale », et permet désormais aux auteurs de délits financiers (tels que l’escroquerie, le trafic d’influence ou l’abus de biens sociaux) d’ échapper aux poursuites, en échange de l’indemnisation de la victime ou de travaux d’intérêt général. Par contre, la loi inclut sous la catégorie de « criminalité organisée » la « dégradation de biens » ou « l’aide au séjour irrégulier », commis en « bande organisée » - autrement dit= l’engagement associatif en faveur des sans papiers. La loi instaure enfin une procédure de « plaider coupable », qui permet de contourner les procédures contradictoires en exerçant sur l’inculpé un chantage : une réduction de peine contre un aveu de culpabilité. Cf. Françoise Martres, « Une volonté d’adapter la justice aux priorités du pouvoir politique », CIRDEL, « Une loi scélérate », Jean-Claude Paye, « Lois Perben : un état d’exception permanent », et l’appel publié par « Raisons d’agir ».

Mars 2004 : Vote de la loi anti-voile. Le 15 mars, le Parlement adopte à la quasi-unanimité la loi interdisant « les signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse » . Une semaine auparavant, à l’occasion de la Journée des femmes, le Collectif Une école pour tou-t-es/Contre les lois d’exclusion défile en reprenant les mots d’ordre unitaires de la Coordination nationale du droit des femmes (CNDF) tout en dénonçant le caractère anti-féministe de la loi anti-foulard, dont les victimes sont essentiellement des femmes. Cette présence dans le cortège de la Marche des femmes suscite un déchaînement de réactions violentes : injures racistes (« retournez en Arabie ») et sexistes (« salopes »), menaces, bousculades, crachats. Cf. Java, « La Marche de toutes les femmes ? ». Cf. aussi, sur les contradictions des arguments prohibitionnistes se réclamant du féminisme, Nouvelles Questions Féministes, Volume 25, No 1, 2006, « Sexisme et racisme » (Présentation en ligne : « De l’affaire du voile à l’imbrication du sexisme et du racisme »)et Nacira Guénif-Souilamas et E. Macé, Les féministes et le garçon arabe, Editions de l’Aube, 2004, et : Cecilia Baeza et Marielle Debos, « Le féminisme à l’épreuve du foulard islamique » ; Christine Delphy, « Débat sur le voile au Collectif Droits des femmes » et « Intervention contre une loi d’exclusion » ; Femmes Publiques, « Être féministe, ce n’est pas exclure » ; Caroline Damiens, « Le corps des femmes n’est pas un champ de bataille » ; Collectif Les mots sont importants,
« Un féminisme à visage inhumain » ; Houria Bouteldja,
« Féminisme ou maternalisme ? » ;
Monique Crinon,
« Féminisme et laïcité : non aux amalgames ».

Avril 2004 : Congrès annuel de l’UOIF. À six mois de la rentrée scolaire, le président Lhaj Thami Breze déplore la nouvelle loi tout en appelant les filles musulmanes à s’y plier. Il préconise une application souple, consistant à accepter les petits foulards, du type bandana, tout en ajoutant que, de toute façon, l’UOIF se pliera à la loi. « Le savoir est plus important que le voile, nous disons aux jeunes filles : « S’il le faut, retirez-le ! ». Des collectes sont par ailleurs organisées lors du Congrès pour la construction d’écoles privées musulmanes.

Mai 2004 : Publication de la circulaire Fillon sur les « signes ostensibles ». Le ministre de l’Éducation François Fillon rend précise par circulaire les modalités d’application de la loi du 15 mars 2004. Lors du Congrès national de la FCPE (Fédérations des Conseils de Parents d’Eleves), le président de l’association, Georges Dupon-Lahitte, dénonce « une école qui renonce à sa mission d’éducation, quand elle repousse hors de ses murs des jeunes, de surcroît filles et voilées, auxquelles on ferme les voies de l’autonomie et de l’émancipation ». Il dénonce également l’ « hypocrisie » du « dialogue » prévu par la loi, « alors que l’issue de celui-ci, c’est-à-dire à terme l’exclusion, est déjà fixée ». Il s’inquiète enfin des « excès de zèle » que la loi risque de provoquer. Cf. le site de la FCPE.

