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De Calandra à Raulin

Sur les errements sans fin d’une certaine caste de néoconverties

par Sylvie Tissot
30 juillet 2015

Dans un billet stupéfiant paru le 26 juillet, la journaliste Nathalie Raulin de Libération fustige les « errements de Christine Delphy ». Afin qu’un large public puisse en juger, nous avons reproduit ici, en français, l’objet du litige : une tribune publiée par la sociologue française Christine Delphy dans Le Guardian, qui invite les féministes françaises à combattre les lois islamophobes votées dans leur pays plutôt que de s’en prendre à d’autres femmes, les femmes portant un foulard.

Cette position, basiquement anti-sexiste et anti-raciste, a comme effet récurrent de faire s’étrangler de rage un certain nombre de personnalités auto-proclamées féministes : c’était le cas il y a quelques mois de la maire du vingtième arrondissement Frédérique Calandra, qui interdisait à Rokhaya Diallo d’intervenir dans un débat public en raison de ses prises de positions féministes et anti-islamophobes. C’est le cas aujourd’hui de Nathalie Raulin.

Le point commun entre ces deux femmes, et quelques autres ? Il y en a trois.

1) Leur réécriture de l’histoire du féminisme, dont aucune conquête, contrairement à ce qu’affirme Nathalie Raulin, n’a jamais eu de « fondement laïc ». Le combat des femmes pour disposer de leur corps, par le droit à l’avortement notamment, n’a pas été mené au nom de la laïcité. Les plus grands défenseurs de la laïcité étaient quant à eux des hommes, radicaux de gauche, par ailleurs farouches opposants au droit de vote des femmes – sous prétexte que, loin d’être des sujets libres disposant de leur voix, elles allaient voter comme leur curé. La confusion entre « féminisme » et « laïcité » est le résultat d’une opération idéologique dénaturant ce qu’est la laïcité pour en faire le bras armé du combat anti-musulman.

2) L’ignorance de ce qu’est le féminisme musulman ou islamique, courant divers et ancien qui regroupe à la fois celles « qui s’efforcent d’établir la compatibilité entre l’islam et l’émancipation des femmes » et celles « qui mettent l’accent sur la spécificité de la domination des femmes musulmanes indépendamment des sociétés dans lesquelles elles se trouvent », selon Sonia Dayan-Herzbrun, Zahra Ali, Fatima Mernissi, Saba Mahmood, Leila Ahmed, Asma Lamrabet ou encore Nilüfer Gole : autant d’auteures auprès desquelles Nathalie Raulin pourrait utilement s’instruire.

3) Plus grave encore, leur complaisance voire leurs accointances avec Dominique Strauss-Kahn. Alors que ce dernier constitue une menace assurément plus grave pour l’intégrité des femmes que quelques carrés de tissu, Nathalie Raulin n’hésitait pas, dans un article récemment publié dans Libération, à faire un usage douteux d’un sondage également très douteux pour annoncer une « envie » de DSK chez « les électeurs ». Volant déjà à la rescousse du même DSK juste après son arrestation en 2011, elle s’était élevée en faux contre l’idée, pourtant largement partagée dans le milieu, selon laquelle « on ne peut envoyer une femme seule interviewer l’ancien directeur du FMI ». Pour elle, il n’y a rien de « répréhensible » à aimer « le sexe et le libertinage ». Les femmes harcelées et violées par DSK apprécieront cette belle solidarité féministe.

Quelle est donc la crédibilité de Nathalie Raulin pour juger des « errements » de Christine Delphy, dont les engagements sont d’une autre envergure ?

Aucune.

Nathalie Raulin prétend défendre un soit disant « canal historique » injustement accusé. Elle n’en représente qu’une ramification exsangue, malheureusement soutenue par les grands médias, mais de plus en plus isolée dans le mouvement féministe. Comme le montre la scission d’Osez le Féminisme à Lyon, le mouvement militant semble peu à peu évoluer vers un féminisme inclusif, luttant contre les violences faites aux femmes, et à toutes les femmes, et refusant cette obsession maladive du « voile ».