Juin 2004 : Publication du rapport Obin sur les manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires. Constitué, de l’aveu même de son auteur, d’une collection d’incidents recueillis « là où ça se passe mal », ce rapport n’évite aucun écueil sensationnaliste, et ne propose aucune tentative d’évaluation quantitative et aucune mise en perspective. Il est pourtant présenté, dans les commentaires médiatiques qui accompagnent sa publication, comme un « état des lieux » sur la situation ordinaire des collèges et lycées « de banlieue ». Cf. Jean Baubérot, « Les carences du rapport Obin ».

Juin 2004 : Condamnation de la loi anti-voile par les Nations Unies. Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU demande à l’Etat français de « garantir que les droits individuels ne seront pas bafoués et que des enfants ne seront pas exclus ou tenus en marge du système scolaire du fait d’une telle législation. » Ce Comité, qui rassemble 18 experts indépendants, se déclare inquiet du risque que la nouvelle loi « néglige le principe du meilleur intérêt de l’enfant et du droit d’accès à l’éducation et ne parvienne pas au résultat attendu ». L’organe de l’Onu, qui examine le respect par les pays signataires de la Convention sur les droits de l’enfant (CDE) de 1990, renvoie à l’article 14 de ce texte, qui stipule que « les Etats parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion ». Le Comité « reconnaît l’importance que l’Etat français accorde à la laïcité dans les écoles publiques (...) mais s’inquiète des accusations de montée des discriminations, y compris de celles fondées sur la religion ». Au même moment ont lieu les Assises nationales des collectifs Une école pour tou-te-s/Contre les lois d’exclusion. Une Charte est adoptée à cette occasion, affirmant son soutien à tou-te-s les élèves, quels que soient leurs choix (garder le voile, le retirer, tenter d’obtenir un compromis).

Juillet 2004. « Affaire du RER D ». Le vendredi 9 juillet 2004, Marie Léonie Leblanc, jeune femme vivant à Aubervilliers, déclare à la police avoir été victime d’une agression à caractère sexiste et antisémite. Dès le lendemain soir, son témoignage, parvenu au cabinet du ministre de l’intérieur, et relayé par l’Agence France Presse, déclenche une vague d’indignation dans le milieu politique et associatif, et bénéficie d’une impressionnante couverture médiatique. Le président de la république lui même réagit immédiatement pour condamner cet acte de « barbarie ». De nombreuses réactions de dirigeants politiques et d’éditorialistes tirent de ces « faits » des conclusions définitives sur la « sauvagerie », le sexisme et l’antisémitisme de la jeunesse « arabo-musulmane » des « banlieues ». Trois jours plus tard, la jeune femme reconnaît avoir tout inventé, et s’être « choisi » des agresseurs noirs et arabes « parce qu’à la télévision, ce sont toujours eux qui sont accusés ». Cf. aussi Fatiha Kaoues, « L’affaire du RER D : les leçons d’une hystérie politico-médiatique » et Mehdi Ba et Olivier Cyran, Almanach critique des médias, Editions Les Arènes, 2005. Cf. aussi le dossier réaliser par le site ACRIMED, le manifeste « Marie n’est pas coupable ! ».

Juillet 2004. Publication et médiatisation d’un rapport des Renseignements généraux sur le « repli communautaire » dans les quartiers sensibles ». Ce rapport alarmiste est relayé sans recul critique par l’ensemble de la presse (notamment dans Le Monde), malgré le caractère confus et idéologiquement douteux du concept de « repli communautaire » et des huit critères choisis pour le définir et le mesurer : le nombre important de familles d’origine immigrée, « pratiquant parfois la polygamie » ; un « tissu associatif communautaire » ; la présence de « commerces ethniques » ; la multiplication des lieux de culte musulmans ; le port d’habits « orientaux et religieux » ; les graffitis « antisémites et anti-occidentaux » ; l’existence, au sein des écoles, de classes regroupant des primo-arrivants, ne parlant pas français ; la « difficulté à maintenir une présence de Français d’origine ».

 Ce rapport s’inquiète de la « concentration » de familles immigrées, sur un mode qui n’a rien de social : ce ne sont pas les problèmes d’accompagnement social de populations à faibles revenus qui sont soulevés, mais celui de la présence trop faible de « Français d’origine », considérés implicitement comme le « modèle identitaire » de référence pour l’ « éducation » des immigrés.

 Personne, ni le rapport ni la presse qui le relaie, n’explique en quoi une tenue vestimentaire « orientale » pose plus de problèmes qu’un jean ou un jogging américains, ou en quoi la présence de « commerces ethniques » africains à La Courneuve pose plus de problèmes que la concentrations de crêperies bretonnes à Montparnasse.

 Personne ne demande ce qu’a de si préoccupant l’existence d’un soutien scolaire spécifique pour les « primo-arrivants ».

 Personne ne critique non plus la notion de « graffitis anti-occidentaux », utilisée pour qualifier une expression politique (sur « la France » comme « système » oppressif, ou sur la guerre en Irak et en Palestine), et l’assimilation de ces graffitis « anti-occidentaux » à un racisme, mis sur le même plan que l’antisémitisme.

 Le fait que la simple existence de lieux de culte musulmans devienne un critère de repli communautaire ne choque pas grand monde non plus, pas plus que le silence du rapport sur le sous-équipement dont souffrent les musulmans en termes de lieux de cultes, comparativement aux autres communautés religieuses.

 Ni le silence du rapport sur les phénomènes de discrimination socio-économique et raciste qui expliquent les concentrations d’immigrés.

 Ni son silence sur le chômage massif (deux à quatre fois plus élevé que la moyenne nationale) et l’extrême précarité sociale qui règnent dans lesdits quartiers « sensibles ».

Pour une critique plus détaillée de ce rapport, Cf. Sylvie Tissot, « Le repli communautaire : un concept policier ».

Septembre 2004. Publication et forte médiatisation du livre de Stephen Smith, Négrologie. Écrit par un journaliste des pages « Afrique » du Monde (et auparavant de Libération), ce livre décrit l’Afrique comme « un paradis naturel de la cruauté », et explique que les Africains refusent « d’entrer dans la modernité autrement qu’en passager clandestin ou en consommateur vivant au crochet du reste du monde ». Il affirme également que « si six millions d’Israéliens pouvaient par un échange standard démographique prendre la place des tchadiens à peine plus nombreux, le Tibesti fleurirait ». Tout le propos du livre consiste à minimiser les responsabilités européennes dans la situation actuelle de l’Afrique, et à incriminer « les Africains », en distinguant rarement entre les dirigeants et les peuples. Ce livre est plébiscité par la grande presse et devient vite un best-seller, tout en provoquant un écoeurement massif dans les médias « communautaires » ou « associatifs » afro-antillais. Un an plus tard, les éditions Les Arènes publient un démontage implacable du pamphlet de Stephen Smith : Négrophobie, de Boris Boubacar Diop, François-Xavier Verschave et Odile Taubner.

Septembre 2004. « Affaire Alain Soral ». L’écrivain, spécialisé dans les provocations littéraires et télévisuelles à caractère sexiste, homophobe et xénophobe, défraye la chronique médiatique. Au cours de l’émission « Complément d’enquête » diffusée le 20 septembre 2004 sur France 2, l’écrivain fustige en bloc les Juifs, qui refusent de « se poser des questions » à propos du fait que « personne ne peut les blairer depuis 2500 ans ». Ces propos racistes, tenus en compagnie de l’humoriste Dieudonné, suscitent un tollé. L’écrivain cesse à partir de ce jour d’être invité à la télévision. Quelques jours plus tard, au cours d’une dédicace dans une librairie, Alain Soral est attaqué par un groupe qui saccage la librairie. Cf. Fatiha Kaoues et Pierre Tevanian, « Les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis. Réflexions sur le cas Alain Soral ».

Septembre-octobre 2004. Entrée en application de la loi anti-foulard, et débordements à l’encontre des « mamans voilées ». La rentrée scolaire 2004 a lieu dans un contexte de grande tension : deux journalistes français travaillant en Irak ont été pris en otages par une mystérieuse « Armée islamique d’Irak », qui exige l’abrogation de la loi interdisant le voile à l’école. Les revendications évolueront dès les jours suivants, et les otages seront finalement libérés au mois de décembre. Certaines élèves abandonnent l’école, un grand nombre cède à la pression et se découvre la tête. Des dizaines viennent à l’école avec un voile, un bandana ou un béret, et tentent de se faire accepter ainsi.

Les collectifs locaux d’Une école pour tou-te-s apportent leur soutien à l’ensemble des élèves. Ils organisent également des projections-débat autour du film Un racisme à peine voilé, réalisé par Jérome Host et des membres du Festival Permanent contre les lois racistes et d’Une école pour tou-te-s/Strasbourg. Plus de cent projections-débat répertoriées auront lieu en une année. A plusieurs reprises, ces projections seront interdites dans des salles municipales ou universitaires, souvent au dernier moment après qu’un accord ait été donné dans un premier temps (notamment à Rennes, Mulhouse, Strasbourg, Bondy, Sarcelles, Saint-Denis et Bagnolet). À l’Université de Saint Denis, le courant sera coupé dans la salle où la projection était prévu. À La Rochelle, l’organisateur d’une projection recevra des menaces de mort. Par ailleurs, au même moment, de nombreuses agressions ou discriminations ont lieu contre des femmes voilées. Par exemple, le maire de Montreuil, Jean-Pierre Brard (apparenté PCF), interdit par arrêté municipal un défilé de « prêt à porter des femmes musulmanes » sous prétexte que « le voile porte atteinte à la laïcité ». Cette application « sauvage » de la loi anti-foulard en dehors du champ scolaire sera annulée le 1er juillet 2005 par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, et le Maire de Montreuil sera condamné à verser de 750 euros de dédommagement.

À Montreuil également, Jean-Pierre Brard rend publique une lettre envoyée aux directeurs d’école de la ville, rappelant que les accompagnateurs de sorties scolaires ne doivent pas « afficher leurs croyance ». On apprend aussi qu’à Villemomble, Nanterre, Romans sur Isère, des établissements refusent pour les mêmes motifs que des femmes voilées accompagnent les enfants lors de sorties. Le ministère de l’Education nationale a beau être catégorique, assurant qu’il est « absolument illégal d’empêcher les mères voilées d’accompagner les enfants », certaines mères se voient opposer une fin de non-recevoir.

Octobre 2004. Publication du rapport Rufin sur la lutte contre l’antisémitisme. Bâclé en quelques semaines par un écrivain qui n’a jamais effectué le moindre travail de recherche sur le sujet, ce rapport mèle des généralités et certains des clichés les plus éculés sur « les banlieues » et le « communautarisme ». Cf. Joëlle Marelli, « Usages et maléfices de l’antisémitisme en France ».

Novembre 2004. Manifestation unitaire contre tous les racismes. Organisée par une coordination regroupant la LDH, le MRAP, la FCPE, de nombreuses associations (comme Act Up ou les Panthères roses) et la totalité des syndicats, cette manifestation est boycottée et publiquement dénoncée par SOS Racisme, le CRIF, la LICRA et Ni putes ni soumises, au motif que le texte d’appel et/ou ses signataires (en particulier l’UOIF, le Collectif des Musulmans de France et le collectif Une école pour tou-te-s, explicitement désignés) manqueraient de clarté dans leur condamnation du sexisme et/ou de l’antisémitisme. Les organisateurs de la manifestation ont beau rappeler que le texte d’appel dénonce explicitement l’antisémitisme et le sexisme, une campagne de disqualification est menée par la LICRA et SOS Racisme avec le soutien de plusieurs médias, notamment l’hebdomadaire Charlie Hebdo, et la manifestation est un semi-échec : elle ne rassemble que quelques milliers de personnes, alors qu’elle était appelée par la quasi-totalité du mouvement social, syndical et associatif, et qu’elle avait été préparée pendant quatre mois. Sur cet épisode, cf. Denis Sieffert, « Les enjeux de la manifestation du 7 novembre » et B. Dreano, « SOS Charlie Hebdo ».

Novembre 2004. Premières exclusions d’élèves voilées. Des réunions, des rassemblements publics et des signatures de pétitions sont organisés par les collectifs Une école pour tou-te-s devant les établissements qui convoquent des conseils de discipline, notamment à Saint Etienne, Strasbourg et à Bobigny. Les pétitions rencontrent un très large écho auprès des élèves (par exemple : en deux demi journées, 500 élèves, soit plus de la moitié de l’effectif du lycée Louise Michel de Bobigny, ont signé une pétition demandant que les trois garçons sikhs portant un bandeau discret ne soient pas exclus) - mais n’ont aucun impact sur les décisions des conseils de discipline : tous se concluent par une exclusion définitive. À d’autres endroits, comme à Mantes-la Jolie, une forte mobilisation permet d’éviter le pire (un compromis est trouvé : le bandana est autorisé dans l’enceinte de l’établissement, bien que prohibé en cours). Cf. Collectif Une école pour tou-te-s, « Éléments d’un futur Livre Noir ».

Novembre-Décembre 2004. « Procès de La Rumeur ». Hamé, membre du groupe de rap La Rumeur, comparait devant la Justice pour « diffamation publique envers la police nationale ». Les propos jugés diffamatoires sont notamment ces phrases, extraites d’une brochure publiée par le groupe : « Les rapports du ministère de l’intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété ». « La réalité est que vivre aujourd’hui dans nos quartiers, c’est avoir plus de chances de vivre des situations d’abandon économique, de fragilisation psychologique, d’humiliations policières régulières... ». Le rappeur est finalement relaxé. Nicolas Sarkozy fera appel du jugement, et en mai 2006, la Cour d’Appel confirmera la relaxe. Le ministre de l’Intérieur saisira alors la Cour de Cassation. Cf. Hamé, « Insécurité sous la plume d’un barbare » et deux entretiens avec Hamé relatant le déroulement des audiences : premier entretien ; second entretien.

Décembre 2004. Déclarations négationnistes de Max Gallo. Le 4 décembre, au journal de 13 heures de France 3, l’écrivain, auteur biographie apologétique de Napoléon, est interrogé sur le rétablissement de l’esclavage par Napoléon. Il répond en qualifiant cet acte de « tache », tout en ajoutant : « Est-ce que c’est un crime contre l’humanité ? Peut-être, je ne sais pas. Je crois qu’il a incarné en tout cas les valeurs révolutionnaires en dépit de tout ça... ». Ces propos suscitent un tollé dans les médias « communautaires » africains et antillais, mais passent inaperçues dans la plupart des grands médias et ne suscitent aucun communiqué de protestation de la part des associations antiracistes et de défense des droits de l’homme. Le caractère massif des protestations de téléspectateurs oblige pourtant Max Gallo à présenter ses excuses et à affirmer clairement que l’esclavage des Noirs a été un « crime contre l’humanité ». Cf. Pierre Tevanian, « Un négationnisme respectable », et les propos négationnistes puis les excuses de Max Gallo sur le site du Collectif des Antillais Guyanais et Réunionais.

Décembre 2004 : Nouvelles discriminations à l’encontre des « mamans voilées ». Malgré les mises au point du ministre François Fillon [2], l’inspecteur de l’Education nationale de Torcy interdit aux mères d’élèves portant un foulard d’accompagner leurs enfants lors des sorties scolaires, au nom du pouvoir discrétionnaire du chef d’établissement et du « principe de précaution » : « Tout directeur d’école doit apprécier le contexte dans lequel se situe la demande - pas illégitime - mais s’il s’aperçoit que quelques troubles pourraient survenir, son devoir est d’adopter la prudence et de garantir la neutralité, c’est-à-dire de refuser la participation d’une personne voilée [...] ». À Nanterre, la même discrimination a lieu sur quatre écoles primaires, et provoque un mouvement de protestation, à l’initiative du Collectif pour la dignité des mères parents d’élèves (CDMPE), une association locale créée à Nanterre pour l’occasion. Contacté par l’AFP, l’inspecteur d’académie des Hauts-de-Seine affirme avoir « explicitement demandé en septembre au directeur de l’école Voltaire qu’il n’y ait aucune interdiction d’aucune sorte, pour les mères voilées ou non ». « L’Inspecteur nous a dit qu’il valait mieux éviter que des mères voilées accompagnent des sorties scolaires, selon le principe de la neutralité religieuse », se défend-on du côté des écoles.

Décembre 2004. Hommage officiel rendu par « La République » aux Français « venus de loin » qui ont « réussi ». Destinée à « donner l’exemple » et à montrer qu’il est « possible de s’en sortir » avec du talent, de la volonté et des efforts, cette cérémonie, savamment mise en scène et médiatisée, met en avant des success-stories d’immigrés ou d’enfants « issus de l’immigration ». Cf. Abellali Hajjat, Yamin Makri, Saïd Bouamama, « En finir avec les bougnouleries ! »

Décembre 2004. Création de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour Egalité). Dirigée par l’ancien grand patron Louis Schweitzer, elle compte dans ses rangs l’entrepreneur en « sécurité publique » Alain Bauer, co-auteur, avec l’ancien militant d’extrême droite Xavier Raufer, d’un Que sais-je ? sur les « violences urbaines » qui incrimine les origines ethniques de la délinquance. Son rôle consiste à recueillir des témoignages et à saisir le Procureur, qui reste toutefois seul à choisir de poursuivre ou de classer sans suite.

Janvier-Décembre 2005

Notes

[1L’appel fondateur du collectif est signé par les organisations suivantes : Agora (Vaux-en-Velin) ; ATMF (Association des Travailleurs Maghrébins de France) ; Les Blédardes ; Bouge qui bouge (Damary-les-Lys) ; CCIPPP (Campagnes Civiles Internationales de Protection du Peuple Palestinien) ; Cedetim ; Citoyennes des deux rives ; Collectif des éducateurs du 93 ; Collectif des familles de disparu-e-s en Algérie ; CCIF (Collectif contre l’Islamophobie en France) ; CMF (Collectif des Musulmans de France) ; Collectif des Féministes pour l’égalité ; Collectif France Plurielle ; Collectif Les Mots Sont Importants ; CRLDHT (Comité pour le Respect et la Liberté des Droits de l’Homme en Tunisie) ; Cultures & Citoyenneté (La Ferté-sous-Jouarre) ; Divercité (Lyon) ; Droit des Femmes Musulmanes en France ; Droits Devant ! ; EMF (Etudiants Musulmans de France) ; Femmes Plurielles ; Femmes Publiques ; FTCR (Fédération des Tunisiens Citoyens des Deux Rives) ; H2B (Melun) ; IMAN (Initiative Musulmane de l’Agglomération Nouvelle) ; JMF (Jeunes Musulmans de France) ; JCR (Jeunesses Communistes Révolutionnaires) ; MIB (Mouvement de l’Immigration et des Banlieues) ; MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) ; Oxygène (association des étudiants de ParisVIII) ; PSM (Participation et Spiritualité Musulmane) ; Les Sciences-Potiches Se Rebellent ; UNIR. Trois organisations divisées quant à leur participation quitteront le collectif à l’issue de la mobilisation de janvier-février : le MRAP, EMF et JMF. Des militants du MRAP resteront toutefois actifs au sein du collectif, à titre personnel. Autres soutiens à titre personnels : celui de personnalités politiques, syndicales ou intellectuelles qui ont signé le texte fondateur du collectif Une école pour tous : Christine Delphy (fondatrice de Nouvelles Questions Féministes), Françoise Gaspard (sociologue, historienne, militante féministe), Annick Coupé et Pierre Khalfa (syndicalistes : G10 Solidaires), José Bové (syndicaliste : Confédération paysanne), Gilles Lemaire (secrétaire général des Verts), Léon Crémieux et Léonce Aguirre (dirigeants de la LCR), Marie-Christine Blandin et Alima Boumediene Thiery (sénatrices Vertes), Noël Mamère (député vert), Patrick Braouzec et Jean-Claude Lefort (députés communistes), Sergio Coronado, Jérôme Gleizes et Suzanne D’Hermies (adjoint verts à la mairie de Paris), Roger Dubien (conseiller municipal de St-Etienne), Rémi Fargeas (maire-adjoint vert de Saint-Ouen), François Burgat, Dimitri Nicolaïdis et Catherine Samary (universitaires), Miguel Benasayag et Tariq Ramadan (écrivains).

[2« La loi sur les signes religieux à l’école ne doit pas s’appliquer aux adultes, qui ne font pas partie de la communauté éducative, tels que les parents d’élèves. »